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Bac : qui a triché ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Bien sûr, le scandale des 3 180 «fraudeurs» au bac 2013 paraît bien moins grave, de très loin en tout cas, au yeux du commun des citoyens, que celui des milliards de dinars détournés, en Algérie même, sous les yeux (et à la barbe) des autorités en charge du contrôle et de la surveillance des deniers de l'Etat, et des millions d'euros ou de dollars versés dans les comptes «ouverts» dans les banques étrangères ou ayant fait, et faisant encore, le bonheur des promoteurs immobiliers espagnols, français, luxembourgeois, américains ou canadiens.

D'une manière générale, nos jeunes concitoyens se sont habitués (habitués, parfois, par des parents «indignes») à observer, à regarder, à penser, à déduire, à conclure... et à agir ou à travailler par comparaison, uniquement, avec ce qu'ils voient de plus malin, de plus retors, de plus «affairiste», de plus «pistonné», de plus gueulard... Un mimétisme qui n'existait pas du temps de nos aînés (plutôt les Anciens), habitués à ne s'en sortir ou à réussir que grâce à leurs propres capacités physiques et/ou intellectuelles, à leurs efforts et à leur volonté. Plus haut, plus loin, plus fort, style Jeux Olympiques ! Ce n'est pas par hasard (et c'est même une chance... historique, c'est-à-dire sur le long terme) que nos 6+3 (=9) puis nos 21+ 1 (=22) ont lancé leur grand combat pour la libération du pays avec, au départ, des armes de fortune, la foi dans leur juste combat, la volonté de réussir et l'amour du pays. Hélas, l'addition fut lourde : 1 500 000 de chahid, certes disparus, mais toujours regrettés et honorés...50 ans après, toujours bien vivants dans les mémoires et inscrits dans les livres pour l'éternité ! Ils font partie de l'histoire de la Nation.

Pour nos concitoyens d'aujourd'hui, jeunes ou un peu moins jeunes, si la fameuse maxime «comparaison n'est pas raison» est en tête, c'est seulement pour ses aspects négatifs. Uniquement ! Tu travailles, je ne fous rien ! Tu dis la vérité, je mens ! Tu respectes les horaires de travail, je «zappe» !

 On lui préfère «comparaison est raison !» : Tu voles, je vole ! Tu mens, je mens ! Tu détournes, je détourne ! Tu ne respectes pas la loi, je ne la respecte pas ! Tu fraudes, je fraude ! Tu accélères, j'accélère ! Tu fumes, je fume, ! Tu trompes, je trompe ! Tu frappes, je frappe !... Avec pour excuses (ou repères ou références) tout ce qui se passe ou se (mé) dit sur les «gens d'en-haut».Toute une litanie. Un cercle vicieux.

 «Effet papillon» garanti d'avance ! Auparavant, il y avait surtout une certaine forme de «corruption». Par des enseignants ou des administratifs ou des techniciens «ripoux» qui arrivaient à «vendre», par avance, des notes et des places aux lycéens, ou les sujets d'examen aux parents «fortunés»... Ceci sans parler du «chantage» sexuel pratiqué à l'endroit des «belles plantes» des amphis.

La triche, dans les écoles et les lycées et les universités, au sens moderne (avec ses outils technologiques de plus en plus sophistiqués cachés parfois sous un voile intouchable ou une barbe bien fournie) et «visible» du terme, durant les examens, n'existait que peu ou pas du tout. En tout cas, elle n'était pas visible, formalisée, connue, vue et sue de tous, des parents comme des enseignants, des surveillants comme des administrateurs... et des citoyens. Puis (comme dans bien d'autres domaines), pour résoudre ou contourner ou éloigner les problèmes, ou pour s'attirer les faveurs, on a commencé à faire, tous azimuts, dans la gestion socio-politique. Le silence est devenu «d'or». On laisse faire, on laisse aller ! Si possible, le moins de vagues, le moins de heurts, le plus de consensus(sic !)... D'un côté , de l'argent qui coule à flots avec des salaires ou/et des primes souvent élevés ( ou des affaires juteuses), pour des compétences bien en deça des plus-values normalement attendues ; d'un autre côté, des moyennes mathématiques (les notes et autres évaluations) bien au-delà des moyennes intellectuelles des impétrants et autres candidats à la réussite.

 En fait, la tricherie aux examens a toujours existé avec ses niveaux et ses forces. Auparavant, liée beaucoup plus à des situations individuelles assez circonstancielles : un cours raté, une leçon mal révisée, une incapacité à retenir certains concepts et données... Mais, elle avait toujours été combattue, en premier lieu par les enseignants eux-mêmes, gardiens des valeurs protectrices de la connaissance et de sa diffusion, ainsi que par les parents, conscients que la formation la plus solide et la plus rentable est bien celle acquise par le travail et l'effort.

De nos jours, le plus navrant, c'est de constater une certaine démission des parents face aux réactions d'indignation ou de colère, vraies ou feintes, de ceux parmi leurs rejetons qui ont échoué ou qui ont été pris la «main dans le sac». Navrant, l'empressement dommageable des analystes sociaux (les journalistes entre autres) qui prennent fait et cause pour le fraudeur en mettant tout sur le dos du «système éducatif» (ce qui n'est pas entièrement faux). Navrante, la démobilisation pédagogique de certains enseignants (heureusement de plus en plus rares, car enfin conscients que les dérives de leur noble métier étaient en train de «les perdre») . ...et, navrants encore plus, les «reculs» de l'Etat face à chaque «pétition».

 Le plus dangereux, c'est de voir le système éducatif non pas (seulement) touché par la gangrène de la «soft corruption» (il ne faut pas perdre de vue que la tricherie et la fraude à l'école puis au collège et au lycée, se prolongeront à la fac'...avec ses plagiats de mémoires et de thèses... et avec ses faux diplômes et ses diplômes bradés), mais surtout par une normalisation d'un mode de production de la connaissance de médiocre qualité et, surtout, relevant par certains de ses côtés, de l'entourloupe.

La nouvelle réforme (ou l'évaluation pour une révision des points faibles) de l'Ecole, envisagée par le nouveau ministre de l'Education du nouveau gouvernement, appportera-t-elle du nouveau ? Pas si sûr. Tant il est désormais évident que ce n'est pas d'une réforme (tte) dont on a besoin mais bien de toute une révolution intellectuelle. Elle aura ses martyrs, c'est sûr. Les recalés de l'an 2013 sont les premiers de la liste. Dommage seulement que les fraudeurs et les tricheurs, qui plus est sont contestataires comme il se doit dans un pays où les coupables deviennent, grâce à une communication émeutière banalisée, des victimes aient terni le sacrifice.