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Journée mondiale de la liberté de la presse : 20 ans, le bel âge

par Bureau De Bruxelles : M'hammedi Bouzina Med

«Etre libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres.»

(Nelson Mandela)

Voilà 20 ans que le 3 mai a été institué «Journée mondiale de la liberté de la presse». L'âge de la presse indépendante (privée) de notre pays. Et depuis 20 ans, journalistes algériens, intellectuels, hommes politiques? guettent la publication du classement mondial du «baromètre» mondial de la liberté de la presse par des organismes et associations non gouvernementales tels Reporters sans frontières, les organisations de droits de l'homme, le Conseil de l'Europe, etc. pour se retourner et découvrir, soudain, que notre pays traîne au bas des tableaux et pour que le débat sur la question devienne public, le temps que dure la célébration: une journée. Le pouvoir politique, lui, quand il ne fait pas le sourd-muet durant cette journée, il lui arrive à (se) glorifier d'avoir une presse libre et exemplaire. Question: quels paramètres peuvent nous aider à juger du degré de liberté d'une presse ? Est-ce son indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques ou institutionnels (bureaucratie) ? Est-ce sa capacité à accéder aux sources de l'information ? Est-ce le jugement des organisations non gouvernementales ? Enfin, est-ce tout cela ensemble qui permet d'avoir un diagnostic et apprécier du niveau de liberté d'une presse ? Chez nous, il est symptomatique de ne compter que sur le regard des «autres» pour découvrir l'état de la presse nationale et son rapport au pouvoir politique, alors que ce sont «nous» qui vivons et «faisons» notre presse. Entendons-nous bien, il est clair qu'aucun pouvoir politique au monde n'accepte qu'il soit remis en cause par la presse. C'est une évidence et le nôtre ne fait pas exception. Le pouvoir politique en Algérie fait mieux: il a un rapport schizophrénique avec la presse. Il lui déclare son soutien pour qu'elle fasse son travail en toute liberté et la poursuit, régulièrement, pour délit d'opinion, d'atteinte à corps constitués, de diffamation, etc. Le pouvoir politique promet des réformes, une loi protégeant les journalistes, une Autorité de régulation (chaînes de télé privées notamment) sans jamais rien de concret, puis de re-promettre des promesses. Sans fin. En face, les journalistes nagent dans cet océan de promesses, de menaces, d'incertitudes et de «foi» en la liberté de presse. Du coup, la pratique du journalisme dans notre pays devient un exercice d'une rare complexité, difficile à comprendre: il y a ceux qui se lâchent dans les sujets qu'ils traitent avec de véritables réquisitoires contre le pouvoir politique et ses pratiques qui font «rougir» de jalousie les journalistes des pays dits libres. Ce sont beaucoup de nos chroniqueurs, caricaturistes, éditorialistes et commentateurs. Il y a ceux qui, toute honte bue, s'exécutent sous la dictée de leurs «donneurs d'ordres». Il y a ceux, loin des rédactions centrales, perdus dans les profondeurs de l'Algérie qui se contentent de rapporter des nouvelles de proximité, évitant, malgré eux, les sujets qui fâchent l'autorité locale ou les barons du privé: les correspondants locaux, ces ouvriers si proches de la réalité de la vie profonde du pays. Parmi ces derniers, certains en ont payé de leur vie leur devoir d'informer et de dénoncer; d'autres ont basculé dans la dépression mentale, d'autres servent de faire-valoir à des barons du privé et autorités locales, d'autres ont fui ce métier qu'ils chérissent. Question: si le pouvoir politique n'est pas prêt à «défendre» une presse libre, digne de ce nom, comment va-t-on s'en sortir ? Se rappeler l'état de notre presse et dénoncer sa précarité politique et économique chaque «3 mai» ? Nous organiser, d'abord, nous, journalistes, en un vrai syndicat libre, indépendant, et mener, régulièrement, des actions multiples en direction de la société civile et du pouvoir politique pour protéger la profession de journaliste ? Faire appel à la société civile (intellectuels, opposition politique, personnalités morales, etc.) pour l'impliquer dans le combat de la liberté de la presse ? Car, la liberté de la presse, si elle relève en premier lieu des journalistes, n'en demeure pas moins un combat de toute la société algérienne. En réalité, c'est de la liberté, des droits de l'homme, de la justice? de la démocratie qu'il s'agit en défendant la liberté des journalistes. Ces derniers ne sont ni au-dessus, ni en dessous des lois, ni une caste à part. Ce sont un maillon parmi d'autres dans la garantie d'une société libre et démocratique. En exigeant le droit d'exercer leur métier en toute liberté, ils assument le devoir d'informer le citoyen et la conscience de dire la vérité quelle qu'elle soit. La liberté de la presse est donc consubstantielle au régime de la démocratie. Fêter la Journée mondiale de la liberté de la presse, c'est fêter notre vœu d'un pays libre et démocratique. Les «autres» qui nous rappellent notre classement dans le monde ne nous apprennent, en vérité, pas grand-chose. Nous savons ce que nous vivons chez nous.



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