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Constantine, capitale de la culture arabe : Un rendez-vous et des appréhensions

par A. Zerzouri

Personne ne peut douter de la bonne volonté des pouvoirs publics et de la mobilisation colossale des moyens humains et logistiques pour «faire de cette manifestation un succès digne de l'Algérie», comme l'a rappelé, ce jeudi dernier, le chef de l'exécutif de la wilaya de Constantine lors d'un conseil de wilaya consacré au développement de la commune du chef-lieu.

Mais les craintes vont de pair dans les réactions de gens avisés et du citoyen lambda, avec l'espoir de voir la ville renouer avec sa vocation ancestrale et rayonner sur la culture arabe, à l'occasion de ce proche évènement que se prépare à accueillir Constantine. «Constantine, capitale 2015 de la culture arabe», un intitulé qui provoque les ambitions des Constantinois et soulève moult inquiétudes dans son sillage. En premier lieu, des avis largement partagés parlent du facteur temps comme un adversaire qu'il faut vaincre dans cette bataille de la préparation d'un évènement de grande envergure décidé à deux longueurs d'années du rendez-vous, et prévoyant la participation de 22 pays arabes et plusieurs autres pays européens.

Déjà, lorsque le Premier ministre avait pris connaissance de l'avant-projet du programme de la manifestation, lors de sa dernière visite à Constantine, il avait pris soin d'indiquer que la réalisation de plusieurs projets peut dépasser le cap de l'année 2015, une date qui ne devrait justement pas être une fin en soi de la culture ou de la dynamique qu'on s'apprête à lancer. «Le travail ne peut pas être entièrement achevé durant les deux années à venir», devait reconnaître implicitement M. Sellal. Tant il est vrai que ce n'est pas pour trop convaincre de parler de la réhabilitation du vieux bâti, comme à Sidi Djeliss ou Rebaïne Chérif, «sites symboles de la mémoire de la ville», avait rappelé M. Sellal, de mosquées tombées en ruine et de l'éternel dossier visant à rendre praticable le chemin des touristes (incrusté sur le vieux rocher), dans un endroit comme le palais Ahmed Bey où les travaux de réhabilitation ont duré près de vingt ans ! «Ce n'est pas du tout réconfortant de constater qu'on présente dans cet avant-projet des actions de réhabilitation et de requalification du patrimoine bâti impossibles à concrétiser dans un délai si court, à l'exemple de la maison de la culture Med Laïd Al Khalifa (ex-garage de mécanique d'une maison auto datant du temps de la colonisation) qu'on veut pourtant élever au rang de musée des arts modernes, et de la résidence de la wilaya qui s'écroule en l'absence du moindre entretien depuis le transfert du siège de la wilaya vers la cité Daksi Abdesselem et qui se trouve destinée à se transformer en centre des arts», renchérissent des voix de spécialistes soutenues par la vox populi. Même les nouveaux projets inscrits par l'avant-projet en question, la salle de spectacles de 3.000 places, un nouveau palais de la culture et un pavillon d'exposition à Ali Mendjeli font peser cette appréhension du dépassement des délais de réalisation. Pour d'autres citoyens, plus pessimistes encore, le verdict est sans appel, «l'investissement culturel ne rapporte pas grand-chose dans un environnement dominé par l'aspect matériel de la vie quotidienne». C'est pour cette raison que l'évènement trouve un écho meilleur auprès des personnes impliquées dans l'acte culturel par leurs activités et leurs fonctions. Un écho meilleur, certes, mais qui ne va pas, aussi, sans une certaine «méfiance», légitime du reste dans le décor rentier qui a pris à bras-le-corps le créneau de la culture. «C'est une bonne chose pour la ville de Constantine et tout le pays, au moins un évènement pour échapper à la léthargie ambiante, mais cela pourrait se transformer en véritable poisse si jamais le «ben aâmiss» et les attitudes clientélistes prennent le dessus dans le choix des programmes et des projets à mettre en œuvre dans ce cadre», prévient M. Lounis Yaou, président de l'association Numidia-Arts, sur un ton optimiste mêlé à la crainte de voir le rêve s'envoler dans les airs de la médiocrité. «En matière de culture, on ne peut pas traficoter, c'est être ou ne pas être», dira-t-il. «A quoi cela pourrait-il servir de bâtir une salle de spectacles de 3.000 places (figurant sur cet avant-projet du programme consacré à l'évènement, ndlr) lorsque tout est figé sur le plan de la production culturelle, à quoi servirait les milliards qu'on accorderait à un producteur de cinéma dans une ville sans aucune salle de cinéma ?!», s'est-il interrogé. Toutefois, notre interlocuteur acquiesce à l'avis suscité par l'évènement auprès des autorités et des hommes de la culture, «c'est une chance réelle qui s'offre à la ville». Une chance, oui, mais il y a le défi à relever, et ce geste appartient à la société civile et aux personnalités de la ville. «C'est à vous de constituer une force de proposition, le gouvernement étant disposé à vous accompagner», avait lancé M. Sellal, le 16 février dernier, devant les artistes, Med Tahar Fergani, Zineddine Bouchaâla, Antar Hellal, et les réalisateurs de télévision Med Hazourli et Ali Aïssaoui, ainsi qu'un large auditoire de responsables des structures culturelles et des médias. Dans ce sillage, le Premier ministre avait annoncé qu'un «important budget a été mis en place par l'Etat», sans donner de chiffres précis à ce propos, chose qui laisse croire que l'enveloppe financière, consacrée à l'évènement «Constantine, capitale 2015 de la culture arabe», peut répondre à toutes les demandes, il suffit juste de se manifester avec un projet consistant.

Enfin, nous savons déjà que la commune de Constantine vient de bénéficier de 1.800 milliards de centimes destinés au financement de 197 opérations inscrites dans ce cadre. Le financement de l'évènement, en tout cas, ne pose aucun problème si l'on se réfère aux déclarations des autorités, il reste, donc, «à l'élite culturelle de s'affirmer sur le terrain, car tout le monde est interpellé pour s'impliquer dans la manifestation», comme le souligne un citoyen, M. Nacer Lecheheb, très proche des milieux culturels de la ville. Celui-ci soulève avec pertinence la problématique de «l'absence d'un statut de l'artiste», ce même artiste qu'on veut pourtant placer au cœur de la stratégie d'édification et de préparation de l'évènement en question. Du côté de l'APC, on se prépare sérieusement au rendez-vous, on nourrit même l'ambition de travailler sur des bases non conjoncturelles. Selon le chargé de la communication, «l'Assemblée projette la réactivation du comité des fêtes, en possession d'un compte bancaire gelé depuis des années avec un solde d'un milliard de centimes, et prospecter dans le réseau d'associations en activité dans le créneau culturel afin de sélectionner ceux qui peuvent apporter un plus à l'espace culturel de la ville». Le secrétaire général de la commune, M. Nadir Bettein, a indiqué dans un communiqué, reçu hier à notre rédaction, que la commune présentera une série de projets à réaliser avec, entre autres, l'éclairage artistique des édifices phares de la ville avec le concours d'un bureau d'étude étranger, la modernisation de la signalisation verticale et l'aménagement des gares routières, ainsi qu'une étude pour la réhabilitation de l'ascenseur de Sidi M'cid.

En somme, avec l'installation au courant de cette semaine de la commission technique locale pour les préparatifs de cet évènement, tout le monde est sur le pied de guerre pour réussir à faire de Constantine une «carte de visite», la meilleure possible pour la ville et pour tout le pays.