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Qui sera «légitime» dans vingt ans ?

par Kamel Daoud

Question qui obsède ce vendredi de pluie : quand mourront tous ceux qui ont fait la guerre de libération, en mangent, s'en réclament ou s'y adossent, quelle légitimité va-t-on vendre au peuple pour garder le pouvoir ? L'université n'a pas produit de leaders, ni le syndicat réduit à un invertébré, ni l'armée, ni le bâtonnat, ni le patronat, ni les émeutes. Reste ce qu'un « politique » a désigné par la légitimité sécuritaire des années 90. Mais là aussi, une sorte d'excès violent et de syndrome de clandestinité réduisent un peu le poids de cette équipe. A cela s'ajoute le paradoxe de la Réconciliation nationale qui laissera un malaise et un goût de trahison et le péché de naissance avec le renversement de Chadli.

A la fin ? On ne sait pas. Dans des cas pareils, c'est le patronat qui en principe reprend la relève dans les pays riches. C'est-à-dire la légitimité par la fortune, l'effort, l'emploi créé et la vision d'avenir. Mais là aussi le patronat algérien promet peu : vassalisé, divisé et réduit à une position secondaire de la primauté de la kasma sur l'entreprise. Le monde des affaires algérien est quémandeur, client. C'est l'enfant de l'appel d'offres, pas de la Chambre de commerce. Ce fut d'ailleurs amusant d'écouter jeudi, à Mostaganem, un représentant d'une confédération de patrons algériens (lors d'une journée sur le « bâtir ensemble le pacte de croissance ») discourir sur le nombre des bureaux locaux ouverts, le nombre d'adhérents, les « réalisations », les décisions du gouvernement? etc.

Un spectaculaire langage de kasma dans la bouche de ce qui devrait représenter son contraire. Preuve que l'on arrive difficilement à se dégager du langage des « organisations de masse » même quand on est patron ! Preuve de ce lien trouble, difficile, servile ou tendu entre hommes d'affaires et hommes du Deylicat.

Donc retour à la question de départ : dans vingt ans, qui sera légitime en Algérie si l'argent est suspecté d'avoir été volé, le militaire d'avoir tué, le syndicaliste d'avoir trahi ou d'avoir fermé les yeux, et l'universitaire d'avoir triché sur les diplômes ? Quel sera l'Algérien de demain quand le seul Algérien qui détient le pouvoir est l'homme d'hier ? Réponse : l'homme de l'arme. C'est la tendance héritière des pays hyper centralistes faibles et sans politique de transition symbolique. La propriété n'est pas très protégée en Algérie, l'argent est trop gratuit et la force n'est pas légitime. Il sera difficile de bâtir un nouveau consensus. Même fictionnel comme celui d'aujourd'hui.

C'est tout le régime qui est célibataire, en fin de compte, malgré le pullulement des « neveux » et des « fils » et des milliers de « Frères ».

Il mourra seul. Et tuera nos enfants parce qu'il n'en a pas eu.