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Les militaires égyptiens incompétents ou manipulateurs ? La boucherie au stade de Port-Saïd révulse l'Egypte

par Salem Ferdi

Le stade de Port Saïd a été, mercredi, le théâtre d'une tuerie provoquée par un envahissement des supporters du club local qui s'en sont pris à ceux d'Al-Ahly du Caire: 74 morts, des milliers de blessés et un pouvoir militaire accusé de complicité ou d'incompétence. Les manifestations hostiles au pouvoir ont fait 4 morts au Caire et à Suez. Le maréchal Tantaoui et ses pairs sont très décriés. «A mort, Tantaoui» ! Les Egyptiens, sous le choc, manifestaient encore hier à la place Al-Tahrir contre le pouvoir militaire. Les moins durs à l'égard des généraux égyptiens parlent d'incompétence après la tuerie du stade de Port Saïd. De nombreux Egyptiens sont plus catégoriques: il existe une complicité évidente avec un double dessein, punir des supporters d'Al-Ahly, très actifs dans la révolution égyptienne et créer un climat général d'insécurité pour entraver le transfert du pouvoir aux civils.

La thèse de la conspiration s'alimente du fait qu'on ne s'explique pas raisonnablement pourquoi les fans d'une équipe victorieuse décident de s'en prendre à ceux d'une équipe vaincue. Chez les supporters d'Al-Ahly et chez de nombreux Egyptiens, on croit qu'un guet-apens en bonne et due forme, avait été préalablement préparé, les foules des supporters étant aisément manipulables.

Le second élément qui conforte l'idée d'une manipulation est l'étrange passivité de forces de police égyptiennes. Elles ont pratiquement assisté en spectatrices au déferlement meurtrier contre les supporters cairotes. L'accusation la moins «grave», celle d'une incompétence crasse ne constitue pas une circonstance « atténuante » pour le pouvoir militaire. Au contraire.       La seule «légitimité» concédée à ce pouvoir se rapporte justement à la sécurité. Or, manifestement, les militaires ne l'assurent pas ou, plus grave, ne veulent pas l'assurer à dessein.

UN CARNAGE EVITABLE

Au stade de Port Saïd, le carnage n'était pas inévitable. Durant tout le match, les échanges ont été peu amènes, entre les deux galeries de supporters. Il était clair que le dispositif de sécurité devait être rapidement adapté au climat particulièrement électrique qui régnait et où les supporters de l'équipe locale étaient chauffés à blanc. Or, les forces de sécurité ne sont pas intervenues - avec la vigueur qu'on leur connaît en Egypte - pour étouffer dans l'œuf, l'envahissement de la pelouse par les supporters de l'équipe locale, immédiatement après la fin du match. Ces supporters remontés se sont mis à lyncher les joueurs et les supporters d'Al-Ahly. Pire, le cordon de sécurité de la police a eu pour effet de « fixer » les supporters d'Al-Ahly, tout en laissant une liberté de mouvement aux nervis locaux. Trop d'éléments ont concouru à renforcer la thèse de la conspiration. Dans un pays qui a connu des manipulations - dont celle de grande ampleur de l'Incendie du Caire le 26 janvier 1952 - on a la conviction que la montée des désordres et des violences est délibérément orchestrée dans une finalité politique. Le Conseil suprême des forces armées, qui dirige le pays depuis la démission forcée de Hosni Moubarak, en février 2011, a formé une commission d'enquête qui devra livrer ses conclusions, dans une semaine et a décrété un deuil national. Le maréchal Tantatoui a promis que les fauteurs de troubles seront « punis ». Mais les supporters d'Al-Ahly de retour au Caire et entourés d'autres fans de clubs cairotes de football ont scandé des slogans contre le pouvoir militaire et ont harcelé le siège du ministère de l'Intérieur accusé de se venger contre eux, en raison de leur rôle dans la révolution.

LA VENGEANCE DU MINISTERE DE L'INTERIEUR

Les affrontements de jeudi au Caire ont fait plus de 400 blessés dont un grand nombre de personnes intoxiquées par les gaz lacrymogènes utilisés par la police pour disperser les manifestants. Les affrontements n'ont pas cessé, hier vendredi, où des jeunes en colère lançaient des pierres contre l'édifice tandis que des policiers tiraient à balles réelles. Quatre morts sont signalés, un officier de l'armée, écrasé accidentellement par un blindé, et un manifestant, atteint par un tir de chevrotines, sont décédés au Caire et s'ajoutent à deux autres manifestants tués par la police à Suez. Place Al-Tahrir a repris son rôle de fer de lance de la contestation du pouvoir militaire dans un «vendredi de la colère». Accusé de complot, le ministère de l'Intérieur s'est défendu et a mis en cause des «groupes de supporters déterminés à créer un état d'anarchie dans l'enceinte du stade». Il a néanmoins décidé d'une «mutation du directeur de la sûreté de Port Saïd, après qu'il ait failli à la tâche » de sécurisation d'un match.

Le gouverneur de Port Said a également été démis de ses fonctions. Les députés égyptiens fraîchement élus, parlent de conspiration contre la révolution et ont exigé la démission du gouvernement de Kamel Al Ganzouri, désigné par les militaires et non issu des partis vainqueurs des législatives. Les Frères Musulmans, première force politique au parlement, parlent avec prudence et de manière imprécise d'une «main invisible» qui œuvrerait à déstabiliser l'Egypte, les jeunes révolutionnaires de la Place Al-Tahrir et les forces de gauche accusent directement le Conseil suprême des forces armées, de vouloir créer une situation d'anarchie pour rétablir la loi martiale qui a été partiellement levée récemment.