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Europe : poker menteur

par Notre Bureau De Bruxelles : M'hammedi Bouzina Med

«Le seul intérêt de l'argent est son emploi.» (Benjamin Franklin)

La crise financière internationale qui sévit en Europe depuis l'année 2008 détruit à une vitesse «grand -V» les conquêtes politiques, économiques et sociales acquises durant les 50 années de la construction européenne et met en danger sa survie politique en tant qu'ensemble régional structuré. Non pas par manque «d'argent», mais par une fascination de «l'argent». Autrement dit, les dirigeants politiques européens s'entêtent et s'échinent à suivre la loi des spéculateurs financiers au détriment de celle de la valeur-travail. Toutes les stratégies supposées sortir l'Europe de la crise reposent sur la seule idée de l'austérité financière que doivent et devront supporter le monde du travail et les travailleurs, soit la majorité des citoyens européens. Coupes budgétaires dans les services publics, allongement de la durée de travail et celle du droit à la retraite, augmentation des impôts directs, diminution du pouvoir d'achat, limitation des services sociaux etc. Un régime drastique pour contenter, au final, les usuriers des temps modernes que sont devenus les spéculateurs sur le marché financier international.

Les cinq dernières années, les dirigeants des 20 pays les plus riches du monde se sont réunis (G 20) régulièrement aux USA, en Europe , en Corée? les Sommets européens se sont multipliés, précédés par des réunions ministérielles hebdomadaires des argentiers, commerciaux, fiscalistes?pour aboutir aux mêmes communiqués et engagements solennels : régulation et contrôle des dérives et spéculations du marché international ; taxation des transactions financières ; lutte contre les paradis fiscaux ; réglementation des places boursières et de la voracité des traders?pour qu'au final tout continue comme avant, mieux, pour que tout s'emballe encore plus dans le tourbillon vertigineux de la? spéculation.

L'obsession des dirigeants politiques européens vis-à-vis de la valeur euro et de son taux sur les marchés des changes en est un exemple frappant : maintenir la valeur euro, toujours plus importante que celle du dollar, au risque de perdre tant dans la balance des changes que celle du commercial extérieur. Et pour mieux se priver de toute tentation d'y remédier, la banque centrale européenne (BCE) est dotée d'un statut d'indépendance qui, en réalité, l'oblige à une seule mission : la protection de la valeur euro au détriment du soutien financier à l'économie réelle. Cette logique pousse la BCE à spéculer à sa manière : ne prêter essentiellement qu'aux banques privées à des taux très faibles (0,5 et 1 %) qui auront la charge, elles, de se sucrer sur le dos des entreprises et?des Etats en leurs prêtant à des taux 3, 4, 5 et plus. Cette technique «triangulaire» de financement de l'économie réelle est la dernière astuce imaginée par ceux qui gèrent la circulation de la monnaie-devise à travers le monde. Cette logique n'arrange pas toute la famille européenne, puisque les Etats de l'UE non membres de la zone euro se trouvent face à un sérieux dilemme : comment suivre la «rigueur» de la BCE alors que la valeur de leurs monnaie est dépréciée de plus en plus face à l'euro ? Comment arriver à l'équilibre budgétaire et contenir les déficits publics en comptant sur des prêts à taux élevés sur le marché des changes ? Avec un tel déséquilibre par rapport aux pays de la zone euro, leur endettement public et privé ira crescendo. La situation est telle que même des pays de la zone euro, supposés crédibles économiquement, tels la France, l'Italie ou la Grande Bretagne se retrouvent à adopter des plans d'austérité pour faire face au seul service de la dette.

L'autre exemple qui illustre cette anarchie provoquée par les banques est celui de la Hongrie, si décriée pour ses dérives autoritaires. En vérité, ce n'est pas la question de la liberté de presse qui motive la levée de boucliers contre le gouvernement conservateur de Victor Orbàn. La liberté de presse dans d'autres pays européen est soumise à d'autres censures plus vicieuses (monopole en Italie de Berlusconi, contrôle en France du service public par la présidence, espionnage et surveillances téléphoniques des journalistes). Ce qui est reproché au 1er ministre hongrois, c'est d'abord sa décision de mettre sous contrôle du gouvernement et de la présidence la banque centrale hongroise (qui est aussi la banque nationale en Hongrie). Cela veut dire que la Hongrie pourra contrôler sa propre monnaie et s'endetter s'il le faut en utilisant la planche à billets, et échapper au dictat de la BCE.

Sur le fond, Victor Orbàn a raison parce qu'il refuse d'être sous tutelle de la BCE sans être membre de la zone euro. Sur la forme, il a enfreint le traité constitutionnel de l'UE (Lisbonne) qui sacralise le rôle de la BCE. Victor Orbàn a révisé le traité européen à sa manière. Après tout, la France et l'Allemagne n'ont-elles pas fait le forcing, le 30 janvier à Bruxelles, pour imposer le rajout dans les Constitutions nationales des 27 Etats membres de la fameuse «règle d'or» ? Qui plus est, existe dans le Traité européen et limite à 3 % le déficit public et à 60 % l'endettement public. Comble de l'Ironie, c'est le président français, Nicolas Sarkozy qui, dès son arrivée au pouvoir en 2007, a ouvert la «violation» de la règle d'or contenue dans le traité européen. Il a fait grimper le déficit français de 4, 5 % à 6 % en 2010. Ce sont toutes ces «malversations» politiques et tricheries financières au sein de l'UE, qui pèsent sur la cohésion européenne et son avenir. Pourtant, l'argument de l'austérité comme remède à la crise a démontré sa nullité. La Grèce est au bord de la faillite générale malgré l'adoption de cinq plans d'austérité successifs ; l'Espagne suit et voit son taux de chômage grimper à plus de 20 % ! Le Portugal annonce sa cessation de paiement malgré les plans d'austérité extrêmes imposés aux citoyens ; l'Irlande appelle au secours une deuxième fois après un premier «sauvetage» financier ; le chômage augmente partout en France, en Grande Bretagne, en Italie?

Rien n'y fait, les gouvernements européens n'arrivent pas à se libérer de la dictature des marchés financiers. Et comme par magie, l'ensemble des pays européens se retrouvent endettés, y compris l'Allemagne que l'on cite en exemple, sans que l'on sache exactement qui doit à qui ; où sont passés les milliards de milliards de dettes et qui les détient exactement. C'est cela la transparence dans la gestion des fonds publics à la mode dans les démocraties occidentales.