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PERPIGNAN OU LES LIMITES DES LEÇONS DE MORALE

par Pierre Morville

Il s’est ouvert à Perpignan un musée sur l’occupation coloniale et la guerre d’Algérie qui fait l’impasse sur… les Algériens. Problème.
L’affaire de Perpignan commence comme une branquignollerie municipale, elle pourrait se terminer par un nouveau rafraîchissement des relations franco-algériennes.      Tout d’abord les faits, extrêmement bien synthétisés par une consœur, Isabelle Goupilla, qui a réalisé un dossier paru dans la « Semaine du Roussillon », édition du 8-14 février (n°562), sous le titre : Mémoire des pieds-noirs / Polémique autour du musée.
Tout débute en effet sur une petite affaire de corneculterie municipale, à Perpignan. Perpignan est une charmante petite ville qui se situe dans une région catalane, au sud de la France. Nous avons hérité de la Catalogne une très jolie danse qui s’appelle la Sardane. Le grand peintre Salvador Dali avait, après certainement de rigoureuses et longues recherches scientifiques, établi qu’à coup sûr, le centre des mondes connus et des univers galactiques inexplorés se situait certainement à Perpignan, non loin de la gare de la ville du même nom. Comme la ville est accueillante, de nombreux retraités y font villégiature. Et beaucoup de pieds-noirs s’y sont installés il y a un demi-siècle.
Une curieuse association, le « Cercle algérianiste », a proposé à la mairie d’ouvrir un musée, curieusement appelé « lieu de mémoire » dédié à la population pied-noir. Le maire de Perpignan, Jean-Marc Pujol, lui-même ancien jeune pied-noir (il est parti du pays à 12 ans !), a cautionné et subventionné cette affaire.
L’INITIATIVE N’ETAIT PAS NECESSAIREMENT CRITIQUABLE
Après tout, la création d’un lieu de réflexion et de souvenirs pour une population, forte de huit cent mille personnes, exilées et qui conservent une profonde nostalgie de leur pays d’origine, pouvait ne pas choquer. Mais dans ces affaires délicates, tout est dans le détail. Et là, on ne fut pas déçu.
PERPIGNAN, CENTRE DU MONDE ET MUR DE LA MEMOIRE
Le musée, tout d’abord, n’évoque absolument pas la population arabe en Algérie. On sent subitement que dans le travail de mémoire, il y a de sacrés trous. Le « Centre de documentation des Français d’Algérie », qui s’ouvre dans un ancien couvent de clarisses, entend participer à « la recherche de la vérité historique débarrassée des idéologies », selon les propos du maire. Le projet prévoit également l’inauguration d’un « mur de la mémoire », lointaine évocation de la Shoah où seraient inscrits les noms de 3.000 pieds-noirs « disparus », liste à laquelle on ajouterait éventuellement quelques dizaines de milliers de harkis, morts ou disparus. Le musée serait un lieu de débat, mais la présidente de l’association à l’initiative de cette affaire, Suzy Simon-Nicaise, se dit certes « à 200% pour aller vers une histoire apaisée ».      Mais pour elle, « chacun doit faire la moitié du chemin. Il n’est pas question de discuter avec les idéologues descendants des porteurs de valises dont les bombes ont tué nos proches ou avec ceux qui nous traitent de fachos ».
L’association à l’initiative de ce curieux musée pose en effet question. Le « Cercle algérianiste », fort de 37 sections locales qui s’intéressent à l’histoire « pied-noir », laisse sur son site un texte qui laisse peu de mystère sur ses intentions réelles : « 50e anniversaire de l’exode, grand rassemblement national à Perpignan les 27, 28 et 29 janvier 2012. 2012 sera une année hautement symbolique. Ce sera en effet le 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, et pour nous, Français d’Algérie, celui de la perte de la patrie qui nous a vu naître.      Ce sera le 50e anniversaire de l’arrachement à la terre natale et de l’exode de toute une communauté meurtrie. Ce sera enfin pour nous l’occasion de témoigner et d’exprimer avec force notre vérité».
Le Cercle algérianiste est étroitement associé à une autre association, l’Adimad : Association amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française. Elle se présente comme «la vitrine du juste combat de l’Algérie française». Son site Internet défend avec force «l’Organisation» (l’OAS);y figure un appel aux dons pour le projet perpignanais et un renvoi vers le Cercle algérianiste de Perpignan. Le président actuel de l’Adimad est Jean-François Collin, ancien conseiller municipal FN d’Hyères.
Curiosité des temps, Mme Marine Le Pen se trouvait en début de semaine à Perpignan pour faire son discours de rentrée dans la campagne électorale. Nouveau hasard, Gérard Longuet, ministre de la Défense, était lui aussi présent. Le ministre avait fait le voyage pour inaugurer un centre dédié à la présence des Français en Algérie de 1830 à 1962 et délivrer un message du président Nicolas Sarkozy à plusieurs centaines de rapatriés réunis en congrès. Laissons parler l’AFP. « Il a essuyé cris et sifflets quand il a cité le nom du général de Gaulle, homme des accords d’Evian, avec celui du chancelier allemand Konrad Adenauer, pour dire la nécessité d’une réconciliation franco-algérienne, comme il y eut une réconciliation franco-allemande.
Haussant la voix sans se démonter, il a aussi provoqué de vives protestations quand il a évoqué le message qu’il s’apprêtait à lire de la part de M. Sarkozy, accusé par nombre de pieds-noirs et de harkis d’avoir, comme ses prédécesseurs, manqué à ses promesses à leur endroit.
« Je vous affirme que cette année 2012, cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie, sera l’année du souvenir et du recueillement, et sûrement pas celle de la repentance », a-t-il déclaré, citant le président de la République. Et d’ajouter : « Les hommes et les femmes qui sont partis s’installer en Afrique du Nord (...) loin d’être frappés d’opprobre, ils méritent notre reconnaissance. En développant l’économie de ces nouveaux territoires, ils ont œuvré à la grandeur de la France », dit-il.
« Le temps des historiens est venu avec la valorisation des fonds documentaires. Ce centre permettra d’accueillir et de nourrir le débat », a pour sa part expliqué Jean-Marc Pujol, le maire de Perpignan.
Gérard Longuet ! Excellent Gérard longuet ! Ministre de la Défense ! Il a commencé sa vie politique dans un groupuscule d’extrême droite, « Occident », qui accueillait avec la même chaleur les anciens pétainistes et les soldats perdus de l’OAS. Assagi, il fait partie aujourd’hui d’un gouvernement qui donne des leçons à la terre entière et notamment aux Turcs sur la question arménienne. On a compris sa ligne.      En 2012 et pour ce qui concerne la France, on pourra parler de tout sauf de repentance ! Mais dans le même temps, après deux votes successifs à l’Assemblée nationale et au Sénat, la France, grande donneuse de leçons de morale, a sévèrement tancé la République turque pour des faits parfaitement condamnables mais qui remontent à l’Empire ottoman, et plus précisément en 1915. Ah mais !
PENDANT LES TRAVAUX, LA LUTTE ELECTORALE CONTINUE
Nous sommes en effet en 2012, dans le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie et nous sommes en effet dans le réexamen historique d’une guerre de libération nationale particulièrement cruelle. Et il aurait été bon pour mon pays que l’on puisse faire l’économie des conneries locales perpignanaises. Cinquantenaire de l’indépendance et année électorale présidentielle en France. Mais également année de transition en Allemagne et aux Etats-Unis.
A une centaine de jours du scrutin final, l’atmosphère se tend. Allons vite dans le résumé de son feuilleton haletant. L’auteur de cette chronique pense que Hollande a gagné et que Sarkozy ne croit même plus à sa victoire éventuelle. Mais le «Chroniqueur de Paris» sait également que l’actuel président de la République est un remarquable agitateur qui peut renverser l’état de l’opinion au dernier moment. Ce qui nous fait arriver sur trois scénarios :
- Elections présidentielles françaises : Hollande élu (probable), Sarkozy élu (improbable mais pas impossible).
- Elections législatives qui suivent l’élection présidentielle : la gauche emporte la majorité à l’Assemblée nationale après avoir conquis, il y a quelques mois, le Sénat : la gauche socialiste domine l’exécutif, les deux chambres, la quasi-totalité des assemblées régionales et locales, la plupart des villes grandes et moyennes. Historique !
- Elections législatives qui suivent l’élection présidentielle : la gauche n’est pas majoritaire. Elle doit au mieux faire une alliance de compromis avec le centre (Bayrou); au pire, composer avec une majorité de droite dans un régime de « cohabitation ».
Remixer l’ensemble de cette affaire avec les secousses générales de l’économie mondiale (possible dévaluation générale des monnaies, crise de liquidité de certains pays, mouvements sociaux de ras-le-bol» général) ; secouer bien l’ensemble et vous constaterez que les mois qui viennent seront passionnants.
LES ALLEMANDS SONT UN PEU… CHIANTS
Angela Merkel s’est donc invitée dans la campagne électorale française. Elle soutient le joli Sarkozy et sera présente dans l’un de ses meetings de campagne. Angela Merkel en guest star pour soutenir Nicolas Sarkozy.      La CDU, son parti, l’a annoncé samedi 28 janvier: la chancelière allemande participera «au printemps» à des meetings électoraux avec le président français.
Que cherche Nicolas Sarkozy en faisant appel à Angela Merkel ? « L’objectif, c’est de renforcer encore l’idée d’un partenariat franco-allemand, d’un axe fort entre la France et l’Allemagne. Et cette démarche remporte l’adhésion des Français. Nous avons récemment publié une étude qui montre, par exemple, que 62% des Français estiment que la France doit s’inspirer davantage du modèle allemand. Mais attention, adhésion ne veut pas nécessairement dire vote, note Frédéric Dabi, de l’institut de sondage IFOP. Par ailleurs, en faisant cela, Nicolas Sarkozy rompt avec ce que l’on voit traditionnellement lors des campagnes présidentielles en France. On pense par exemple à François Hollande qui a déclaré, lors de son meeting au Bourget, le 22 janvier : «La France n’est pas un problème, la France est la solution».
Est-il pour autant normal qu’un chef d’Etat d’un pays ami fasse intrusion dans un choix démocratique chez son voisin dans une élection essentielle ? On fera plus qu’en douter. Les Européens supportent beaucoup de fantaisies provenant de l’outre-Rhin : Berlin a imposé un euro surcoté, une Banque centrale européenne impuissante, un culte de la rente.
Le gouvernement allemand entend aujourd’hui mettre sous tutelle les « Etats défaillants » (Grèce, Portugal…). L’Allemagne a monté avec la Russie un étrange accord sur la diffusion gazière sur l’ensemble de l’Europe. Et de jour en jour, il apparaîtrait naturel de considérer l’ensemble du peuple allemand comme ontologiquement « vertueux », comme les Français seraient naturellement « affables », les Anglais « capables d’humour », les Ecossais « économes » et les Italiens « excellents vendeurs de pizzas ».