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Un mouvement de redressement se profile: L'onde de choc touche l'UGTA

par Ghania Oukazi

Les initiateurs du mouvement pour le changement dans l'UGTA appellent l'ensemble des syndicalistes à réfléchir sur les moyens de mettre en œuvre l'alternative qu'ils ont rendue publique la veille du 1er mai.

C'est donc dans la journée d'aujourd'hui qu'ils vont diffuser leur communiqué N°2 pour avertir ceux qui soutiennent leur initiative que le moment est venu pour se concerter sur les méthodes et les moyens pour provoquer le changement au sein de l'UGTA. Rencontré au détour d'un quartier, l'un de ces initiateurs de ce mouvement n'a pas hésité à nous en expliquer les principes fondamentaux. Il s'agit de l'ancien secrétaire national, Mohamed-Lakhdar Lakhdari, membre influent dans son temps au sein de l'Organisation mais qui a préféré troqué en 1996, son mandat contre un autre, celui de député au nom du RND. L'on note que les membres du mouvement pour le changement dans l'UGTA ont tous été des secrétaires nationaux qui connaissent donc parfaitement l'organisation de l'intérieur, ses clivages, ses faiblesses, ses multiples allégeances au pouvoir ainsi que l'ensemble des étapes qui lui ont été fait franchir. L'on retrouve dans ce mouvement Amar Mehdi qui a été exceptionnellement deux fois membre du Conseil de la Nation pour le compte du RND et Aïssa Nouasseri qui a été député au nom du même parti. L'on note aussi la présence dans ce mouvement d'anciens responsables de structures syndicales locales ou wilayales comme Ameur Mohamed ou Mohamed Benmeridja. Aujourd'hui, ils sont tous à la retraite, nous disent des syndicalistes en activité «sans aucune attache avec l'organisation.»

Mohamed-Lakhdar Lakhdari en parle sans complexe. «En ces temps, les luttes au sein de l'UGTA étaient là, l'idée du changement était aussi là mais elles étaient à chaque fois, confrontées à la mauvaise foi des dirigeants de la Centrale syndicale,» nous disait hier. Lakhdari a tenu à nous préciser que le mouvement «que je soutiens et auquel j'adhère fortement, revendique le changement. Je préfère ce terme à celui du redressement.» Le groupe avait rendu public un communiqué (N°1) la veille du 1er mai dernier pour appeler «les militants de l'UGTA sans exclusive» et «les bases syndicales à se pencher sur les idées développées (dans le communiqué) avec conscience et en faisant fi de tout sentimentalisme, régionalisme ou vision d'intérêts étroits.»

Avertissements

La première idée développée dans ce sens indique que «la situation de l'organisation syndicale n'autorise plus à l'attentisme. Agir est plus qu'un devoir pour chaque syndicaliste qui s'est investi et qui a consacré sa vie au service des principes et valeurs pour lesquels l'UGTA a été créée.» Les signataires déclarent que leur action s'appuie sur trois principes à savoir : «aucun de nous ne nourrit d'ambitions ou desseins, ni aspire à des privilèges, acquis ou postes au sein des structures de l'Organisation ; 2è principe : (?) L' UGTA (?)ne saurait (?) séparer le syndical dans son acceptation revendicative, d'une part, de la vision stratégique globale d'édification d'un Etat de justice, de liberté et de démocratie, un Etat à même de mobiliser l'ensemble de ses ressources pour l'essor économique et le progrès social, d'autre part«toute direction syndicale n'émanant pas de la seule volonté des travailleurs est vouée à l'illégitimité et à l'incrédibilité, combien même elle s'efforcerait de tenir des congrès préfabriqués, faits maison, sur mesure ou imaginaires avec l'aide des tiers. Ligotée donc, elle ne sera ni libre ni capable de choisir ou d'entreprendre.» Le 3è principe étant que «la présente initiative est venue en réponse à maints appels émanant de la base et exhortant au changement et à la rectification de la trajectoire de l'Organisation dans tous ses aspects.» Les initiateurs préciseront selon Lakhdari, dans leur communiqué N°2 d'aujourd'hui que «toutes pressions ou intimidations susceptibles d'être exercées contre les syndicalistes qui soutiendraient ce mouvement seront dénoncées au grand jour et condamnées avec la plus grande rigueur.»

«L'UGTA est une association caritative»

Ils avaient d'ailleurs pris leurs devants en rappelant déjà dans leur communiqué N1 que «(?) des appels émanant de milliers de syndicalistes, dont certains ont osé et donné leur avis à voix haute, tandis que d'autres n'ont pu franchir le mur de la peur face à la férocité de la machine de la répression qui, à l'intérieur de l'Organisation, écrase et guillotine toutes les têtes qui revendiquent le changement ou un SMIG en matière de liberté d'opinion et d'expression.» I

Lakhdari nous a indiqué que «ces principes découlent d'un certain nombre de questions légitimes que nous nous posons entre autres, où va l'UGTA ?». Il estime qu'«il est temps d'agir parce que nous considérons que l'Organisation, c'est notre histoire et notre honneur. Nous en sommes jaloux.» Il affirme qu'il n'est pas dans l'intention des initiateurs de changer les dirigeants actuels par d'autres «nous n'avons rien contre Sidi Saïd, ni contre personne». Notre interlocuteur en veut pour preuve, dans leur premier communiqué, ils exhortent «la direction actuelle de l'UGTA à réfléchir sur la présente entreprise dont le cheminement devrait être couronné par un acte salvateur historique.» Lakhdari rassure donc «ce n'est pas un règlement de compte, ce n'est dirigé contre personne.» Nous voulons dit-il «une organisation forte, représentative, crédible et revendicative.» Pour l'heure, l'UGTA ressemble selon lui «à une association caritative qui n'a aucun lien avec le syndicalisme.» Il rappelle que «l'Organisation a été signataire du pacte économique et social et pour cela, elle s'interdit d'encadrer les mouvements de contestation mais sans elle, il y en a eu plus de 2400 entre le 1er janvier et le 31 mars derniers dont une majorité issue du monde du travail.» Il interroge alors «où est la paix sociale dont on parle ?» Il estime que «l'UGTA doit reconnaître qu'aujourd'hui, elle n'a plus les capacités d'encadrer le monde du travail, il lui échappe complètement.» Encore une fois, il justifie l'utilité du mouvement en précisant que «du point de vue tactique, notre action n'a absolument rien à voir avec aucun agenda politique, ce qui nous intéresse c'est l'agenda syndical.» Lakhdari fait savoir que «des centaines de syndicalistes commencent à adhérer à notre mouvement qui se développe progressivement, des comités de soutien prennent forme à travers le pays.»

Les redresseurs à la recherche «du levain» au sein de la base

Ses initiateurs selon lui «veulent une UGTA indépendante des partis et du pouvoir, on pense que dans le contexte actuel, c'est dans l'intérêt de l'Etat d'avoir une organisation forte et crédible.» Il rappelle que «l'UGTA n'est pas née suite à un mouvement de contestation, elle n'a donc rien d'un syndicat comme ceux existants. Durant les années 90, elle a laissé des martyrs dans son combat contre le terrorisme.» Il en déduit que «l'histoire l'oblige à entretenir des relations avec le pouvoir certes, mais pas une relation d'allégeance.» Lakhdari revient quelque peu sur la signification de la paix sociale et rassure que «ces mouvements de contestation sont un signe de bonne santé du monde du travail parce que la stabilité qui conforte la stagnation mène à la mort. Nous vivons une stagnation dans tout !» Il pense que «la paix sociale d'aujourd'hui est artificielle, c'est la même que celle que nous avons vécue durant les années 80 et ses lots de programmes anti-pénuries (PAP) grâce à l'argent du pétrole.» Il reproche au pouvoir «d'être le seul interlocuteur du peuple alors qu'il doit avoir un contre-pouvoir.» Il reproche aussi «à l'opposition de n'être pas productrices d'idées, en 20 ans, elle n'a pas produit une élite politique digne de ce nom.»

Il est possible que le mouvement appelle à la tenue d'un congrès extraordinaire pour que l'Organisation puisse renouveler ces dirigeants «dans la plus grande transparence.» Mais avant, dit Lakhdari «nous aurions besoin d'une période de transition où la centrale devrait être dirigée par une direction collégiale comprise dedans l'actuel secrétariat national.» L'essentiel pour lui est de souligner que «nous ne sommes pas des putschistes, nous ne sommes pas pressés, nous avons tout le temps, espérons qu'il y a au sein de l'organisation le levain qui permettra de faire réagir la base et de réussir le changement.»

Du côté de la Centrale syndicale, les esprits quelque peu blasés «refusent toute polémique à ce sujet.» Ils ne sont en tout cas pas prêts à répondre à ce qu'ils qualifient de« ceux qui ont préféré changer de cap et de missions et qui reviennent aujourd'hui comme par enchantement à ce moment précis pour revendiquer une UGTA crédible alors qu'ils en ont été de grands responsables durant de longues années.» Un membre influent du secrétariat national estime qu'«il est curieux qu'ils veulent le changement aujourd'hui pour une organisation crédible alors qu'ils ont été ses fossoyeurs lorsqu'elle l'a voulu l'être durant les années de plomb !»