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Algérie, 8 Mai 1945

par Abdelkader Leklek

C'était par cette sentence verdict, qu'un journaliste américain présent en Algérie, narrait le 8 mai 1945, quand tous les peuples de la terre fêtaient la victoire sur le nazisme, et la mise à mort de la bête immonde.

Il annonçait ébranlé, que : ?'la chasse était ouverte''. Réflexe typiquement américain quand l'on connaît, ce que représente la chasse dans la vie des américains de ces années là. Ce peuple pionnier, avait inscrit la possession d'une arme à feu dans sa constitution du 17 septembre 1787.

 Le deuxième amendement de la constitution des Etats-Unis, dispose que :

?' Une milice bien ordonnée étant nécessaire à la sécurité d'un Etat libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas violé ?'.

La chasse est un moment marquant dans la vie de ce peuple, et son ouverture, un évènement saillant. Ces hommes et ces femmes dans leurs usages cynégétiques, chassent tous les gibiers, à plumes, à poils, et même les alligators. La chasse fait partie du cadre de références de ce peuple, comme de celui de certaines autres populations.

En Algérie aussi, nous sommes chasseurs, mais chez nous, aucune chasse n'est permise, ni autorisée, au printemps. Nous savons et depuis des millénaires, que durant cette saison, tous les animaux s'accouplent, font des petits, que nous chassons, au début de l'automne. Nous laissons la nature faire son œuvre, nous donnons une chance aux gibiers, et nous permettons à ceux qui viendront après nous, d'avoir une occasion de profiter de ce plaisir qu'est la chasse.

Mais de quoi parlait donc cet américain ? Il décrivait l'ambiance sulfureuse, de l'hallali sonné, par la police, les milices et les militaires pour l'ouverture de la chasse aux algériens, dans l'Est du pays particulièrement, et à travers toute l'Algérie également. Et pourquoi ? Tout simplement, parce que légitimement, les algériens, entendaient s'affranchir du colonialisme français. Ils avaient été des milliers à être mobilisés, pour faire une guerre qui ne les concernait pas, en France et ailleurs. Et ils furent pour certains, enrôlés dans des unités qui les premières avaient libéré un territoire français. L'Ile de Corse avait été libérée par des tirailleurs algériens. Avec les 172 patriotes corses, 87 algériens venus d'Algérie, périrent durant les opérations. Ils étaient 3500 maghrébins à mourir pour la France, de novembre 1942 au mois de mai 1943.

Parmi ces braves, des centaines de soldats du 7e Régiment de tirailleurs algériens, cantonné à Sétif, avaient combattu entre 39 et 45, selon l'expression de Henri Alleg, de l'Italie au Rhin l'armée allemande du Reich nazi et l'avaient farouchement battue dans 100 combats, inscrivant à leur palmarès faits d'armes glorieux et citations. Le 17 mai 1945, ils défilaient après leur retour au pays sous les ovations de la ville d'Alger avant de rejoindre leurs foyers dans la région de Sétif dont plusieurs étaient originaires. Ils ne trouvèrent alors que deuil, désolation, ruines, morts sans sépultures et femmes humiliées, errantes et de chagrin ayant perdu la raison. Les habitants de Kherrata dans le Sétifois avaient été interdits par les légionnaires français d'enterrer leurs morts des mois durant. Tout cela parce que les Sétifiens, autorisés, défilaient le mardi 8 mai 1945 pacifiquement, c'était un jour de marché, ils avaient déposé leurs cannes et leurs bâtons sur invitation des organisateurs à la nouvelle mosquée, pour célébrer, comme tous les hommes et les femmes libres du monde, la victoire sur la bête ignoble et infâme, ils furent accueillis par les balles des policiers. Ils avaient osé ce jour-là déployer le drapeau algérien. En conséquence et ce n'est pas de la fiction, cela s'est réellement passé. Des dépouilles avaient été abandonnées dans le lit d'un oued des semaines, durant lesquelles leurs ossements avaient été blanchis par la pluie, les vents et les chacals.

Pourquoi tout cela ? Parce que des algériens à Sétif, avaient paisiblement défilés, en scandant : vive l'Algérie libre et indépendante, sur la rue de Constantine. Ils avaient cru en l'espoir suscité par la Charte de l'Atlantique, sanctionnant la rencontre, entre le président américain Franklin Delanoë Roosevelt et premier ministre britannique, Winston Churchill au large de Terre Neuve, du 26 Août 1941. Ce texte en son troisième point, mentionnait que :''les deux pays, respectent le droit qu'a chaque peuple de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre ; ils souhaitent voir le droit de souveraineté et l'autodétermination restauré à ceux qui en ont été privés par la force''.

En réponse à cette forme paisible de revendication, les fous de la police coloniale, qui cherchaient un prétexte, le trouvèrent dans le déploiement de l'emblème national, vert, blanc et rouge, en plein cœur de la ville, par des jeunes exaltés, par le triomphe de la liberté. Cette ville haute et altière, que ces forcenés, imaginaient pour l'éternité et à jamais, bleu, blanc et rouge. L'un de ces enragés, le commissaire de police de Sétif, Laffont, tira à bout portant, et tua, le chahid, Saal Bouzid, porte drapeau de la manifestation pacifique. Bouzid avait 21 ans, l'âge de tous les espoirs et de tous les rêves. Toujours selon Henri Alleg, le préfet du département de Constantine, dont Sétif dépendait alors, Lestrade - Carbonnel, avait la veille de la manifestation, donné aux autorités locales un ordre impératif : ?'faites tirer sur ceux qui arboreraient le drapeau algérien''. Ses sbires, le lendemain s'exécutèrent et réussirent leur coup. Dès lors, le massacre des algériens, sans armes dura deux mois et à travers toutes les régions du pays. Le 8 mai, relate l'historien Mohamed Harbi, dans un article publié par le monde diplomatique, du mois de mai 2005,'' le Nord constantinois, délimité par les villes de Bougie, Sétif, Bône et Souk-Ahras et quadrillé par l'armée, s'apprête, à l'appel des AML et du PPA, à célébrer la victoire des alliés. Les consignes sont claires : rappeler à la France et à ses alliés les revendications nationalistes, et ce par des manifestations pacifiques. Aucun ordre n'avait été donné en vue d'une insurrection. On ne comprendrait pas sans cela la limitation des événements aux régions de Sétif et de Guelma. Dès lors, pourquoi les émeutes et pourquoi les massacres ?''

A Guelma, Lavie grand colon, maire et minotier à Héliopolis, influent sur toute la région. Son avis fut décisif, pour qu'en dehors de Annaba, le premier lycée colonial se construise à Guelma, considérant le fort taux de la colonisation dans cette partie du pays, qu'il prétendait. Fort de cette position, il lui revenait de droit, croyait-il, de venir au secours de la panique des Européens de la région, puisque la colère de Sétif, fut en arrivant aux algériens de Guelma plus violente. Il raconte : « Dès la fin du méchoui du 8 mai, je décide de transformer le moulin neuf pour abriter la population d'Héliopolis, et tous les colons des environs que j'ai pu joindre. Au cours de l'après-midi, je fais construire un réseau de barbelés, long de 300 mètres, électrifié sous 3 000 volts et alimenté par le groupe électrogène de la minoterie. Meurtrières percées dans les murs d'entrée, portes obstruées par des herses renversées sur six mètres de profondeur et défendues par des feux croisés. La population protégée a vécu dans ces conditions pendant un mois jusqu'à ce que l'ordre soit rétabli ».

Le lendemain, le 9 mai le sous-préfet, André Achiary, qui avait été dit-on, un résistant, fera donner de la milice coloniale, qu'il prendra le soin de fortement armer sur les stocks de l'armée française, pour l'ouverture de la chasse. S'adressant aux colons, il leur lança :''Messieurs les colons ! Vengez-vous''. Des dizaines d'algériens furent sommairement abattus, par des apprentis barbouzes, fiers d'avoir été armés par le sous-préfet, dont ils ne devaient surtout pas décevoir les desseins. Ils tuèrent brutalement en ville et assassinèrent, au bord de l'oued Seybouse, et les corps des suppliciés, furent brûlés dans les fours à chaux de Kef-El-Boumba, à Héliopolis, pour tranquilliser monsieur Lavie, grand pourvoyeur de bienfaits, aux gendarmes, aux policiers, à toute la plèbe, et à toute la racaille de la colonisation. A Guelma et alentours il y eut par la grâce d'Achiary entre 2000 et 3000 morts. Les massacres durèrent tout le mois de mai 1945. Quarante six ans après ces massacres, en 1991, je fis la connaissance, du directeur du moulin, du sieur Lavie, nationalisé, depuis 1962, lors d'une de mes missions de serviteur de l'Etat. Un brave garçon, qui n'est plus de ce monde. Il me racontait, qu'il avait commencé à y travaille, dès l'age de 14 ans, et qu'il vieillissait avec le moulin. Il me racontait presque en se confiant, qu'il connaissait tellement le ronronnement des machines, que la moindre fausse note et que le moindre grincement dans l'engrenage de la mécanique, l'interpellaient. Il se réveillait la nuit affolé, pour éventuellement attirer l'attention, et réparer avec les travailleurs du service de nuit. Mais, me disait-il, ?' j'avais peur de rencontrer, dans les sombres escaliers en bois de la minoterie, les esprits chouhada, que Lavie et les colons de Guelma avaient, froidement passé par les armes et ensuite, pour ne pas, pensaient-ils, laisser de traces, incinérés. Elles étaient là les traces de mon épouvante horreur, insistait-il, c'était le moulin d'Héliopolis, les bruits des machines, qui la nuit, s'affolent, pour témoigner des atrocités. Smaïn, c'était son prénom, ne s'en était pas sorti, il est demeuré hanté, un gibier toujours traqué.

La contagion se propagea à Kharrata, où, à Chaabat Lakhra, des hommes menottés avec du fil barbelé sont jetés par des légionnaires du haut de la falaise.

Kharrata et toute sa région furent également bombardées, par des navires de la marine française à partir de la mer.

A Sidi Belabès, plus de 4000, personnes dont au moins 600 femmes, bravèrent l'interdit et défilèrent.

Le carnage se soldat par la mort 45000 algériens, selon les sources nationalistes, que la France coloniale, osa mettre en cause. Elle créa une commission d'enquête sur les violences, qu'elle fera présider par le généra Tubert. Mais elle aura vite fait d'y mettre un terme, pour accorder l'impunité aux massacreurs du peuple sans défense. Ce chiffre de 45000 victimes, est corroboré par les sources des services américains, qui eux avaient comptabilisés 35000 morts. Feu Mahfoud Kaddache, dans son ouvrage, l'Algérie des Algériens, rapporte que :'' sur les 5560 Algériens arrêtés,les tribunaux militaires en jugèrent 1319 : 99 furent condamnés à mort, 64 aux travaux forcés à perpétuité, 329 aux travaux forcés à temps, 250 furent acquittés, et 577 bénéficièrent de non-lieu ?'.

Ce fut pour l'histoire contemporaine de l'Algérie, un tournant décisif. La solution au problème, pour cette génération du 8 mai 1945, résidait désormais dans l'insurrection par les armes, contre la France colonialiste, et seulement cette solution. Les traumatismes occasionnés par ces évènements, accélérèrent le déclenchement de la révolution du premier novembre 1954. Kateb Yacine lycéen en évoquant ces massacres, disait : ?'Je serais resté un poète obscur, s'il n'y avait pas eu les manifestations du 8 mai 1945''. Lycéen à Sétif, il fut emprisonné, avec d'autres, tel Abdelhamid Benzine, pour avoir participé à la manifestation. A quelque chose malheur est bon, diront certains. Malgré la perte de toutes ces vies humaines, les massacres, les tueries, l'extermination et les destructions. Ce 8 mai 1945, apporta un avant goût de libération, même s'il était ce printemps là amer et mordant. Ce fut le prélude d'une ère nouvelle. L'historien Harbi, termine son article, par cette affirmation :''La guerre d'Algérie a bel et bien commencé à Sétif le 8 mai 1945''.

La conviction des hommes et de femmes, et leur foi en la cause d'indépendance de l'Algérie, fut tellement forte et sincère, qu'ils y parviennent, le 5 juillet 1962.

Est-ce à dire qu'il faille dès lors oublier ?

La réponse est non, pour que nul ne dise, je ne savais pas, et pour que cela ne se reproduise plus ici en Algérie ou bien ailleurs. Nous devons au nom de la mémoire collective entretenir le souvenir, contre l'autisme et l'amnésie, qu'entretiennent certains. Et ce n'est pas ici, l'expression d'un émotionnel non encore stabilisé. Cela fait 66 ans, qu'il nous a été fait outrageusement violence, mais nous voulons vivre sereinement avec notre histoire, fut-elle un jour, contre nous brutale. La France doit-elle s'excuser et demander pardon ? Oui. Mais, si elle s'obstine à ne pas le faire, doit-on se focaliser et faire une fixation, sur cette négative attitude ? La repentance, signifie l'expression publique du repentir d'une faute, pour laquelle on demande pardon, disent les spécialistes. Cependant, dans ce cas, il doit être fait obligation à la France d'assumer son histoire et toute son histoire coloniale. Et pas seulement, de se faire plaisir, en promulguant une loi «portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés, du 23 février 2005 », qui dans son article quatrième, énonce : «Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ».

Effectivement la France et ses colonialistes ont naturellement le droit de rêver et c'est tout. Mais à chaque réveil, la réalité les rattrape et les interpelle à tout moment, pour qu'ils acceptent et endossent, la responsabilité des actes sauvages et inhumains, qu'ils ont publiquement et en flagrant délit commis. Et qui dit responsabilité, engage son auteur au devoir de répondre de ses actes et à supporter les réparations qui en résultent. Nous autres convaincus et forts de notre morale et de notre éthique envers nos chouhada, et du respect que nous leur témoignant, il nous suffit en reconnaissance à leur martyre, de vivre aujourd'hui en notre terre d'Algérie libre et indépendante. Cette Algérie telle que légitimement revendiquée aux prix du sacrifice suprême par les algériens qui avaient le 8 mai 1945, affronté les mains nus, les armes de la police et des milices coloniales. Cependant la France doit moralement faire amende honorable. Le pays des droits de l'homme et du citoyen, n'à plus le pouvoir du déni de droit à notre égard .Il ne peut éternellement se désavouer.

Alors et attendant, sans haine, et sans freiner des quatre fers, pour voir, ce qu'entreprendra la France. Je convie les Sétifiens et éminemment, le premier d'entre eux, monsieur le Président de l'Assemblée Populaire de Sétif, d'engager la réalisation intelligente, comme je suis sûr, ils sauront esthétiquement le faire, du mémorial du 8 mai 45. Où ils inscriront, l'Algérie reconnaissante à tous ses chouhada, offre cet espace à tous ses jeunes.