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Le 1er Mai : fête des travailleurs ou de l'UGTA ?

par El Yazid Dib

Tout semble dire que le pays, par son pouvoir a fêté un syndicat. Le sien.

Les travailleurs ont eu droit à une journée chômée et payée. La fête est ailleurs.

Elle se trouve dans les cortèges officiels interdits aux travailleurs, car composés en majorité de leurs délégués costumés et cravatés. Elle est aussi dans les inaugurations, les salles à manger et les buffets. Le patron des travailleurs s'accoquinant avec un ministre du travail, censé être philosophiquement un employeur exploiteur, s'attarde lui aussi plus dans le festin que dans le discours. Il est de ces situations ubuesques qui vous pétrifient le cerveau citoyen que vous prétendez avoir. Comment construit-on des sièges faramineux à une seule entité syndicale. L'UGTA. Financé sur PCD ou sur le sectoriel, le siège n'est qu'une provocation face à la population qui croupit dans des taudis et sous des toits de zinc. Le comble c'est qu'il s'inaugure par des représentants de la république, un ministre et un wali. L'argent du trésor est censé être partagé pour et par tous dans un intérêt de service public général et collectif. Pourquoi, dans la foulée ne pas faire autant pour les différents syndicats opérant dans la lutte sociale ?

 Si le pays s'est engagé, voilà plus de vingt ans, dans une approche de pluralisme politique, en matière syndicale, il est toujours au seuil de l'idée syndicale unique et exclusive. L'on veut dire aux travailleurs ou aux autres travailleurs qui ont tant d'années d'exercice de citoyenneté que le syndicat n'est autre que celui qui s'accroit aux parois du système. L'obéissance docile et la discipline servile qui a régné des années durant dans le monde du travail n'est pas tout aussi prête de subir des reformes substantielles à l'instar de celles annoncées et promises dans le monde politique. Le pouvoir dans sa quête de pérennisation cherche à se hisser à un niveau d'égalitarisme par des formations dites a caractère politique et se protège par et à l'aide d'organisations associatives, corporatistes, fédératives et? syndicales.

Depuis janvier, par effet secondaire de la fièvre révolutionnaire tunisienne et égyptienne les mouvements de protestation par centaines ont rempli l'actualité nationale. Aucun secteur n'en est épargné. La grève qui est un cas typique de la prophétie de la contestation voire l'un des plus performants outils revendicatifs s'agrandit de jour en jour en une combinaison politique. Opter pour la paralysie des instituions vitales du pays n'est qu'une volonté purement politique destinée à faire secouer le pouvoir en place. A-t-on vu l'UGTA manifester un dessein de faire changer les données sociales ? Est-elle à l'avant garde des concessions que devait faire le pouvoir face à la grogne qui fissure le pays ? bien que non. Elle se trouve totalement en déphasage avec l'actualité. La lutte des clans qui a remplacé celle des classes se fait aussi par institutions interposées. La grève, les marches, les coupures de routes, le gaz butane, l'émeute sont la parfaite expression d'une grogne insufflée à qui de droit, pour ramener un système à se réviser en conformité aux désirs de faux conseillers, de mauvais précepteurs et d'inutiles inspirateurs. Toutes les entités syndicales ou ayant l'apanage ont fait dans cette mouvance, sauf l'illustre centrale.

 La notion de la protestation a connu à travers la formation des générations et des civilisations moult grandeurs et décadences. La grandeur se limitait à l'image des leaderships, ces visages charismatiques qui faisaient du rêve des réalités. Engels, Rosa Luxembourg, Lech Valesa, Aissat Idir. Quant à la décadence, elle gisait, tenace et ternie tant bien que mal, sans limite ni pudeur dans les cavités nauséabondes qui hantaient le corps de nouveaux militants, de charlatans aux faibles prédictions politiques. La contradiction dans un système ramène toujours, sa viabilité au bord de la déperdition quand ce n'est pas à la disparition sismique de le guetter à la moindre faille. Et pourtant l'exercice politique peut être aussi astreint au passage obligatoire dans un sens unique rarement giratoire, par des actions d'envergure syndicales ou partisanes. Là, se pose toute l'alternative de la science des techniques de la manœuvre politicienne. Un syndicat ; est-il l'appendice d'un parti ou son géniteur ? La réponse diffère d'un horizon à un autre. Elle se formule selon des critères préalablement établis. Tout dépendra de la force que représente le père ou le fils. Chez nous, du moins la centrale syndicale a le privilège d'être la plus ancienne formation, certes d'apparence syndicale mais d'origine purement et exclusivement politique. N'était-elle pas sous l'obédience directe du FLN, très active et pleinement engagée dans la lutte armée contre l'occupation coloniale ? Elle incarnait dans ce temps par définition outre, les travailleurs algériens dont la majorité n'étaient pas structurés comme tels du fait de l'exclusion sociale et l'inégalité qui les frappaient d'une part, et du statut de seconde citoyenneté qui les cantonnait aux simples activités rurales de commis ou de métayers. L'indépendance fut arrachée par tout un peuple uni et homogène dans la diversité sociale, politique, partisane ou syndicale. Ainsi la vision du développement économique prit une option collectiviste. L'UGTA, gérait en « autogestion » les moyens de production ; les prestations de service, la culture et la société nationale. Organiquement, elle pouvait modeler le choix de l'expansion économique. Sous la mission sempiternelle et légitimement admise de la défense des intérêts moraux et matériels des travailleurs, raison majeure dans son existence ; ses leaders, il y en a eu ; accompagnaient sans rechigner avec peu ou prou de conviction, l'arsenal de mise en place des grosses politiques de industrielles et industrialisantes. . On aurait vu la corporation syndicale s'investir davantage dans la révolution agraire. La révolution, nous disait-on est une et indivisible.

La centrale de la place du premier Mai gardait quand bien même cahin-caha, une certaine position tellement controversée qu'elle s'était injectée au grand jour dans les lignes et les alinéas de tout projet de loi susceptible selon des lectures parfois insidieuses, de tendre à pervertir les choix essentiels nationaux. L'école, les hydrocarbures, les assurances sociales, la gestion du chômage, le régime salarial et indemnitaire, les prix et le pouvoir d'achat, les licenciements, les élections, la privatisation et le terrorisme ont formé au fil des ans le cahier des doléances syndicales. Au niveau de la fonction politique pratiquée par le syndicat, l'histoire a retenu le rôle rédempteur dans la sauvegarde de la république suite au marasme de 1991. Feu Benhamouda en était un héros incontesté. La démocratie alors n'était qu'encore naissante et le péril incisif menaçait jusqu'aux fondements de l'Etat et de la république. Les partis étant quelque part néophytes, un équilibre politique devait surgir au sein de la société.

Dans son domaine d'intervention légale l'UGTA endurait mal l'apparition de la concurrence politique avec la confection sur mesure du SIT. Le multipartisme faisait ses premiers bégaiements et progressait lentement alors que le multi syndicalisme et à ce jour n'a point connu une progression harmonieuse qui va de paire avec l'évolution des mentalités et la maturité distincte de chaque travailleur. Ici et là, pour la façade l'on laissait agir et quérir certains micro-syndicats s'identifiant autonomes, mais qui sont devenus menaçant et redoutables au fil de la contestation. Ils se sont remarqués surtout dans l'éducation, grande pourvoyeuse de fonctionnaires. Mais il leur est toujours défendu d'aspirer à s'unir sous l'égide d'une confédération algérienne des syndicats autonomes. C'est de cette manière que l'on fortifie L'UGTA.

Pour le bonheur de ses animateurs, L'UGTA utilise à bon escient la turpitude des gouvernants. Contrairement aux partis officiels qui pour s'exprimer, marcher, soutenir ou dénoncer sollicitent un accord préalable, l'UGTA, tel un grand rassemblement partisan prend de la caisse publique toutes les dépenses pour manifester, faire une déclaration, afin justement de soutenir une candidature de pouvoir ou une mesure du même pouvoir. La tripartite sera telle une recompose gratifiant l'effort consenti. Un peu comme du sérum.

En somme, le monde du travail est totalement miné. Le combat restera longtemps inégal. Sans véritable intention de vouloir améliorer les choses. La morosité subie par des travailleurs écorchés et mis en otage ou une population lasse et fatiguée n'est pas en mesure d'être expliquée par un seul syndicat. C'est vrai que cette organisation a tant donné, a tant brillé. Mais, le temps de se refaire un lifting n'est-il pas arrivé ? A voir des travailleurs qui font du syndicalisme un métier, d'autres une carrière, ça vous expédie droitement vers la migraine politique. A les voir, tous au moment où ils discourent sur le prolétariat et les damnés de la terre, ils les offensent en se mettant plus en vue vestimentaire, que les patrons et les directeurs de ces employés. Le phénomène de rejets de ces « responsables syndicaux » a gagné toutes les sphères. Il ne se passe pas de jour dans une grève où le « UGTA dégage ! » n'est pas arboré par-devant les grilles de SONELGAZ ou de SONA-AUTRES. Il ne s'agit pas là d'un reflexe d'excrétion envers l'existence de syndicale beaucoup plus qu'il est affiché envers ceux qui la représentent. Ils sont assez durés. Ils sont toujours là aux premières loges à cotés des gens du pouvoir s'assimilant par pathologie à des gouverneurs. Ils offensent le public. Basta.

L'UGTA risque de perdre tout son aura historique et son vaillant combat, si son mode de fonctionnement continue à agir dans un pur esprit de fonctionnariat. Les visages eternels et pérennes qui ont longtemps fait l'icône malheureuse de l'entité doivent prendre leur retraite. Ces gens qui s'émerveillent à chasser les privilèges et autres avantages, n'osent pas, depuis peu affronter «leurs travailleurs» soumis aux charmes des grèves et des revendications. L'exemple des éboueurs de Sitifis est significatif. Les syndicalistes en smoking le jour, en jogging la nuit, en gandoura le vendredi scrutent l'amoncellement ordurier sans pour autant, s'inquiéter outre mesure. Gueulés et abominés, Ils ne furent ni pour, ni contre. Un jeu d'équilibrisme. Ni avec la chèvre, ni avec le loup (dhib). Placidité. Expectative. Une fois la crise dénouée, l'apparence et la récupération font leur besoin. Dans d'autres secteurs, le syndicat ugtiste est recruté comme auxiliaire à l'administration. Celle-ci passe toute son humeur par celui-là. Pourvu que certains potentats syndicaux agissant dans le sens du poil puissent recevoir en nature grades et distinctions. Cette année ; le message du président de la république a fait l'impasse sur la centrale syndicale. Lue à l'université de Sétif, la lettre présidentielle a mis en exergue le travail, la jeunesse et le développement. Point de clin d'œil à l'UGTA. Fin de l'hégémonie ?

Le premier mai en fait, est-il une fête des travailleurs ou celle de l'UGTA ? Les travailleurs sont-ils tous affiliés à cette union ?