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SANGLANTE IMPASSE DAMASCENE

par K. Selim

La Syrie sombre littéralement dans le cycle des manifestations-répressions. Chaque grande manifestation du vendredi s'achève dans un carnage, en approfondissant la détestation des Syriens à l'égard du régime de Bachar Al-Assad et en renforçant leur détermination à exiger la levée de l'étau politico-policier.

 Le thème fédérateur de la politique étrangère « résistante » ne fonctionne plus comme facteur d'adhésion et n'inhibe plus la contestation. L'opposition syrienne, qui emprunte clairement aux exemples tunisien et égyptien, s'est totalement décomplexée sur cette question. L'ampleur des sacrifices consentis par les manifestants montre que les Syriens ont transcendé l'impasse de la peur. Les possibles ingérences étrangères évoquées par le régime sont totalement secondaires dans la mise en mouvement des Syriens. Elles risquent pourtant d'aller crescendo à mesure que le régime s'enfonce dans une logique répressive sans issue.

 Pourquoi le régime syrien, qui a vu ce qui s'est passé en Tunisie, en Egypte et, plus gravement, en Libye, fait-il preuve de rigidité et d'incapacité à esquisser un vrai début de réponse aux demandes légitimes exprimées par la population ? Vue de l'extérieur et à l'aune des expériences récentes, cette posture semble relever d'un aveuglement inexplicable.

 Mais, au fil d'une répression sanglante, il apparaît que le régime de Damas est dans l'impasse et pressent que toute concession signifierait sa propre fin. Des responsables visionnaires auraient rapidement admis que la sauvegarde de la Syrie passe avant celle du régime. Manifestement, ce n'est pas le cas dans un pays qui, rappelons-le, est le seul avec la Corée du Nord où la transmission héréditaire du pouvoir a été effective. Ce qui, on ne le dira jamais assez, a été vécu comme une humiliation par de très nombreux Syriens.

 Pourtant, en dépit de cette affligeante succession dynastique dans un système prétendument républicain, certains avaient espéré que la jeunesse de Bachar Al-Assad pourrait favoriser une amorce d'évolution. Il a bien fallu déchanter. Dans un pays dominé par les appareils sécuritaires rentiers, le système en place ne laisse aucun champ à la politique et donc à la possibilité de transformations pacifiques.

 Aujourd'hui, Bachar Al-Assad est totalement prisonnier de la logique de bunkérisation dans laquelle le régime s'est enfermé. Cette logique est fondée sur la conviction que toute réforme du régime serait un signe de faiblesse qui entraînera la chute du régime et celle du clan familial qui le domine.

 La tragédie syrienne est bien dans ce constat : le régime est incapable de changer mais il est capable d'infliger de très sérieux dommages. Il a créé de manière souterraine les ferments de tensions confessionnelles sur lesquelles il peut jouer en mettant en danger l'avenir de la Syrie en tant que nation. Incapable de réforme et privé de discours audible, le régime n'a plus d'autre argument que la menace d'un effondrement généralisé.

 Avec ce chantage comme seule proposition, le Baath familial au pouvoir à Damas n'est plus qu'une force de nuisance.