Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le 1er Forum des hommes d'affaires maghrébins est-il porteur d'un projet concret ?

par Ali Tehami*

«Entraidez-vous pour votre salut et votre bien et non pour être ennemis les uns les autres » (Le Saint Coran, Sourate 4 : El Maïda, Verset 2)

Sous le haut patronage de Monsieur le Président de la République, l'Algérie abritera les 10 et 11 mai 2009 à Alger, le 1er forum maghrébin des hommes d'affaires. Cette manifestation est organisée par l'Union maghrébine des Employeurs, composée de l'UTICA pour la Tunisie, de la CAP pour l'Algérie et la CGEM et de l'UNPM pour le Maroc. De coeur avec cette initiative, nous souhaitons la bienvenue à tous les participants et le plein succès dans leurs travaux dont la mesure où cette rencontre apportera un projet concret de promotion d'un partenariat intermaghrébin débouchant sur une Union Economique Maghrébine recherchée.

Ce colloque n'a malheureusement affiché aucun ordre du jour et des thèmes à débattre pour cette rencontre pour informer le public sur l'objectif de ce forum. Seul le slogan qui a accompagné le placard publicitaire paru sur le quotidien El Watan porte le titre suivant: «Le Maghreb des Entrepreneurs, pour une économie maghrébine forte et solide». Cette devise nous semble t-elle, a été puisée dans les archives du 1er colloque des Entrepreneurs maghrébins qui s'est déroulé du 12 au 14 novembre 1993 à Marrakech. (Maroc).

Cette première rencontre a eu le mérite d'avoir utilisé une communication fiable pour informer les participants et l'opinion maghrébine dans son ensemble de son programme avec des objectifs clairs.

Ainsi ont été débattus, la volonté politique pour la croissance forte; le cadre juridique et réglementaire; l'exportation maghrébine ; la libération des prix et le chômage; l'épargne et l'investissement ; l'éducation et la formation des jeunes et leur intégration dans la vie économique ; l'ouverture des pays riches aux exportations des pays maghrébins; la gestion des complexités et des transitions; la politique financière et monétaire; le rôle de l'Etat ; ainsi que les privatisations.

Des ateliers sectoriels ont été organisés. Ils se sont penchés sur: l'agriculture, les travaux publics, l'immobilier, l'industrie manufacturière; les industries de base: le pétrole, phosphate, fer; le transport; les services: banques, assurances; la communication, les infrastructures et le tourisme.

Ce colloque, préparé avec soin par des consultants spécialistes endogènes sous la houlette de Monsieur Mourad MEDELCI pour l'Algérie, de Monsieur Abdelhadi ALAMI pour le Maroc et de Monsieur Tidjani HADDAD, initiateurs et coordonnateurs du Comité a pour objectif fondamental : la concrétisation d'un Marché Commun Maghrébin fonctionnel dans les meilleurs délais.

L'unanimité des participants a porté sur l'impulsion des échanges dans les branches d'activités porteuses.

Ce colloque, pourtant, bien conçu qui a regroupé 600 participants actifs dont 250 entrepreneurs algériens, 200 maghrébins et 75 tunisiens s'est doté de tous les moyens de réussite; il fut clôturé par la signature d'une convention donnant naissance à l'Union des Entrepreneurs maghrébins sous forme de Confédération Patronale Maghrébine réunissant la CGEM et l'UNPM pour le Maroc, l'UTICA pour la Tunisie, la CAP, la CGOEA, l'UNEP et la CNPA pour l'Algérie. Dans la foulée un porte feuille d'actions a été arrêté, il est question d'agir rapidement pour un meilleur fonctionnement des accords passés déjà avec l'UMA; la normalisation des instruments modernes de promotion et de régulation des investissements créateurs de richesse et d'emplois; la création d'un guichet unique pour l'accueil des investissements; d'engager une stratégie, globale et des stratégies sectorielles en vue d'atteindre une croissance forte et durable rêvée. Il est aussi, question de la création d'une banque maghrébine de crédit, d'une banque de données, d'une zone de libre échange maghrébine. Un calendrier a été fixé portant sur la libre circulation, des hommes, des biens et des services, une Union Douanière à la fin de l'année 1995 et la création du Marché Commun Maghrébin à la fin de l'année 2000. Dans le programme assigné, il est question de créer une fondation de l'Entreprise maghrébine à Marrakech, un Institut de Recherches et de la Prospective à Alger et une banque de données des Opérateurs maghrébins à Tunis. Le deuxième colloque devait se tenir en 1994 à Tunis. Ce colloque par la qualité de ses organisateurs et de ses participants, la volonté déployée pour accélérer le processus d'intégration d'un Maghreb économique s'est fondue tel un morceau de sucre dans un verre d'eau ; par la faute des esprits étroits, des égoïsmes des politiques étriquées et de leadership. Seize ans passés après ce colloque, vingt ans après la signature par les Officiels de nos pays de l'acte de naissance de l'U.M.A, la situation n'a pas changé d'un iota. Les statistiques restent stagnantes: les échanges intermaghrébins n'ont jamais dépassé 3%. Ce chiffre est si dérisoire qu'il tourne nos pays en dérision. Le reste c'est-à-dire 97% s'effectue avec les grands ensembles qui nous dominent dont uniquement la France se taille la part du lion avec 65%. Après cet historique vide de fierté maghrébine, triste et morose, l'on se demande que peut nous apporter ce 1er forum des Hommes d'Affaires maghrébins version 2009 pour réveiller les Maghrébins de leur léthargie de mettre fin à leur méfiance entre eux et répétons-le de les débarrasser de leurs mesquins égoïsmes. Ces Hommes d'Affaires sont-ils en mesure de rétablir la confiance des Algériens entre eux des Marocains entre eux et des Tunisiens entre eux pour aboutir à une confiance, ensuite, entre les Maghrébins dans leur ensemble. A des nuances prés, nous sommes logés à la même enseigne; pour investir dans chacun de nos pays, l'Homme d'Affaires ou l'Investisseur doit faire un «parcours de combattant». Alors qu'en Chine où la bureaucratie est des plus pesantes au monde, on vous délivre l'autorisation d'investir dans un délai de quarante huit heures. A propos de la méfiance, et avant d'écrire ce papier, nous avons demandé l'opinion d'un Président d'une Confédération Patronale Algérienne, tout de suite et sans réfléchir il réplique machinalement «pour quelle Confédération travaillez-vous ?» c'est dire que la méfiance est devenue une seconde nature entre nous.

Parler d'une Union maghrébine pour une croissance forte relève d'un verbe creux pour le moment. Avant de mettre à niveau les mentalités des entreprises, il faut mettre à niveau celles des entrepreneurs ; avant de mettre celles des entrepreneurs on doit mettre à niveaux celles de ceux qui gèrent les institutions politiques, administratives, législatives et juridiques. Pour devenir les dragons de l'Asie ces sept pays asiatiques ont compris que c'est l'éthique, la déontologie des affaires qui font les puissants et non l'inimitié, l'opportunisme et la démagogie. Peter DRUCKER (père du management) a écrit tout un livre sur la réussite des japonais grâce à l'intégration de l'éthique des affaires dans leur stratégie. L'éthique est produite par la confiance en soi, et la confiance en ses propres forces et non en celle des autres comme pratiquée dans nos pays. Sans confiance, les Maghrébins ne seront que des «tigres» en papier. Confucius disait «quand un sage a les yeux braqués sur le ciel pour scruter et pénétrer ses mystères, l'imbécile porte son regard uniquement sur ses pieds ».     La croissance forte comme l'informatique n'est l'apanage d'aucun pays. Elle est à la portée de tout pays qui a une conscience nationale dans le sang. Les pays asiatiques qui ont réussi ont mis l'intérêt économique avant l'intérêt politique. Il en est de même des pays de l'U.E. (Union européenne), de langues différentes, de politiques divergentes et pourtant unis par l'intérêt économique. L'U.E en s'appuyant sur ses propres forces économiques pèse d'un poids écrasant la scène mondiale. Au risque de réveiller les ulcères de nombreux maghrébins nous dirions que nos pays ont depuis longtemps rompu avec leur conscience nationale.

Egarés, depuis leurs indépendances politiques respectives, ils ne cessent de patauger dans les méandres de la mésaventure de la conscience nationale (cf Frantz FANON : « les damnés de la terre »). Cette mésaventure répétons-le a conduit aux pratiques de l'opportunisme, de la recherche du pouvoir et de l'avoir, contraire aux valeurs de l'Islam vrai. Une unité économique maghrébine ne se réalise pas avec du « zelt outferaïn ». Elle est possible à condition de nous réapproprier notre conscience nationale qui est celle de l'éthique des affaires, de l'esprit chevaleresque et du respect de la parole donnée, valeurs héritées de nos pères et de nos aïeux.

La prise de conscience est une arme pour libérer nos pays de la dépendance, de l'assistanat extérieur et de la mésentente ridicule et de nos égoïsmes d'un autre âge. Une fois, cette conscience incrustée de nos âmes, nous pouvons imaginer et réaliser notre propre modèle de croissance dans une Union maghrébine forte et durable.

Les participants, hommes d'affaires sont-ils armés à ce point de l'esprit de confiance et de transparence pour démanteler les frontières politiques infantiles et déloyales qui ne profitent qu'aux étrangers, pour construire cet espace économique intégré qui avantagera avant tout les Maghrébins et leur postérité ? Dans le cas contraire nous verserons cette rencontre au compte d'une réunionnite philistine et sibylline.




*Enseignant universitaire en retraite



 



Télécharger le journal