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Le Caldoune de nos anciens

par Sid Lakhdar Boumédiene

Lorsque j'étais très jeune, il arrivait à l'un de nos anciens de pâlir de frayeur, d'élever ses mains au ciel, d'écarquiller les yeux de terreur et d'un ton tremblant prononcer une phrase : «CALDOUNE, aïe aïe aïe !»

Je ne comprenais pas ce mystérieux mot. Je me disais que ma francophonie ne pouvait comprendre certains mots en arabe, les plus rares.

Dans une plus grande classe en niveau, j'ai tout de même écarté l'hypothèse d'Ibn Khaldoune. Nos anciens étaient intelligents mais pas instruits à ce point, c'était une époque lointaine.

Alors, un jour, beaucoup plus âgé, j'ai sursauté en disant «Eurêka, j'ai trouvé !».

C'était en lisant le célèbre livre «Papillon». Le récit d'un prisonnier revenu du bagne de Cayenne, un livre dont le succès fut mondial et qui eut les honneurs d'Hollywood par un magnifique film.

Certes, il s'agissait de l'île du diable, pas loin de Cayenne, mais dans les commentaires des journalistes de l'époque, la comparaison avec le bagne de la Nouvelle Calédonie était évoquée.

Et comme des Algériens y furent envoyés, j'ai enfin compris ce mystérieux mot qui faisait réagir de la sorte nos anciens. Caldoune pour Nouvelle Calédonie.

C'était pareil pour beaucoup d'autres mots comme «Bendinti» pour lequel je me suis aperçu, bien longtemps après, dans mes cours de droit, qu'il s'agissait de la patente, un ancien impôt dû par les commerçants et les artisans. Je finirai par celui qui me plaît le plus, sans vulgarité aucune, «Boudjadi». Il n'y a que quelques années que j'en ai découvert le sens. Il s'agissait en fait d'un village proche de Casablanca, Poujade, au temps de la présence française. Lorsque ses habitants venaient à la grande ville, ils paraissaient un peu décalés par rapport à l'instruction et la modernité des gens de la métropole. D'où ce nom que l'on utilise machinalement sans en connaître la signification.

Moralité de cette histoire, il faut beaucoup de maturité pour comprendre la sémantique de nos anciens. Finalement, ils n'étaient pas illettrés, ils avaient une profondeur que seules les années d'expérience pouvaient atteindre.

C'est dire combien d'années d'expérience en âge j'accumule !