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Les jeunes Algériens : des sans-dents

par Kamal Guerroua

Dans «Merci pour ce moment», Valérie Trierweiler l'ex-compagne de François Hollande aurait écrit que ce dernier qualifiait, souvent, en cachette et par humour, les pauvres de France de «sans-dents». Une alerte à la bombe à l'Élysée! Ce qui n'a pas manqué de soulever, d'ailleurs, dès la sortie de ce bouquin, un énorme tollé parmi les classes défavorisées qui croyaient, encore, en un président normal, sympathique, porteur d'une certaine justice sociale, solidaire des petites bourses et des démunis. Loin d'être un encens élogieux, le vocable de «sans-dents» est utilisé dans l'Hexagone, comme une offense péjorative à quiconque de trop précaire, fardeau social sur les épaules du contribuable, laissé-pour-compte. Voire un sans-ambition, crève-misère, sans-projet, sans-espoir, sans-souffle, sans-volonté, etc. Bref, un cas soç de la République que l'on devrait prendre en charge, en permanence, «dorloter», assister, aider, etc. D'autant plus qu'il ne fait que se laisser aller, gratter et profiter des prestations sociales, à titre gracieux. Un bras cassé, quoi! Par contre, le seul fait d'avoir des dents à l'intérieur de sa bouche porte à croire à tout autre chose! A savoir qu'on est toujours jeunes, vifs, ambitieux... utiles pour le fisc, la famille, les parents, les amis, le quartier, l'État, la nation, etc.

La sémantique des ?sans-dents' varie, toutefois, d'un pays à un autre. Si un quelconque responsable algérien y recourt, par exemple, pour stigmatiser dans une allocution publique, une catégorie sociale ou une autre de la société, cela prêtera vite à confusion et même à rire. Car c'est, incontestablement, ce même ?sans-dents' qui a, chez-nous, tous les privilèges : une auréole révolutionnaire qui le protège des abus des administrations «trop bureaucratiques», un statut social enviable, un gros ventre, un appétit vorace, une richesse inestimable en or, en argent et en immobilier, des pulsions d'on ne sait quelle nature qui dépassent, de surcroît, les normes, un libido très fort comme dopé par le viagra, des ambitions qui cassent des pierres, des rochers même, etc. Il vaudrait mieux, en conséquence, n'avoir guère de dents en Algérie pour dévorer la vie à belles «dents», profiter des largesses du système, grignoter dans les caisses de l'Etat, faire, illégalement, usage des biens de la collectivité, autant dire, gâcher la vie à ses concitoyens, tout court! Tout se mange, s'avale et se digère, facilement, à cet âge-là. Juste, il suffit de savoir bien manipuler une petite dose de salive pour ruminer les mots, bien les tourner, les rouler, puis les éjecter vite en slogans, discours pompeux et populistes, à l'attention de ces jeunes paumés qui possèdent, pourtant, tous, des dents mais qui n'en ont réellement aucune de valable! Il semble que la dent n'est en fait qu'un supplément inutile dans l'anatomie de l'Algérien. Elle ne sert à rien sauf à l'esthétique du visage. Les médecins ont prouvé, d'ailleurs, que dès lors que l'on perd nos dents, la bouche s'élargit et devient trop béante. Comme un silo, dans lequel on jette tout ce qui nous plaît de précieux, sans que l'on soit toujours sûrs qu'il en est plein. Comble d'ironie, même les maladies n'atteignent jamais les édentés. Ceux de chez nous en sont vraiment épargnés. On dirait qu'ils ont un système immunitaire fabriqué dans un laboratoire de Martiens! A telle enseigne que sur un conseil du ministère de la Santé et l'ordre des syndicats du personnel médical de la capitale, une circulaire est envoyée, à l'ensemble des hôpitaux et des facultés de médecine, du territoire national, les enjoignant à exiger de la communauté des citoyens, un régime d'hygiène de vie! Lequel pardi? Aussitôt un jeune arrivé à 18 ans, il est sommé de s'arracher les dents, question de rejoindre par raccourci le cortège de ses chanceux aînés. Rapidement et sans délai !