De la Révolution algérienne, qui mit fin à l'ère coloniale,
menée par un peuple uni autour de l'idéal de justice et de souveraineté, de
l'autodétermination et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ne subsiste
aujourd'hui que des reliques faisant l'objet de toutes sortes de polémiques et
de spéculations, pour cause : la confiscation de l'histoire qui devrait la dire
dans le sillage de la confiscation de la Révolution elle-même. Aujourd'hui, le
débat reste emprisonné dans ces spéculations et polémiques, sans jamais
parvenir à franchir le pas et les articuler avec le fond du problème qui se
résume à la confiscation de la Révolution, les processus mis en œuvre pour la
perpétuation de cet outrage et les discours de sa légitimation. À ce titre, la
souveraineté de l'État est totalement évacuée du débat, comme en reste les
structures mentales patriarcales qui président à l'entrelacement des réseaux de
la chaîne de commandement du système de pouvoir, que l'on a du mal à appeler
par son nom : une dictature militaire chaotique organisée autour du seul intérêt
collectif qui est la prédation. Dans sa sortie médiatique outrancière, par
laquelle Ould Kablia confirme l'assassinat délibéré d'Abane Ramdane et le
justifie, il ne fait que parachever cette confiscation de la Révolution par le
double meurtre du père. Le meurtre physique en lui accolant une justification
symbolique comme étant « le seul remède » pour atteindre les objectifs de la
Révolution. Prenant à contre-pied les théories analytiques, par la révolte des
fils contre un père tyrannique. Le meurtre symbolique en référence à la horde
primitive, qui consiste à écarter le père en tant qu'obstacle à
l'accomplissement de la civilisation et par extension, la transition de la
tradition vers la modernité. Par ce double meurtre, Ould Kablia déploie une
rhétorique qui mène à l'invocation de la raison d'Etat, au sens de la
justification du meurtre d'un individu ou d'un groupe pour sauver les intérêts
suprêmes de l'État. Un État en gestation certes, mais un État souverain vers
lequel devraient tendre les objectifs de la Révolution. Un demi-siècle plus
tard, et comme tout le monde le sait, les objectifs de la Révolution ont été
largement pervertis. Ni la souveraineté législatrice du peuple ni celle de
l'État n'ont été atteintes ! Ce dernier fait l'objet d'une surdétermination par
l'instance militaire et accessoirement par celle religieuse, auxquelles il est
profondément aliéné, privant le peuple de toute prétention à ses droits
fondamentaux les plus élémentaires, de ses droits politiques à sa liberté de
conscience. La justification de ce double meurtre par Ould Kablia et le système
de pouvoir dont il se pourvoie en défenseur, traduit en définitive un état de
malaise partagé par tous ceux qui ont participé de près ou de loin à l'outrage
fait à la Révolution du peuple algérien. De cet outrage est née une culpabilité
qui les condamne à une fuite en avant, vers plus de confiscation de l'histoire
et à la perpétuation de la confiscation de la Révolution du peuple elle-même.
Ces gens dialoguent avec eux-mêmes en espérant attirer le plus de clientèle par
la complicité dans leur outrage en neutralisant le débat par un dispositif
médiatique et ses tentacules ultra sophistiqués.