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Le vendredi est une maladie nationale

par Kamel Daoud

Vendredi, l'univers est une oisiveté. Selon soi, selon le pays et même selon les genèses du monde et les mythes de la création du monde en plusieurs jours cosmiques. Du coup, assis au carrefour de sa tête, on hésite entre les sujets.

Parler de Khalifa, c'est comme parler d'un os avec un homme qui a faim, dans un pays d'écumes. Cela mène aux mêmes questions d'il y a dix ans: sera-t-il jugé seul ? Avec quelques ministres et Sidi Saïd ? Avec la même juge ? La même ville ou la même tromperie collective ? Epuisant. De plus, on a maintenant une sorte de bête à deux têtes: Khellilifa. Khellil dans Khelifa.

L'un dans l'autre, mais l'un à la place de l'autre, selon la voix de la rue qui ne croit plus au réel sauf s'il est doublé de sourdes rumeurs. Second sujet ? Les députés qui demandent, au bon moment, un meilleur salaire et un passeport diplomatique. Du point de vue de la rancune nationale populiste, ils ne doivent pas, puisqu'ils ne représentent pas et nous sommes tous égaux et ils lèvent à peine la main et vont une fois par trois à Alger faire leur travail. Du point de vue technique, ils ont raison: on demande tous plus, pourquoi pas eux? Sachant que Bouteflika a assuré le passeport diplomatique pour sa famille large, pourquoi pas un député qui fait le sale boulot d'incarner la servilité ou l'absurde ou la minorité.

D'ailleurs, pourquoi s'indigner d'un salaire de député alors qu'un ministre peut gagner plus et coûte plus (lui, ses femmes et ses enfants) au contribuable et aux puits de pétrole ? Le mal, c'est que le politique est dans le technique qui est dans le moral qui est dans le salarial: ces représentants du régime (souvent pas tous) auraient dû demander plus de prérogatives, plus de pouvoirs sur les ministres qui les traitent comme des chaussures et sur le régime qui les méprise mais coopte et ne répond jamais à leurs questions. Sauf qu'on sait comment est construit la démocratie algérienne spécifique et unique. Ce cheptel a compris que le bon moment est là et qu'il faut faire comme les autres: couper une route. Celle qui relie la ville à la ville ou celle que va traverser le bonhomme pour se faire réélire. Du moins selon la voix de la rue, encore.

Troisième sujet? La fin de l'année est là. Dans quelques jours on sera le seul peuple au monde à être convoqué à des élections présidentielles alors que personne n'est sur la liste des candidats. Le politique national est un long vendredi sans fin depuis des mois. D'un côté, un régime vidé, assis, tremblant, à moitié ailleurs et qui a peur et fait peur.

De l'autre, le peuple, devenu foules, émeutiers puis coupeurs de route comme à l'époque des Ottomans. Aujourd'hui, on vient de passer à l'étape de couper les rails, les chemins de fer dans l'Algérois à cause de la pluie qui coupe l'envie de vivre aux mal-logés. La «vendredisation» est un état d'esprit lent, oisif, malade et sans but, qui peut frapper un jour de semaine, un peuple, un Etat ou même une nation et des plantes.

C'est une façon de traîner, marauder, ne rien faire, mâcher puis s'emporter puis se tasser et s'hébéter et ainsi de suite. L'Algérie a été créée en sept jours (une guerre de libération de sept ans). Le huitième jour, on s'est reposé comme dans le mythe. Et cela dure depuis. D'où cette ressemblance du pays au cosmos qui a la forme d'un œil unique et aveugle qui fixe un Dieu qu'il ne reverra pas encore.