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DES DAMNES AUX INDIGNES DE LA TERRE

par M. Saadoune

Les «Indignés» de l'Occident ne sont pas encore une alternative à un système qui a eu, historiquement, la redoutable capacité de se relancer par les guerres dont le chemin est pavé par les idéologies du racisme et des haines. Et qu'on se le dise : ce système fabrique chaque jour, sous nos yeux, les ingrédients de nouvelles guerres pour détruire et relancer le «marché». Ces Indignés sont d'abord ce qu'ils énoncent : des femmes et des hommes qui refusent de se résigner devant une situation intolérable, où un petit groupe de ploutocrates et d'acteurs anonymes du marché (1% de la population) impose ses infernales logiques aux peuples.

Ils expriment, avec la vigueur de la jeunesse, le sentiment que cette situation n'est pas une fatalité et qu'un autre monde avec une autre économie est possible. Et il n'est pas anodin que ces mouvements mettent la «démocratie» au cœur de leur action. Oui, la démocratie ! Celle qui reste encore à faire et à parfaire dans des pays qui sont officiellement et techniquement des démocraties. Les Indignés peuvent s'exprimer et contester car ils bénéficient des acquis et des espaces gagnés de haute lutte par les peuples. Et que l'ordre en place cherche à réduire. La démocratie reste toujours un combat. Et les Indignés lui redonnent de la vigueur et du sens et la sortent du «spectacle».

Ce que les Indignés révèlent ? et c'est en cela qu'ils sont perturbants en Occident ?, c'est l'ampleur de la déconnexion des politiques vis-à-vis de la société et leur extrême docilité face aux puissances de l'argent. De la crise des subprimes à l'actuelle crise de la dette souveraine ? qui sont bel et bien liées ?, les pouvoirs politiques en Europe comme aux Etats-Unis ont mis à contribution ? en s'endettant ? les sociétés pour sauver le «système», c'est-à-dire les banques et d'une manière générale pour «rassurer» les marchés.

Officiellement, le discours a consisté à dire qu'il y avait urgence à éteindre l'incendie et éviter un effondrement du système aux conséquences calamiteuses. Ce discours de l'urgence s'était accompagné d'une vague référence au besoin de réguler les marchés. Il n'en a rien été. Les banques ont été sauvées, les peuples ont trinqué. L'histoire semble se répéter aujourd'hui avec la crise des dettes souveraines. On va encore mettre à contribution les peuples par des politiques d'austérité, mais aucun politique n'ose imaginer l'idée de changer le système. Les Indignés ont surgi du rejet de cet aplatissement des politiques et de leur soumission aux forces de la finance. Devant cette évidente collusion, ils ont une réaction humaine : ils s'indignent, manifestent et engagent leurs sociétés dans des réflexions osées, voire subversives.

 Que peuvent nous dire ces indignés d'un monde occidental qui semblait avoir tout réglé ? Ils ne sont pas, bien sûr, dans la configuration des sociétés arabes ou africaines, où il s'agit d'arracher les préalables formels d'une existence citoyenne. Mais ils sont bien avec nous dans le même monde, dans la même galère. Ce mouvement né en Espagne, et qui s'étend désormais jusqu'aux Etats-Unis, met fin, symboliquement, à l'interdiction de la réflexion sur l'alternative au capitalisme. Il confirme que l'on n'est pas dans la «fin de l'histoire». Ces indignés ne sont pas encore une alternative, mais ils reflètent une prise de conscience à l'échelle du monde. Ils font aussi écho à l'indignation, généreuse, brillante, éloquente et sans compromission d'un Franz Fanon, l'auteur des «Damnés de la terre».