Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le gaz de schiste, est-ce bien raisonnable ?

par Reghis Rabah*

L'Algérie qui dispose d'un vaste domaine minier avoisinant les 2 millions de KM2, exploré sur à peine 35%, va engager au début de l'année prochaine selon le PDG de Sonatrach(1) ses premières explorations de gaz de schiste 2dans le sud ouest du pays.

Ceci confirme donc ce qu'a déclaré le ministre de l'énergie et des mines lors de la conférence organisée par Cambridge Energy Research Assocites qui s'est tenue en mars 2011. Il a précisé à un journal américain que l'Algérie disposait de réserves de gaz de schiste qui peuvent dépasser de très loin certains champs américains. Cette offensive de la politique stratégique de Sonatrach et, partant de l'Algérie soulève au moins deux questions. La première étant relative à l'intérêt de se lancer dans l'exploration de cette ressource non conventionnelle et techniquement très contreversée alors que plus de 65% de son domaine minier regorge de piéges de gaz naturel plus facile à soutirer. Serait-il une manière indirecte d'avouer un échec du régime de concession qui semble t-il ne draine pas beaucoup de contrats intéressants ? La deuxième nous conduit à se poser des questions sur nos stratèges qui seraient novices au point de ne pas se rendre compte du piége tendu par les entreprises américaines pour casser les prix du gaz et obtenir un plan de charge dans un pays comme le nôtre qui ne jouit d'aucune expérience d'exploitation de ce type de ressource. Il faut souligner justement que les Américains n'ont pas caché leur intention dés le début de cette découverte en 2008. Le rapport Barclays(2) déclarait que « les gaz de schiste vont établir et définir un nouveau coût marginal (plus bas) qui fera pression sur l'économie du gaz conventionnel. L'objectif ajoute t-il est la surabondance de ce gaz sur le marché servant à maintenir les prix autour de 300 MM BTU.» Les responsables algériens au lieu de dire « chiche» sont tombés comme d'habitude de plein pied dans ce piége pour se réorienter dans une activité que seuls les américains maîtrisent et qui font tout pour l'exporter dans des pays où il existe très peu de contraintes environnementales.

POURQUOI SONATRACH SPECIALEMENT N'A AUCUN INTERET A INVESTIR DANS LE GAZ DE SCHISTE ?

Parce que tout simplement elle maîtrise la recherche, l'exploration, le traitement et le transport du gaz conventionnel. Il faut souligner qu'elle a construit la première usine de liquéfaction au monde en 1964, la Camel dans l'ouest du pays. En dépit des difficultés liées à la gestion de ses ressources humaines, elle dispose d'une expertise de tous les procédés de liquéfaction. Avec le temps, elle s'est imprégnée des avantages et des inconvénients des deux modes de transport du gaz conventionnel. Elle exporte actuellement prés de 62 milliards de m3 et ambitionne porter ce chiffre à 85 milliards de m3 d'ici 2015. Pour cela des capitaux ont été consentis et le moindre $ reste nécessaire. Elle a tout intérêt à capitaliser, consolider et fertiliser cette expérience qu'elle pourra fructifier dans le cadre d'un partenariat du type win win. Les Russes l'ont déjà souhaité. Ses réserves en gaz naturel fin 2010 sont estimées à 4,5 trillions de m3 et la place au rang de la deuxième en Afrique après le Nigeria avec 5,3 trillions de m3 (3).

POURQUOI LE GAZ DE SCHISTE N'A PAS ENCORE D'AVENIR IMMEDIAT ?

Tous les pays y compris la Russie vont abandonner cette option. La France vient de le faire cette semaine en dépit de sa forte dépendance des importations. Elle importe 98% de ses besoins en gaz. La Pologne continue son exploitation par manque de substitution et surtout de moyens pour le remplacer. On peut situer les réserves mondiales en trillions de m3 comme suit :

Les réserves mondiales de gaz de schiste font presque le double de celles du gaz naturel. C'est cet élan qui fait pousser les compagnies américaines, au demeurant pionnière dans ses techniques d'exploitation à vanter ses qualités d'ailleurs en vain. Les Etats-Unis ont par rapport à tous les pays de la planète plus de contrainte d'environnement. L'expérience a montré par le passé que les réserves abondantes même virtuellement sous forme de bluff, influence le marché. Pour rappel, la compagnie Schell n'a-t-elle pas sous évalué ses réserves de pétrole et de gaz pour falsifier ses comptes comptables ? L'ouverture d'une enquête par le SEC a entraîné le départ prématuré de son directeur du groupe Phillip Watts. BP a triché sur ses réserves en mettant de côté délibérément les cessions forcées .La firme Brésilienne Braspetro a annoncé avoir découvert un gisement géant au large de Sao Polo pour juste augmenter la valeur de ses actions. La Douma russe a voté en 2002 une loi punissant de 7 ans d'emprisonnement toute personne qui divulgue les réserves. L'OPEP triche sur les réserves pour avoir les quotas les plus élevés, donc sur la production. Les experts de l'Aramco ont affiné à 10,15 millions de barils par jour la production du pays en 2011 alors que le ministère de l'énergie du royaume la situe à 13,6 millions de baril par jour en 2010 et 19,5 millions de baril en 2020 et, selon le royaume pour répondre aux besoins mondiaux. En 2003, Téhéran a publié une revalorisation de ses réserves de 35,7% sans citer de nouvelles découvertes. Ce pays a justifie cette revalorisation par l'amélioration du taux de récupération des gisements en place etc. On peut citer de nombreux exemple qui font dire à un expert de la compagnie Total «Les chiffres officiels des réserves pétrolières et gazières sont loin d'être des données purement scientifiques. C'est le reflet d'un patrimoine financier que les Etats valorisent ou déprécient selon leur intérêt du moment.» Donc les Etats-Unis et certains pays européens demeurent viscéralement dépendant du gaz naturel d'autres pays pour leur consommation interne, font de la surenchère avec son potentiel important en gaz de schiste. Ils ont réussi à influencer le marché de gaz. (Baisse des prix, abandon de l'OPEP gaz, découragement des alliances etc.)

Dans le fond, la forte poussée des Verts, les prive de l'exploitation de ce potentiel comme celui du gaz de charbon. Pourquoi ?

Le gaz dit conventionnel se forme d'abord dans des roches dites « mères», il migre par la suite vers d'autres roches « réservoirs». Ces dernières sont poreuses et perméables. Pour ne pas laisser échapper ce gaz à travers les fissures vers la surface, elles sont couvertes par des roches dites « couvertures». Un simple forage vertical suffit de le diriger vers la surface. Le gaz de schiste quant à lui se forme de la même manière dans des argiles ou marnes litées feuilletées mais très peu perméables. Donc il ne les quitte pas. Pour soutirer ce gaz, la seule solution est de descendre jusqu'à cette roche mère et de la casser (fracturer) en utilisant une technique dite de fracturation hydraulique pour permettre à ce gaz de s'échapper vers le haut. Cette opération se fait avec de l'eau très chaude mélangée à du sable qui permettra aux fractures de rester ouvertes et surtout à très haute pression. Il faut des compresseurs puissants et 10 000 à 15 000 m3 d'eau par forage. Cette quantité est difficilement disponible car la plupart des gisements dans le monde sont situés à proximité des centres urbains. Pour bien pénétrer la roche, les forages verticaux sont couplés à d'autres horizontaux. Ce maillage dégrade le paysage. L'écart de pression entre la tête et la couche est tellement important qu'une petite fissure dans le ciment de l'espace annulaire du puits peut permettre à coup sûr à ces gaz de s'échapper pour contaminer les nappes phréatiques.

Ces deux inconvénients majeurs ont découragé de nombreux pays à ne pas l'exploiter pour le moment jusqu'à l'apparition d'autres techniques. Les russes fantasment d'une technique de fracturation avec utilisation d'explosion nucléaire. Comme pour la voiture électrique, le gaz du charbon, le pétrole de laboratoire, le gaz de schiste se recherche en fonction des prix. Il deviendra rentable lorsqu'on découvrira des techniques moins coûteuse et surtout moins polluantes.

L'Algérie qui ne maîtrise pas cette fracturation hydraulique déjà en difficulté n'a aucun intérêt à s'y encombrer opérationnellement et risquer de compromettre les réserves d'eau pour les générations futures. Déjà, elle fait amplement en soutirant du brut, le vendre contre des dollars qu'elle place à l'étranger au moment même où le pic pétrolier a entamé sa descente.

* Consultant et Economiste pétrolier

Renvois:

(1)- Voir le Quotidien d'Oran du 29/09/2011

(2)- Ces données sont confirmées par la dernière étude réalisée par Barclays (banque d'affaire) voir Oil Daily du 28  août 2009

(3)- millier de milliards de m3 ou 10 à la puissance 12 voire statistical review de BP 2011