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LA FORCE TURQUE

par M. Saadoune

Aucun chef d'Etat arabe n'y a songé, alors que le discours sur la solidarité islamique surcharge les discours satellitaires, Tayyip Erdogan l'a fait. Il s'est déplacé en famille, et avec ses ministres, dans une Somalie qui a sombré depuis plus de 20 ans dans la guerre civile et dans l'anomie. A cette guerre absolument absurde, s'est ajoutée ces derniers mois une famine qui met en péril des millions de personnes.

 Erdogan avait déjà tancé les responsables des pays musulmans en leur rappelant que le Prophète a dit que « vous ne pouvez pas dormir en paix si votre voisin a faim. Les Somaliens nous regardent. Pouvons-nous détourner les yeux ?». Le Premier ministre turc est bien entendu un homme de conviction. On a pu le mesurer aussi bien dans sa politique étrangère que dans sa politique interne où il affirme avec force la primauté du politique élu démocratiquement sur les militaires.

 Son geste, plus que symbolique envers la Somalie où il a décidé de rouvrir une ambassade, est aussi bien celui d'un musulman convaincu que celui d'un homme d'Etat qui a une haute idée du rôle de son pays. Si l'OCI a décidé de mobiliser 350 millions de dollars pour la Somalie - dont une bonne partie provient de dons des pays arabes -, cela est dû largement à l'impulsion donnée par la Turquie.

 Ce pays, tout en étant respectueux des engagements pris, dont l'appartenance à l'Otan, apporte la preuve continuelle qu'une démocratie - non spécifique - renforce le gouvernement du pays et élargit ses marges d'actions.

 On le découvre un peu dans cette Egypte où l'opinion publique commence à peser et amène le gouvernement à réagir avec une fermeté inimaginable sous Moubarak, à l'agression israélienne. L'Egypte n'est pas encore une démocratie, mais le fait est que les militaires au pouvoir sont obligés de tenir compte des Egyptiens et d'essayer de l'exprimer le mieux possible.

 Avec la Turquie, on a la confirmation que la démocratie n'affaiblit pas l'Etat mais le renforce. Et plus cette démocratie gagne du terrain, plus elle se traduit par un dynamisme de l'économie et plus le pays gagne des marges d'actions plus grandes à l'extérieur.

 Le respect extérieur dû à la Turquie est donc directement lié au fait que son gouvernement et ses institutions sont réellement représentatifs des Turcs. Les dirigeants du pays savent qu'ils doivent tenir compte de l'avis des électeurs, mais ils savent aussi qu'ils peuvent leur demander des efforts quand cela est nécessaire. Si la Turquie fait aujourd'hui un retour remarqué sur la scène du Moyen-Orient et s'affirme comme un Etat qui compte, cela tient à l'ancrage populaire des dirigeants du pays et aussi à leur remarquable modernité.

 Vu de nos contrées en proie au littéralisme et à la religiosité bigote, «l'islamisme» d'un Erdogan paraît se situer dans une autre dimension. La Turquie n'est pas une superpuissance, et ses dirigeants le savent et tiennent compte de la géopolitique et du rapport de forces. Mais les dirigeants turcs, parce qu'ils sont élus, ne partent pas avec un handicap de légitimité. Les dirigeants turcs ne sont pas sur une position de faiblesse car ils tirent leur légitimité de leur peuple et non de l'extérieur.