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Ça ne suffit pas de se plaindre

par El Yazid Dib

El Harez, fonctionnaire soumis à l'arrogance d'un gouverneur en mal d'amour, va connaître, après une certaine euphorie vécue à l'ombre d'Obama, un autre gouverneur délogé, toute la sauce nauséabonde qui se dégage de l'exercice de la fonction supérieure.

Il se croyait grand quand le nouvel arrivant l'amoindrit dans un coin insignifiant. Il prenait toute sa perspicacité doctrinale pour un sauve-qui-peut général. Il n'a pas pris pour habitude l'indifférence de ses chefs. Il était éternellement consulté. A ce tournant, le énième de sa carrière, mais vraisemblablement l'ultime, il ne tolère plus que l'on fasse de lui un simple matricule administratif ou qu'il se confine dans un acquiescement total et sans discernement. Lui, se croyait-il, n'est pas un factotum de haute qualité ou un agent de service affecté à un abus à volonté. Il garde une fierté toujours debout et pérenne de conseiller, guider le pas, suggérer le tracé, visibiliser la voie, inspirer la décision. Mais sa vie va se bousculer ; se dit-il pour être à l'orée d'une faillite familiale et morale au moment où débarque sur le quai de cette contrée un nouvel arrivant tenant en ses mains les rennes de cette merveilleuse wilaya.

Le «p'tit prince» ne se désemplit pas. El Harez y vient un peu plus tôt qu'à son habitude. Il cuve rapidement son café et s'exténue à regagner rapidement son lieu de travail. Ce matin là, il prête une mine emplie de grisou. Il ne trouve personne parmi son aréopage coutumier, composé essentiellement d'administratifs et de chefs d'entreprises.

Une chose importante se trouve en phase de limer à fond son caractère pourtant coriace et résistant. Le nouveau chef de l'exécutif, installé récemment en remplacement de celui qui fut, un ami d'El Harez, n'a pas l'air de prendre la trajectoire managériale instaurée placidement dans la gestion des affaires de cette wilaya. En sirotant amèrement son café, cette fois-ci seul attablé dans un recoin à proximité, El Harez, dans un geste d'évacuation de ce qui se trame dans son crâne, s'hasarde avec ses frêles doigts à faire des diagrammes, du n'importe quoi, que lui permettait la buée établie sur la vitre, en ce mois de givre matinal.

Il aurait aimé crier toute sa rage par devant l'autorité qui se complait sans s'émouvoir dans ce pouvoir exorbitant de pouvoir nommer, dégommer et renommer des gouverneurs. Cette décision de faire muter à cette wilaya, un cadre aussi dénivelé, ne semble se situer dans aucun objectif de développement local ou encore dans un souci de parachever le reste à réaliser. Il prévoit de s'accommoder à saisir le président de la république. C'est un effort libérateur qu'il doit fournir bravant règles et hiérarchies. Une lettre ouverte demeure une voie apte à extérioriser toute son exaspération, pense-t-il. El Harez étouffe à devoir agir sous ses ordres. Il ne cesse de ruminer la déliquescence, à son sens, qui a trahi ces critères de sélection, qui par essence, devraient être encensés et impersonnellement appliqués. Néanmoins El Harez, prend son mal en patience. Faisant appel à ses grandes capacités d'adaptation, il feint face à son entourage d'avoir à formuler le moindre propos pouvant atterrir sur les tympans étendus et déployés sur d'autres pavillons de ce nouvel empereur. Il sait, car le vivant à son corps défendant, le climat de suspicion instauré depuis sa venue. Le silence est devenu, à son auréole légendaire, d'espèce aurifère. L'enfer dans les couloirs se joint en parfaite harmonie à ce mutisme, maître des lieux pour former dans l'unanimité une atmosphère d'inquiétude généralisée. Tout le monde suspecte tout le monde.

Quelques temps après, et après plusieurs sautes d'humeur de part et d'autre, El Harez finit par avoir en totale haine, sinon en nette dévaluation, ce commis de l'Etat.

Patibulaire, grabataire sur les bords, mal soigné, manquant d'hygiène de vie, il n'est qu'un gosier. A gueuler, dicter ses envies et absorber les mets mis, à son profit à la charge de l'institution. Les synodes restreints, tenus en séance de travail, ne font rassembler que son cabinet. El Harez y est. A chacun de ses membres, il confie une tache. Mais laquelle ? Que de simples lettres d'un style officiel dépassé et mis en obsolescence par les nouveaux procédés d'action administrative.

Ainsi, il se plaît à ordonner à El Harez de saisir le maire de Tatawin, aux fins fonds du territoire de son gouvernorat, pour lui indiquer la manière par laquelle il devrait faire atteler ses services communaux pour le ramassage des déchets. Il saisit l'autre, pour la chasse aux sachets noirs inusités. Et ainsi de suite. La kyrielle des petites lettres fétides débutant par l'éternel générique de «j'ai l'honneur de vous?» emplira de jour en jour le temps d'El Harez et de ses amis cabinards. El Harez s'est acclimaté depuis longtemps à ne traiter que des mémorandums consistants, n'appelant pas à de simples rédactions usuelles et sans âme, mais nécessitant la fougue et le panache dans l'approche analytique et réflexive. Il tendait à dessiner le futur de la ville avec des horizons frisant le siècle. Donc, tous les ingrédients d'une mésentente sont présents pour annoncer la rupture de cette collaboration, devenue indésirable par El Harez, mais aussi par ce gouverneur. Car il commence à voir en son «conseiller» un censeur d'idées et un surveillant attentif. En fait, une méfiance réciproque s'est taillée une bonne part dans la consommation diligente de cette relation professionnelle qui ne semble pas, outre mesure, promettre un bel avenir.

El Harez frappe une porte, tire une poignée et rentre le plus simplement du monde. Il est dans le bureau du Directeur des ressources humaines et des affaires locales de son service employeur. Ce matin là, il a fait une fausse note de ne pas se pointer au «p'tit prince». L'heure est parait-il si grave. La veille, son collègue Bousseloum, brisant la loi de l'omerta ; lui avait soufflé une information qu'il serait mis sur la sellette. Une probable éviction de son poste. Apres les salamalecs, le Directeur qui voue un respect à El Harez, tergiversa dans une timidité controversée pour lui annoncer la décision du wali. Sa réaffectation du cabinet à un autre service. Placide et serein, il redonda d'abord par son léger sourire, sournois cette fois-ci, puis par une expiration aphasique mais audible qui a osé lui faire éclater la cage thoracique.

En effet le wali vient de lui faire signifier, qu'il est devenu persona-non-grata. La réprimande ne s'est point arrêtée à cette mesure somme toute vêtue de ce draconien pouvoir discrétionnaire. Elle s'est étendue pour déstabiliser la cellule familiale d'El Harez. Il devrait quitter le logement de fonction qu'il occupe avec sa femme et sa progéniture. Là, sans rougir, El Harez accentua par la sournoiserie son sourire, qui se fait plus moqueur et davantage hilarant. Le logement ne se trouve pas dans le portefeuille immobilier de son service employeur. Il jouit d'un contrat locatif en bonne et due forme. Il aurait été dressé lorsqu'il était en bonne sainteté avec le service domanial, du temps d'Obama. L'inquiétude ainsi contenue, s'est dissipée le long de l'exposé argumentaire qu'il tenait à développer à l'égard de son ami Directeur des affaires sociales et locales. Ce dernier se mua dans l'entièreté d'un silence, qui oserait trahir sa profonde satisfaction. Il n'osait cependant la faire afficher. La suspicion est toujours de mise dans ces espaces bureautiques où les murs, les meubles, et les combinés téléphoniques ont des oreilles. Se doute-t-il.

Au «p'tit prince» l'heure avoisine presque midi, lorsque El Harez fait son irruption. Servi par anticipation à toute commande, le cafetier trouve en lui une personne inhabituelle. Il ne voit plus cette béatitude qui le cernait à chaque visite. Il croyait que son client l'air crispé, faisant défaut la matinée, se pointe tardivement pour égaliser une coutume journalière. El Harez dans son petit coin, chassant par ses doigts cette buée, sirote stressement son café en veillant à ce que sa petite cuillère serve d'écumoire à chasser cette mousse qui bloque l'inhalation de ce savoureux goût.

Il vient d'être procédé à sa cessation de fonctions. Son bureau a été scellé. On lui rétorque, après renseignements subrepticement pris ; que c'est sur ordre du wali que cette opération ait eu lieu. Des affaires personnelles y sont toujours dedans. Ses cravates, une chemise, un pack de cirage, un lot de lunetterie et autres bagatelles. Mais l'essentiel se confinait dans ce que contient l'épigastre de son micro. Tout un travail. Des analyses, de l'étude, de la synthèse, de la réflexion, des dossiers et aussi autres bagatelles du genre encyclopédique, de l'universalis, des jeux. Il y avait même toute la série des tableaux de maître. Notamment celle d'Etienne Dinet. L'idée de se voir interdit d'accès à ce local qu'il considère comme une seconde résidence et qui l'a vu des veillées durant ; faire et refaire des rapports électoraux, des trucs hautement confidentiels, des protocoles d'accord internationaux ; n'arrive pas à trouver une assise logique et pondérée dans son raisonnement . Il prétend que c'est un acte de rapt physique et moral. A qui le dire ? Vers qui et ou partir, où loger à bonne adresse son recours ? Il se lève et quitte sur le même air le «p'tit prince» Agacé.

Décision prise, sa lettre ouverte est vite balancée sur un site approprié. Un espace virtuel local. Le papier est signé par un choix de pseudonyme assez bizarre pour le lecteur. Surtout ceux et celles résidant la ville depuis longtemps. Hanoucha. Voici le corps du texte : «Merci, Monsieur le Président ! On dit celui qui aime bien, châtie bien, mais pas à ce point quand-même. Les élans pris par la mise en œuvre des programme de développement initiés dans les territoires locaux sont différemment appréciés et leurs effets sur l'épanouissement et l'équilibre des habitants différemment ressentis. Ma ville aura été durant une décennie l'un des laboratoires les plus visibles que les pouvoirs n'ont cessé de mettre au-devant pour expliquer, justifier et conforter la dimension prise par cette wilaya en termes de développement dans les divers secteurs. Un développement que vous-même, premier initiateur des programmes et premier évaluateur de leur degré de réalisation, avez pris pour exemple. Sa dynamique, sa force de frappe, sa capacité d'être parfois une exception managériale qui doit confirmer la règle. Ceci étant dit, vos multiples visites dans cette wilaya l'ont rendues en effet ; particulière car ses poids économique, démographique et politique la prédestinent naturellement à jouer ces rôles de leaders. Mais voilà que lors des dernières opérations de mouvement des cadres, ma ville s'est réellement et sérieusement posé la question quant à la démarche adoptée et les choix opérés. En effet, c'est une véritable fracture qui est consommée, les changements ont touché l'ensemble des cadres avec pour résultat immédiat l'élan brisé et beaucoup de questions derrière. Beaucoup pensent, que c'est une punition, une sale gifle à cette wilaya pour s'être mise en osmose avec votre Programme et au-delà avec votre personne. Elle paie rubis sur ongles son adhésion, son implication et son engagement pour la matérialisation des objectifs tracés. Elle adopte désormais une attitude de mutisme, car foudroyée par un déclassement très inquiétant. Le reste se trouvera dans sa banalisation et son mépris avant d'aboutir à une répudiation consommée. C'est un sentiment profond qui habite une frange importante de citoyens qui n'arrivent pas à s'expliquer ce qui leur arrive. Je vous prie d'agréer, monsieur le président mes salutations distinguées» En fait Hanoucha fut, telle une icône urbaine dans la ville, une espèce de fou du village. Il longeait les boulevards, épiant de loin et par flair tout intrus. Les citadins habitués, à ce bonhomme, parait-il descendant d'une noblesse flétrie et que le temps a consigné davantage dans les affres de la décrépitude, s'en acoquinaient avec piété.

Sa femme soupçonne quelque chose. L'horaire qu'elle s'est efforcé de guetter dans le mouvement de son mari n'est plus conforme au pli quotidien. Les heures d'arrivée ou de sortie ne sont plus identiques. Un certain brouillard s'y est instauré. La grâce matinée vient d'être vécue, eh oui depuis fort longtemps comme une rareté dans sa vie. Elle constate que son homme n'est plus pressé. Il s'offre même le plaisir de la corvée d'accompagner sa fille cadette à l'école située juste à un pâté plus bas que celui qui contient son domicile familial. Ce toit que le wali veut détruire sur sa pauvre tête. Il n'en souffle cependant aucun mot. Il préfère laisser le mal comminatoire le ronger que de le propager à ses siens. Il fait l'impasse et tente de garnir les parois de son gite par une ambiance conviviale. Rattrapé par ce que penseront ceux et celle avec qui il partage maintenant les jours et les nuits, il se ressaisit et compte d'adopter une démarche ordinaire afin d'éviter l'éveil sur la réalité. S'il se comportera autrement qu'à l'accoutumée ; il suscitera la curiosité. S'il se maintient dans cette régularité ordinaire ; il accoutrera une vérité. Amère et rude soit-elle. Que faire ? Ceci ; le crève, le pourfend, le brise. L'effort, se dit-il n'est pas aux lamentations, ni aux complaintes fatidiques ; mais bel et bien à l'action. Utile et efficace. Surtout quand il recevra telle une estocade; ce qu'il craignait le plus ; ces mises en demeures malpropres de quitter manu-militari le logement qu'il occupe avec sa progéniture. Perdu dans les ténèbres d'une réalité trop dure à supporter, il ne sait plus à quel saint se vouer. Il pense déjà à la justice tout en croyant dur comme fer, qu'il aura gain de causes. Il tempère. Un recours cependant lui fait miroiter le dénouement de la crise qui le désagrège tel un conseil de sécurité corrode la légitimité d'un Etat tombé en disgrâce internationale. Il pense s'attacher l'intercession en sa faveur du deuxième personnage de la wilaya et son premier magistrat élu. Il va greffer son désarroi pour l'éventualité d'une issue à l'auguste président de l'Assemblée populaire de wilaya. Que fera-t-il ce bon et affable personnage, pour El Harez, en attendant assurément au coin de 2012 les prochaines élections législatives ? Notre héros se dit tout en se morfondant que ça ne suffit pas justement de se morfondre, il faut agir au mieux et le plus vite. Que va-t-il encore faire ?