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Face aux contre-chocs pétroliers : l'emprunt national est une urgence économique (Suite et fin)

par Raouf Boucekkine*, Elies Chitour* Et Nour Meddahi*

Un point institutionnel d'abord. On interprète souvent l'arbitrage entre financement monétaire et obligataire, comme un bras de fer entre la Banque centrale et le gouvernement. Il est possible qu'il y ait une part de vérité dans cette vue, l'idée étant que les gouvernements auraient tendance à solliciter la « planche à billets », au moindre trou budgétaire, parce qu'il est plus facile d'activer ladite planche que d'optimiser la fiscalité, surtout si les augmentations d'impôt devaient intervenir, en période électorale. De notre point de vue, cette opposition n'a aucune raison d'être dans les circonstances graves actuelles, dans notre pays. Les deux acteurs institutionnels ont tout intérêt à se coordonner le plus étroitement possible: la Banque d'Algérie (BA) ne peut pas exclure tout financement monétaire en arguant du fait que le gouvernement dispose de marges de manœuvre importantes en matière d'endettement, eu égard au faible niveau de la dette publique (et de toute façon, même si elle le voulait, elle ne pourrait pas, comme nous l'expliquons ci-dessous), et le gouvernement ne peut pas faire reposer le colmatage de la très profonde brèche budgétaire, sur le seul financement monétaire de la BA.

Le déficit public est trop important et le sera encore pour deux ans, au minimum, et le FRR est au bord de l'épuisement. Une policy-mix, alliant les deux types de financement, est inévitable, d'où la nécessité d'une coordination accrue entre la BA et le gouvernement.

Financement monétaire et gestion de la policy-mix

Le financement par création monétaire est de fait le moyen le plus simple d'augmenter les revenus de l'Etat, la pratique est communément, appelée (et pour cause), seigneuriage. On voit fleurir, depuis quelques semaines, des propositions de financement du déficit par des moyens relevant, directement ou indirectement, du financement monétaire, certains experts allant jusqu'à proposer de puiser, immédiatement, dans les réserves de change. Il n'est pas nécessaire, ici, de reprendre tous les arguments bien connus dans l'analyse macroéconomique de base contre un usage trop prononcé et prolongé, dans le temps, de ce genre de financement. On peut citer l'inflation induite directement, par création monétaire. Malheureusement, notre pays a déjà connu cette expérience. En effet, suite au contre-choc pétrolier de 1986, les crédits de la Banque d'Algérie à l'Etat sont passés de 41,7 mds DA (14,3% du PIB) en 1985 à 65,7 mds DA (22,15% du PIB) en 1986, 81,2 mds de DA (26,2% du PIB) en 1987 et 100 mds de DA (28,9% du PIB) en 1988. Nous connaissons la suite de l'histoire pour l'inflation : 17,9% en 1990 ; 25,9% en 1991 ; 31,7% en 1992, etc?

Contrairement aux raisonnements simplistes qu'on retrouve souvent, dans les analyses publiées, ici et là, le financement obligataire peut, également, être inflationniste et l'a été dans de nombreux épisodes de l'économie mondiale : si l'emprunt public conduit à une hausse des taux d'intérêt comme l'analyse de base l'indique, alors les entreprises pourraient réagir au renchérissement de leurs coûts financiers par une augmentation des prix, conduisant, dès lors, à une inflation significative par un autre canal que l'augmentation de l'offre de monnaie. En économie ouverte, c'est-à-dire en tenant compte des flux économiques et financiers internationaux et donc du taux de change et des réserves de change, le biais inflationniste de la création monétaire n'est pas, toujours, plus élevé que celui associé au financement obligataire !         C'est vrai sous des taux de changes flexibles mais pas nécessairement, dans le cas algérien où le dinar est sous flottement administré. En vérité, et c'est le sens du raisonnement, un peu technique précédent, la BA aura un rôle central à jouer, dans tous les cas de figure: dans le cas d'étude ci-dessus, le biais inflationniste du financement obligataire vient de la hausse possible des taux d'intérêt, et d'une corrélation positive entre taux d'intérêt et prix. La BA peut briser le cercle vicieux par des interventions ciblées, notamment sur les taux d'intérêt qu'elle contrôle, en forçant la solution la moins inflationniste. Par conséquent, le financement obligataire ne dégage pas, du tout, la BA de ses responsabilités organiques contrairement à ce qu'on pourrait penser, et elle doit exercer, dans tous les cas de figure, un rôle de supervision indispensable dans la conduite du policy-mix.

Les coûts et les bénéfices financiers et économiques du seigneuriage sont bien connus, de nombreuses études empiriques ont, de plus, quantifié le problème. Même s'il est vrai que le financement monétaire est plus confortable pour le gouvernement, il est, aussi, dangereux à bien des égards car l'inflation est une taxe qui induit des distorsions (donc des changements de comportement des agents économiques) qui peuvent déboucher sur l'effet inverse de celui escompté, c'est-à- dire la baisse à terme des recettes publiques (dit effet d'Olivera-Tanzi, en théorie économique) : dans des pays comme le nôtre où l'inflation est déjà significative (entre 4 et 5%), une augmentation postérieure forte de l'inflation due à un financement monétaire excessif des déficits, risque de réduire à néant toute possibilité de financement effectif du déficit à terme du fait des distorsions induites par une forte inflation (baisse de la demande, baisse de l'offre, évasion fiscale, rétrécissement de la base fiscale, augmentation des taux d'intérêt nominaux rendant peu viable une option obligataire en parallèle... etc).

Pour être plus concret sur les risques d'une politique de « planche à billets » excessive, prenons le cas de la Chine. Ce pays a connu, en 2009, un choc majeur pour le modèle économique qui était le sien, à l'époque, dont la caractéristique première est la très forte dépendance au Commerce extérieur, comme l'Algérie est fortement dépendante des revenus des hydrocarbures et donc de la conjoncture mondiale: pour contrebalancer les effets de la grande récession mondiale après la faillite de Lehman Brothers, et précisément pour sauver les entreprises et collectivités locales, la Chine fait, massivement, tourner la planche à billets, avec un taux d'accroissement de la masse monétaire de l'ordre de 30% pour 2009, uniquement!! L'usage de la planche à billets, à outrance, a conduit à des séquelles durables avec une liste de distorsions graves, entre autres une « finance dans l'ombre » (shadow finance), hors circuit officiel, une bulle immobilière menaçante, et une fragilisation durable de toute l'économie chinoise (les soubresauts récents à la bourse de Shanghai en étant un signal sans équivoque). Même si cette politique a permis de sauver les apparences, quelques années (encore qu'il y a fort à dire sur la véracité des statistiques de croissance chinoise), les Chinois se sont rendus compte que leur problème était d'abord leur modèle économique trop extraverti qui n'est plus compatible avec la réalité de la compétition mondiale ni même avec l'évolution de leurs paramètres démographiques et salariaux.

Ils ont dû donc changer de modèle économique, graduellement, depuis 2012. L'Algérie, qui n'a pas le matelas de réserves de change chinois ni son potentiel économique et encore moins sa productivité, doit donc, se centrer sur un changement de modèle économique pertinent (voir l'intervention du Premier ministre Sellal, le 2 mars dernier), et ne pas compromettre le changement voulu par un financement, outrageusement, monétaire des déficits actuels.

Financement obligataire, effet d'éviction et marché obligataire

Nous avons indiqué qu'une solution purement monétaire est dangereuse et peut conduire, à terme, à un déséquilibre fatal des finances publiques et de toute l'économie algérienne. Le financement obligataire intégral n'est pas, non plus, exempt de risques comme nous l'avons brièvement évoqué, ci-dessus. Ainsi, sans une supervision rigoureuse de la BA, ce financement peut, aussi, conduire à des tensions inflationnistes par d'autres canaux de transmission, comme expliqué plus haut, et peut même s'avérer plus inflationniste que la planche à billets, dans certaines conditions, en particulier de change. En second lieu, comme tout emprunt, le succès dépend de l'attractivité du produit proposé aux investisseurs, donc du rendement et du risque du titre offert. Certes, l'emprunt est local et n'expose pas aux foudres de la finance internationale mais il convient de réunir les conditions optimales d'un lancement réussi, qui sera de fait structurant pour un marché obligataire algérien encore en construction (nous en reparlons plus bas).

Proposer un taux d'intérêt suffisamment attractif est une condition sine qua non: la rémunération de 5%, annoncée par le Premier ministre Sellal, il y a quelques jours est un bon point de référence, elle se situe au-dessus de l'inflation actuelle, elle devrait être améliorée en cas de glissement non-anticipé de l'inflation. Enfin, le programme de réformes qui est annoncé, pour avril, pourrait donner un coup de pouce « réputationnel » supplémentaire à l'emprunt. En troisième lieu, il est très important de noter que l'emprunt obligataire, par l'Etat, induit potentiellement deux types d'effet d'éviction des autres opérateurs économiques privés ou publics (comme Sonatrach ou Sonelgaz): un effet direct car l'épargne que mobilise l'emprunt obligataire n'est plus disponible pour les entreprises en quête de fonds pour financer leurs investissements, et un effet indirect possible par la hausse des taux d'intérêt qui déprime, encore plus, l'investissement de ces entreprises, en plus d'être une plausible source d'inflation comme nous l'avons expliqué, ci-dessus. L'épargne nationale est, certes, importante si l'on se réfère au taux d'épargne affiché (40%) mais sa disponibilité immédiate n'est pas acquise. La problématique de l'éviction est, donc, importante dans le design du policy-mix requis, ne serait-ce que par sa forme directe incontestable. Dans un contexte où, précisément, l'investissement productif est plus que jamais nécessaire pour diversifier l'économie algérienne, l'Etat ne peut pas prendre le risque d'assécher l'épargne nationale disponible, à court terme, d'autant que, comme nous l'avons évoqué dans cette note, les besoins de financement de groupes comme Sonatrach ou Sonelgaz, sont énormes, et seule Sonatrach peut raisonnablement s'endetter à l'international et devrait, à notre avis, le faire pour minimiser l'effet d'éviction attendu.

Au final, il y a, donc, tout intérêt à exploiter les deux modes de financement des déficits publics, le monétaire et l'obligataire, en sus du financement fiscal dont nous ne cesserons de réclamer l'optimisation et la modernisation. L'articulation entre le financement monétaire et l'obligataire doit être étudiée de façon rigoureuse, en ayant en tête principalement : (i) la minimisation des risques inflationnistes, (ii) l'attractivité financière des obligations d'Etat, et (iii) la minimisation de l'éviction des autres opérateurs économiques. Le financement monétaire peut, par exemple, s'opérer par l'augmentation des concours de la BA au Trésor.

La loi de la monnaie et du crédit algérienne régule, notamment, les avances au Trésor (10% des recettes ordinaires de l'année antérieure), il s'agit d'un mécanisme utile qui peut être activé, tel quel, ou après révision à la marge et à titre exceptionnel, tenant compte de la conjoncture actuelle, et notamment du trou d'air budgétaire attendu, en 2016 et 2017.

Les critères (ii) et (iii) ci-dessus peuvent apparaître contradictoires, à première vue. Ils ne le sont pas du tout si le volume de l'emprunt obligataire, à venir, est raisonnablement calibré en tenant compte du volume de l'épargne disponible à court terme, de l'état de nos déficits publics et des autres besoins de financement des autres grands opérateurs économiques. Les propositions concrètes, faites dans la section consacrée aux conséquences de l'emprunt national, pour réduire les effets d'éviction montrent qu'il est, parfaitement, possible de lancer un emprunt national, de grande taille, tout en préservant l'accès au crédit pour les projets rentables et, in fine, des niveaux de croissance élevés.

Trois aspects complémentaires doivent être soulignés. En premier lieu, il n'est pas nécessaire d'engager la BA dans des opérations de planche à billets inédites, qui mettraient à mal à terme, la stabilité de notre économie, d'autant que l'état de développement actuel de nos marchés financiers ne permet pas d'implémenter, raisonnablement, des opérations hétérodoxes (de type Quantitative Easing) comme on a pu en voir aux Etats-Unis et plus récemment en Europe.

Deuxièmement, il est, de notre point de vue, clair que le vrai défi de notre pays c'est de lancer et réussir un emprunt obligataire d'ampleur, structurant notre marché obligataire balbutiant, et non pas de réviser la loi de la monnaie et du crédit. La hiérarchie des mesures est évidente mais mérite d'être martelée. Enfin, la meilleure crédibilité à donner pour que cette opération ne ressemble pas à celle de la période 1986-1988 est que le gouvernement s'engage dans une baisse substantielle du déficit budgétaire, cette baisse étant nécessaire pour aller sur les marchés externes pour un endettement éventuel, en 2018 ou 2019 (4). Il s'agit d'un point « réputationnel » crucial qu'il est important de faire valoir, au plus vite, par exemple dans le nouveau modèle économique annoncé pour avril.

Enfin, il serait, aussi, bienvenu de profiter de cette campagne pour proposer des maturités différentes (court, moyen et long termes) pour structurer, plus solidement, le marché obligataire. Certes, ce n'est pas une première pour l'économie algérienne mais c'est l'occasion d'installer, durablement, une pratique de financement sûre et permanente, pour l'Etat, et d'introduire un supplément de profondeur, dans nos marchés financiers qui en manquent cruellement. Ce n'est pas le moindre des objectifs de l'option obligataire retenue.

D'ailleurs, cette opération aura clairement, des incidences sur les taux pratiqués par les banques commerciales qui souffrent de trois travers documentés dans la note d'octobre citée ci-dessus : une rémunération de l'épargne nettement en dessous de l'inflation ; une différence entre le taux de crédit et le taux de rémunération de l'épargne (spread) trop élevée ; une courbe des taux plate (même taux d'intérêt quelle que soit la maturité du prêt).

Le tableau (5) ci-dessus montre à quel point les marchés obligataires sont très peu développés, dans les pays arabes par rapport à la Turquie. Aucun des pays arabes n'a, par exemple, de marché obligataire secondaire : dans le cas égyptien, par exemple, les obligations sont, quasiment, toutes détenues par des institutions financières et bancaires. L'effet d'éviction (direct) est évident, dans ce même cas: la part croissante des obligations d'Etat, dans les bilans des banques, a conduit celles-ci à réduire leurs avances aux entreprises privées. Il ne saurait en être autrement en Algérie: le développement nécessaire du marché obligataire doit aller de pair avec des mécanismes de sauvegarde des investissements des entreprises privées ou publiques, ce qui passerait, au minimum, par une montée en puissance et en efficacité de l'intermédiation financière, et, sans doute, par le développement d'un autre type d'obligations réservées au financement des investissements (en infrastructure notamment) par les opérateurs économiques, clé importante pour comprendre le décollage de pays comme la Malaisie ou le Brésil.

Besoins, potentiel, paramètres et conséquencesde l'emprunt national Montant de l'emprunt national

Commençons par les besoins de financements, pour l'année en cours. Ils sont faibles. En tenant compte de l'avance que pourrait faire la Banque d'Algérie, selon l'article 46 de la Loi de la monnaie et du crédit, citée par le Premier ministre M. Sellal, nous arrivons à un montant proche de 400 milliards de DA, dans le pire des cas, c'est-à-dire avec un baril à 32,8 $ (et un dollar pour 107 DA). Aucun financement, à court terme, n'est nécessaire dans le cas d'un baril au-dessus de 45$. Evidemment, le problème se posera, à nouveau, en 2017 puisque le FRR sera épuisé dans tout scénario où le prix du Brent serait inférieur à 49 dollars le baril.

Il est, donc, impératif de lancer l'emprunt obligataire car les besoins seront beaucoup plus élevés, en 2017 et ce, quelle que soit la remontée du prix du pétrole que l'on observe, ces jours-ci, que l'on espère forte et durable.

Par ailleurs, lancer cet emprunt, dès maintenant va aider au développement et à la structuration du marché obligataire, en particulier le marché secondaire. En effet, l'existence d'un marché secondaire permettra la liquidité des obligations, c'est-à-dire que le détenteur d'une obligation pourra, toujours, la revendre sur le marché secondaire, suite à un besoin d'argent.

Autrement dit, l'existence d'un marché secondaire rendra les obligations plus attractives. Rappelons que les bénéfices réalisés à la Bourse sont exemptés d'impôts, ce qui implique que l'emprunt obligataire doit être, aussi, exempté d'impôts.

Ce qui nous fait penser, aussi, que le gouvernement ne devrait pas annoncer un montant ferme pour le premier appel de l'emprunt obligataire. Il a intérêt à laisser le marché parler et se former, et retourner, à nouveau, avec d'autres emprunts au cours des mois prochains.

Potentiel de l'emprunt national

Passons maintenant à l'évaluation du potentiel du marché obligataire. C'est une question difficile, surtout que nous manquons, cruellement, de données, en particulier des données désagrégées. Nous disposons des montants de la quasi-monnaie, c'est-à-dire, les dépôts à terme et les obligations. Depuis le recouvrement de l'indépendance du pays, le maximum du ratio quasi-monnaie par rapport au PIB a été de 32,9%, atteint en 2002 ; voir Figure 1. C'est aussi le cas du ratio quasi-monnaie par rapport à la masse monétaire M2 qui a atteint 51,2% en 2002.

En prenant les données du second semestre de 2015, ces deux ratios étaient de 24,5% et 30,5%.

Le premier chiffre suggère un potentiel de 7,5% de PIB soit 1.250 mds DA. Le second chiffre suggère un potentiel de 20,7% de la masse M2, soit 2.925 mds DA. Nous pensons que le vrai potentiel est entre les deux. En effet, le PIB est une donnée bien plus robuste que la masse monétaire M2, qui est, actuellement, très élevée (voir Figure 2). De plus, elle est appelée à baisser car le déficit de la balance des paiements va commencer à la faire réduire, une fois que le FRR sera épuisé. Evidemment, le refinancement des banques, par la Banque d'Algérie, aidera la masse monétaire à se maintenir à un bon niveau.

Le niveau élevé de la masse monétaire reflète, aussi, le niveau élevé de la monnaie fiduciaire, c'est-à-dire la monnaie qui circule, en dehors des banques, que l'amnistie fiscale n'arrive pas à capter. Une partie est de l'épargne privée, qui est nettement plus élevée, qu'en 2002, ce qui nous fait penser que le potentiel est, nettement, supérieur aux 1.250 mds DA suggéré par le ratio quasi-monnaie sur PIB. D'ailleurs, le ratio dépôts à vue par rapport au PIB est assez élevé, actuellement, soit 31% en 2015 contre une moyenne de 18,3% pour la période 2000-2006. Ce qui suggère, encore, qu'il y a un grand potentiel pour le marché obligataire, puisque rien que le quart de l'argent déposé dans les banques, sans rémunération suffirait à fournir 7,5% de PIB, soit encore 1.250 mds DA. Comme nous l'avons écrit, dans le document d'octobre cité ci-dessus, il est, aussi, nécessaire que la BA modifie sa politique monétaire pour qu'elle dégage plus de liquidités pour les besoins du marché financier, en particulier qu'elle baisse le taux et la rémunération des réserves obligatoires, ainsi que la rémunération des facilité de dépôts.

Paramètres de l'emprunt national

Abordons, maintenant, les paramètres de l'emprunt obligataire. Dans la note d'octobre mentionnée ci-dessus, nous avons déploré le niveau bas de la rémunération des dépôts à terme et donc de la quasi-monnaie. La Figure 3 montre bien que le ratio de la quasi-monnaie a été, au plus haut, quand le taux d'intérêt réel (rémunération des dépôts, à terme, moins l'inflation) était positif. C'est du bon sens, que prédit la théorie économique et que confirment les données historiques. Par ailleurs, le marché obligataire est peu développé et nous ne connaissons pas la demande des différents agents économiques. Les individus vont, sûrement, préférer une maturité courte ou moyenne. Les caisses de retraites et les sociétés d'assurance vont sûrement privilégier une maturité longue, si la rémunération des dépôts est suffisamment attractive. Ce qui nous fait penser qu'il est très important que le gouvernement propose un menu de contrats de dette, pour intéresser toutes les catégories d'épargnants et d'investisseurs, c'est-à-dire proposer plusieurs maturités couvrants les trois termes: du court-terme, 1 ou 2 ans ; du moyen terme, 3 à 5 ans ; et du long terme, 7 à 10 ans ; les taux d'intérêt étant croissant, en fonction de la maturité, et au-dessus de l'inflation anticipée pour la maturité la plus courte, c'est-à-dire les 5% annoncés par le Premier ministre M. Sellal.

Décrivons, maintenant, les contrats de dette que nous proposons. Prenons une maturité de n années avec un taux r. Le contrat est le suivant : Prêtez-moi aujourd'hui 100 DA (prix d'émission de l'obligation) ; je vous rends dans n années 100 DA (prix de remboursement de l'obligation). En plus, je vous donne r% (taux d'intérêt nominal) de 100 DA, chaque année, pendant les n prochaines années. Ce contrat de dette est simple à comprendre et donc sera plus facile à expliquer aux petits épargnants. D'autres obligations ne fixent pas le prix d'émissions et le déterminent par un mécanisme d'enchère, ce qui nécessite de spécifier le montant de la dette à lever et en fait limite l'achat à des investisseurs institutionnels, à travers, les Spécialistes en Valeurs du Trésor (SVT). Cet emprunt doit être ouvert, aussi, aux petits épargnants. Terminons cette sous-section sur la valeur de 5% annoncée. Elle est au-dessus de l'inflation qui était de 4,8%, en janvier dernier, ce qui est très important. Par ailleurs, elle est, également, au-dessus de la moyenne de l'inflation annuelle, sur la période 2001-2015 qui est de 4%. Enfin, en terme d'anticipations de l'inflation future, l'équipe du FMI qui vient de visiter le pays anticipe une baisse de l'inflation puisque leur communiqué diffusé, sur le site du FMI, indique « En 2016, la croissance et l'inflation devraient ralentir, en raison des effets de l'assainissement budgétaire sur l'activité hors hydrocarbures.» En effet, deux forces vont pousser à la baisse des prix : le ralentissement économique et aussi la baisse de la masse monétaire évoquée, ci-dessus. Néanmoins, d'autres forces vont jouer dans le sens de l'augmentation des prix : d'une part la baisse des subventions implicites et la baisse du dinar, d'autre part. Suite aux augmentations des prix de la LF 2016, l'augmentation mensuelle de l'inflation, entre décembre 2015 et janvier 2016, a été de 0,8%, ce qui est élevé. On peut, donc, s'attendre à un impact inflationniste significatif, en cas de nouvelles augmentations de prix par le gouvernement. Quant à la baisse du dinar, son impact sur les prix n'est pas facile à quantifier. Nous avons observé une baisse du dinar de 20%, entre 2014 et 2015, mais elle a été, largement, compensée par la baisse des prix de nombreux produits importés, en particulier les produits agricoles et les produits manufacturiers chinois, ce qui, au final, ne s'est pas traduit par une augmentation majeure de l'inflation, en Algérie. Pour 2016, même si la baisse du dinar, que nous estimons surévalué, au minimum de 10%, devait se poursuivre, son impact sur l'inflation devrait être significativement, atténué par la poursuite d'une très faible inflation mondiale, notamment, en provenance de Chine. Comparons, maintenant, cet emprunt par rapport aux autres placements financiers. Le taux de 5% est au-dessus de ce qui est proposé par le marché bancaire pour la rémunération des dépôts à terme (entre 2 et 3%). L'emprunt sera, donc, attractif, au moins pour attirer l'argent déposé dans les banques, ce qui va créer de la compétition et dynamiser le système bancaire. Une conséquence à anticiper est que les banques seront forcées d'aller collecter les liquidités qui circulent, en dehors des banques, ce qui est très bon, pour l'économie du pays. En particulier, il est temps que les banques innovent en proposant des produits compatibles avec des convictions religieuses strictes, c'est-à-dire des produits dits de Finance Islamique. Un rendement de 5% est aussi au-dessus des rendements des entreprises cotées sur la Bourse d'Alger. En effet, aucune entreprise cotée ne donne un dividende égal ou supérieur à 5% du prix de cotation. Enfin, 5% rend aussi l'emprunt national attractif par rapport à l'immobilier. En effet, tous les chiffres dont nous disposons de manière informelle, en particulier pour la ville d'Alger, suggèrent que le rendement de l'immobilier est bien inférieur à 5%. Une façon simple de calculer le rendement d'un bien immobilier est de calculer le ratio de son prix de marché sur le loyer annuel que générerait le bien. Les chiffres dont nous disposons donnent un minimum de 25, ce qui correspond à un rendement maximal de 4%. Nous sommes très surpris de lire et d'entendre que le rendement de 5% ne serait pas attractif à cause de l'inflation à venir, voire à cause de la baisse du dinar. Le document du mois d'octobre cité ci-dessus, a recommandé la création de produits qui garantissent au moins l'inflation (TIPS). Il est, néanmoins, important de noter que l'intégralité de la quasi monnaie, c'est-à-dire les dépôts à terme et les obligations (4.300 mds DA, en juin 2015) est exposée, au même risque d'inflation, et que l'emprunt obligataire annoncé, a un meilleur rendement que les dépôts à terme et les obligations existantes sur le marché, ce qui est, en fait, un meilleur placement pour les investisseurs. Quant à se prémunir contre le risque de baisse du dinar, le seul actif en devises accessible, en Algérie, est le change parallèle. Les montants de ce marché sont très faibles par rapport aux sommes citées ci-dessus, par exemple la quasi monnaie. De plus, la volatilité récente de ce marché complique les investissements dans cet actif. Enfin, et plus important, tout l'argent de l'économie formelle ne peut pas être investi, dans le marché parallèle des devises.

Effets d'éviction potentiels

Nous avons abordé le problème de l'effet d'éviction qui peut intervenir par deux effets : diminution des montants disponibles pour financer l'économie et augmentation des taux de crédit. Nous pensons que ce risque ne se pose pas, pour 2016, et probablement pas pour 2017, car il y a énormément de liquidités disponibles. Le ratio M2 sur PIB est, extrêmement, élevé comme le montre la Figure 2 (supérieur à 80%)

Fin juin 2015, il y avait 5.510 mds DA déposés à vue dans les banques, 3.900 mds DA circulant en dehors des banques, donc les liquidités sont très élevées. Enfin, comme nous l'avons indiqué, un des rôles de la BA est de refinancer les banques quand celles-ci prêtent à des porteurs de projets et la BA pourra largement refinancer les banques pour faire face aux besoins de financement qui apparaîtront. Nous sommes également très surpris de lire et d'entendre que pour éviter l'effet d'éviction, l'emprunt devrait concerner uniquement, la monnaie fiduciaire, c'est-à-dire l'argent hors des banques et non pas l'argent déposé dans celles-ci. Tout d'abord, on ne voit pas comment justifier la mise en place d'une opération excluant les dépôts bancaires formalisés de l'accès à un emprunt étatique à 5%, pour maintenir une rémunération à 2,5% inférieure à l'inflation dans les banques tandis que l'argent de l'informe (l) serait rémunéré à 5%. L'argument de l'effet d'éviction des projets financés par les banques ne tient pas, pour justifier pareille aberration, pour les déposants. Mais le problème principal est que la monnaie fiduciaire finance l'économie informelle. Nous regrettons l'existence de cette économie informelle car elle ne participe pas à la collecte de l'impôt, mais l'économie informelle crée de la richesse et emploie des centaines de milliers de personnes. L'emprunt va réduire le montant de la monnaie fiduciaire, ce qui est très bien, mais cet argent va manquer à l'économie informelle, ce qui risque de se traduire par un ralentissement de l'économie et donc une augmentation du chômage.

Des mécanismes doivent-être mis en place pour réduire la taille de l'économie informelle, ce que le gouvernement a commencé à faire. Il est, néanmoins, vrai que le taux du crédit pour l'investissement risque d'augmenter.

Comme il est à 6,5%, soit au-dessus des 5% annoncés, cette augmentation n'est pas certaine. Le crédit à un an ne devrait pas augmenter si la compétition entre les banques est assez élevée. Les taux de crédits à moyen et long termes augmenteront, sûrement, mais encore une fois, probablement, faiblement, s'il y a une vraie compétition entre les banques et si le régulateur, c'est-à-dire la BA, joue son rôle. En effet, le régulateur a le droit d'établir un taux maximal. Il devrait le faire en cas de dérapage de ces taux.

Enfin, certains entrepreneurs se plaignent, souvent, que les banques demandent trop de garantie pour le financement. Avec le renchérissement des ressources des banques, celles-ci seront obligées de chercher du rendement, en finançant plus de projets et donc demanderont moins de garanties. En effet, l'accès à un argent peu cher a favorisé le comportement attentiste et risque-averse des banques vis-à-vis de l'investissement actuel, malgré l'abondance de ressources, comme l'atteste le ratio de solvabilité trop élevé des banques, en particulier celui des banques publiques. Pour conclure, nous pensons que l'emprunt obligataire sera très attractif auprès des épargnants individuels et institutionnels sous les conditions que nous avons suggérées, ci-dessus.

Une condition, sine qua non, pour la réussite de cette initiative cruciale pour la transformation structurelle de notre économie, en attendant d'autres initiatives structurantes, est que le gouvernement et la BA jouent leurs partitions, de façon rigoureuse et coordonnée, afin d'une part, de défendre sans ambiguïté l'emprunt, et d'autre part de relever tous les défis et de lever tous les blocages qui peuvent se poser ex-ante et ex-post.

V. Recommandations

Endettement externe

- L'endettement externe doit financer des projets qui pourront rembourser, plus tard, la dette par les revenus qu'ils génèrent.

- L'endettement externe ne doit pas être de court terme car les revenus mettront du temps à être générés. Il faut une maturité minimale de 5 ans.

- Les entreprises qui ont des revenus en devises seront plus à même de rembourser leur dette car elles ne seront pas exposées au risque de change. Une garantie de l'Etat doit concerner ce type d'entreprises.

- Permettre à Sonatrach de s'endetter sur les marchés internationaux, dès à présent. Par contre, Sonelgaz n'est pas en condition de s'endetter sur les marchés internationaux.

Banque d'Algérie et policy-mix

- L'utilisation du financement monétaire doit être mesurée, un recours excessif à ce financement pouvant causer de graves distorsions comportementales, à terme, et même mener à des résultats inverses de ceux escomptés.

- Il faut, donc, une policy-mix combinant de façon optimale le financement monétaire et le financement obligataire. Le rôle de supervision de la BA, dans ce contexte est important, d'où la nécessité d'une coordination accrue entre la BA et le gouvernement.

- L'articulation entre le financement monétaire et l'obligataire doit être étudiée de façon rigoureuse, en ayant en tête principalement : (i) la minimisation des risques inflationnistes, (ii) l'attractivité financière des obligations d'Etat, et (iii) la minimisation de l'éviction des autres opérateurs économiques.

- Le vrai défi de notre pays c'est de lancer et réussir un emprunt obligataire d'ampleur, structurant notre marché obligataire balbutiant, et non pas de réviser la loi de la monnaie et du crédit.

- La meilleure crédibilité à donner pour que cette opération ne ressemble pas à celle de la période 1986-1988 est que le gouvernement s'engage dans une baisse substantielle du déficit budgétaire, cette baisse étant nécessaire pour aller sur les marchés externes pour un endettement éventuel, en 2018 ou 2019.

- Le développement nécessaire du marché obligataire doit aller de pair avec des mécanismes de sauvegarde des investissements des entreprises privées ou publiques, ce qui passerait par une montée, en puissance et en efficacité, de l'intermédiation financière, et par le développement d'un autre type d'obligations réservées au financement des investissements (en infrastructure notamment).

Forme du Financement obligataire

- Nous estimons les possibilités de financement obligataire au minimum à 1.250 mds DA.

- Nous recommandons que le gouvernement propose un menu de contrats de dettes, c'est-à-dire plusieurs maturités : 1 ou 2 ans (court terme), 3 à 5 ans (moyen terme) et 7 à 10 ans (long terme).

- Les bénéfices que réaliseront les préteurs doivent être exemptés des impôts.

- Nous recommandons des taux annuels croissants en fonction de la maturité et commençant à 5% pour la maturité, la plus courte (1 ou 2 ans).

- Nous recommandons de lancer l'emprunt obligataire même si le prix du pétrole augmente pour aider au développement et à la structuration du marché obligataire.

- Nous recommandons le développement du marché obligataire secondaire pour rendre les obligations liquides et donc attractives.

Notes

4) Notons, aussi, qu'une consolidation budgétaire graduelle sur plusieurs années permettra de diminuer la surévaluation du taux de change réel et donc de diminuer la baisse nominale du dinar, et ainsi diminuer le risque de change que nous avons mentionné ci-dessus.

5) Ce tableau est la Table 7 tirée de la Note Economique de la BAD intitulée Le développement des marchés financiers en Afrique du Nord : Etat actuel et perspectives d'avenir, 2013.

Figures et tableau : voir version PDF

Tableau : Valeur relative des obligations cotées sur les places nord-africaines, en millions de dollars, fin d'exercice.

Figure 1 : Ratios de la quasi-monnaie par rapport au PIB et la masse monétaire M2

Remarque : La graduation du ratio de la quasi-monnaie par rapport au PIB se trouve sur l'axe de gauche et varie entre 0 et 35%. La graduation du ratio de la quasi-monnaie par rapport à la masse monétaire M2 se trouve sur l'axe de droite et varie entre 10 et 50%.

Figure 2 : Ratio de la masse monétaire M2 par rapport au PIB

Figure 3 : Ratio de la quasi-monnaie par rapport au PIB et du taux de dépôt réel sur la période 1980-2015.

Remarque : La graduation du ratio de la quasi-monnaie par rapport au PIB se trouve sur l'axe de gauche et varie entre 0 et 35%. La graduation du taux de dépôt réel se trouve sur l'axe de droite et varie entre -20 et 5%.