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La foi et l'intelligence, entre compatibilité et discordance

par Abdelhamid Charif*

Authentiques et indéniables, les écarts naturels en intelligence humaine tendent à être démesurément amplifiés ; et les tests limités, déterminant le quotient intellectuel censé évaluer une faculté multidimensionnelle, confortent ces excès, et dopent la vanité là où elle existe.

Il suffit pourtant d'utiliser la bonne échelle pour retrouver les génies et les idiots dans la même catégorie de faiblesse humaine ; et meilleures seraient alors les chances d'une alliance entre la foi et l'intelligence. La première ne peut néanmoins jouir de prérogatives morales que si les fondements de la seconde ne sont pas contrariés, sinon celle-ci risque de se révolter et défoncer les frontières, jugées alors toutes stupides. Pour le plus grand bonheur de la perversion, qui elle, sans jugement aucun, accuse et condamne la religiosité de stupidité.

S'il n'est pas harmonieusement accompli, le mariage entre le spirituel et l'intellectuel peut s'avérer tout simplement impossible. Et pour en savoir plus sur les conditions de compatibilité entre la foi et l'intelligence, écoutons un de nos ancêtres amazighs, Saint Augustin (354-430), s'exprimer sur le sujet bien avant l'avènement de l'Islam : «Crois et tu comprendras ; la foi précède, l'intelligence suit».

Que l'intelligence contrariée se rassure ! Il ne s'agit nullement d'un prétendu postulat général, et c'est principalement à une audience réceptive que s'adresse l'illustre enfant de Souk-Ahras. Même si elle est constamment célébrée et parfois surestimée, l'intelligence, cette nébuleuse grâce divine, est avant tout suiveuse ; et on peut tout aussi valablement statuer : L'incroyance précède, l'intelligence suit. La notion d'égarement étant relative et pouvant être invoquée par chaque camp, un compromis consensuel, bien que non enchanteur, pourrait alors s'énoncer ainsi : Egare-toi, l'intelligence te suivra et te soutiendra !

Aussi développée puisse-t-elle être, l'intelligence humaine demeure circonscrite et restreinte, loin d'être suffisante et décisive, et peut même tromper, voire pervertir. La foi ne peut pas, quant à elle, prétendre être libre de toute forme d'irrationalité physique. Une dimension abstraite, métaphysique, est fortement présente. La foi d'un être humain, savant ou analphabète, puise ses raisons ainsi que ses ressources de compréhension et démonstration, d'un royaume inaccessible au génie de l'incroyance, qui peut dès lors juger ridicule cet arsenal. Ecoutons une nouvelle fois Saint Augustin : «La compréhension est la récompense de la foi. Ne cherche pas à comprendre pour croire, mais crois afin de comprendre, parce que si tu ne crois pas, tu ne comprendras pas.»

N'est-il pas un peu légitime ici de se permettre une petite parenthèse de fierté et chauvinisme, pour prétendre que c'est sans doute une sagesse et une intelligence aussi perspicaces que celles de Saint Augustin qui ont permis aux amazighs d'embrasser les trois religions monothéistes, précisément sans chauvinisme ? A méditer pour les berbéristes.

L'intelligence peut conforter la foi comme elle peut se mettre au service de l'incroyance, mais elle ne conditionne ni l'une ni l'autre. Un ignorant peut tout aussi bien se distinguer par une foi solide que par une impiété absolue, même s'il ne fera vraisemblablement pas un bon prêcheur, ni dans un cas, ni dans l'autre.

L'intelligence et la foi sont des grâces divines de natures très différentes. La première fait partie des prédispositions initiales, avec les autres conditions physiques, sociales, et ethniques. Elle n'est tributaire d'aucun mérite personnel, et relève des données et circonstances spécifiques, aussi différentes qu'équitables, de l'examen sanctionnant qu'est la vie ici-bas. La foi, quant à elle, constitue l'essence même de cet examen, comme l'option principale du logiciel de fonctionnement humain, accessible seulement par le mérite de la conformité du mode opératoire. Une fois agréée et accueillie par la volonté humaine, la foi sollicite ensuite l'intelligence pour consolider l'engagement pour un mode de vie, en connexion avec Le Créateur, auteur du mode de fonctionnement, devant par définition être révélé aux créatures.

L'intelligence contrariée, un contre-exemple ne démolit qu'une conjecture

La crise d'incompatibilité chronique touchant depuis des siècles la foi et l'intelligence dans le monde occidental chrétien vient d'être quantifiée par des chercheurs universitaires. Les résultats ne sont pas surprenants, mais les préjudices peuvent se répercuter beaucoup plus au-delà du monde chrétien. Des élites musulmanes, imprégnées de culture occidentale, peuvent en faire les frais. Des décideurs «particulièrement intelligents» ou juste «suffisamment occidentalisés» peuvent ainsi être tentés de combattre la religiosité, jugée intellectuellement rétrograde, voire dangereuse. Ceux qui se sont déjà embarqués dans cet aventurisme, ainsi que ceux qui les ont applaudis ou suivis, pourraient se sentir confortés par ces conclusions, et en faire usage dans leurs justificatifs.

Cette précision vise surtout à rappeler que ce genre de réflexions est loin d'être purement académique, mais traite pertinemment de l'actualité, en tentant de remonter à la racine de la chaîne causale des crises sociopolitiques majeures.

Revenons à l'enquête. Une équipe de trois psychologues de l'université de Rochester dans l'Etat de New York, dirigée par le Professeur Miron Zuckerman, a effectué un travail de synthèse sur soixante-trois études menées depuis 1921, et a relevé que 84 % aboutissent à la même conclusion de relation négative entre la religiosité et l'intelligence (1). L'enquête ne proclame pas que la foi abrutit, mais affirme que les personnes brillantes sont plus enclines à se détourner de la religion. Même au crépuscule de la vie, quand plus d'individus se réconcilient avec la religion pour affronter la mort, les plus doués restent moins nombreux. Les critiques dénoncent la définition restreinte retenue pour l'intelligence, négligeant d'autres formes importantes comme la créativité, l'intelligence sociale et émotionnelle. Zuckerman n'omet pas de signaler les limitations socioculturelles de ces études menées exclusivement en Occident, en osant toutefois prédire des tendances similaires dans d'autres milieux culturels.

Même s'ils sont déçus, les responsables de l'Eglise ne doivent pas être très surpris par ce piètre bilan spirituel et ce spectaculaire recul du Christianisme, en conflit ouvert avec le bon sens depuis des siècles. Les extravagances, aberrations, et autres non-sens de cette religion monothéiste, ne datent pas d'hier, de la mystérieuse et paradoxale Trinité, aux nombreuses versions incompatibles de la Bible, en passant par l'astreinte auto-infligée du célibat, débouchant sur un feuilleton de scandales pédophiles. Ces contresens ne pouvaient pas résister à l'épreuve du temps et traverser les siècles, sans laisser de profondes séquelles et ébranler la foi chrétienne. Le coup fatidique a sans doute été asséné par les découvertes scientifiques de Copernic et Galilée, irréfutables mais remises en cause par l'Eglise. Même si quantitativement il demeure prétendument en tête, le Christianisme survit en fait beaucoup plus en tant que simple héritage culturel, et les transgressions des préceptes, culminant significativement pendant les fêtes religieuses, en sont les meilleures preuves.

Les bons chrétiens sont loin d'être les seules victimes de cette déroute, car les puissants de ce monde et leurs suppôts veulent l'imposer aux autres croyances via une laïcité radicalisée et pervertie en irréligion.

Même s'il n'est pas davantage étayé ni fondé par la science, l'athéisme devient, pour beaucoup d'intellectuels, la solution de facilité, sinon l'unique, et en Amérique on estime à 7 % seulement le nombre de croyants élus à l'Académie Nationale des Sciences. Très choquant ! Mais à chacun sa surprise, et certains pourraient plutôt s'étonner d'où viennent les 7 %. Cette stratégie de généralisation de la débâcle du christianisme, et du recours par élimination à l'athéisme, n'est pas exempte de failles et reproches, et ne piège pas tous les intellectuels. Heureusement ! Michel Dardenne, brillant informaticien converti à l'Islam, qui tout en s'interrogeant sur le pourquoi des écoles catholiques, puisque ni les élèves, ni les enseignants, ni le directeur, ne croient en Dieu (2), n'a pas cédé aux préjugés culturels. Après tout, un contre-exemple ne remet en cause que la conjecture correspondante ; et il n'est donc pas légitime de projeter le fiasco du christianisme sur les autres religions. Ne devrait-il pas plutôt susciter plus de curiosité et d'encouragement à les étudier ?

La foi et l'intelligence, et si c'était le même combat ?

Il faut toutefois bien admettre que les préjugés anti-Islam ne manquent pas d'arguments, et parfois c'est de véritables circonstances atténuantes qu'il s'agit, induisant autant de responsabilités et culpabilités dans le camp musulman. Que pourrait donc faire l'Islam des despotes, indigènes, et autres terroristes, face aux défis qui ont coulé le Christianisme de l'Occident des lumières ?

La liste des arguments est longue et les divers classements du quotient intellectuel, montrant les pays arabo-musulmans à la traîne, peuvent à eux seuls suffire pour imaginer et anticiper le reste, en dépit des réserves émises sur ce score numérique, ne pouvant évaluer objectivement une intelligence multidimensionnelle à travers les seules aptitudes d'apprentissage scolaire. Un autre indicateur, complémentaire, non mesuré mais bien plus visible, et reflétant le degré d'abrutissement collectif dans les régimes despotiques, devrait évacuer les doutes.

Résumons notre parcours postindépendance. Démarrage du formatage par un coup d'Etat, suivi d'un redressement révolutionnaire et d'une période célébrant en direct les bénéfices dégagés par des entreprises en faillite.

Ouverture démocratique colmatée par un putsch et une tragique décennie avec ses milliers de victimes, son impunité consacrée, et son indignation intellectuelle sélective. Intronisation de la démocratie et classe politique de la rente, des quotas, et du statu quo, alias sagesse graduelle.

Négociation de la représentation populaire. Participation active de la société militaire. Baraka blanchissante et glorifiante des zaouïas. Opposition parallèle, ou complicité du deuxième rang, dénonçant la fraude électorale en y prenant part pour déjouer les complots poussant au boycott, désespoir et violence.

Acceptation, tout en boudant, des quotas alloués, dépassant pourtant les poids réels.

Consensus patriotique sur la stabilité du statu quo, avec un retour nostalgique aux anciennes cérémonies des partages. Mais des butins cette fois-ci.

Que d'aberrations et de travers despotiques, que de brutalités et d'injustices tyranniques, portant tant d'agressions, blessures saignantes, et distorsions permanents à l'intelligence nationale. Si Napoléon recommandait de ne pas interrompre un ennemi en train de commettre des erreurs, alors un meilleur ennemi, aspirant à plus d'attention et d'égards, sait ce qu'il doit faire : s'abrutir et abrutir. A défaut de commettre un suicide collectif.

Une politique imposée et dirigée par la médiocrité prédatrice ne peut que causer de profonds préjudices aux ressources naturelles et humaines, polluer et éroder l'intelligence individuelle et collective, sans épargner la foi, la probité, et les autres valeurs morales.

La foi ne peut être endurante et résiliente que si elle s'enracine fermement dans le cœur, et se répercute quotidiennement sur les actes et paroles. Les causes et prétextes d'insouciance, refoulement, et ébranlement ont toujours existé, et ne se limitent pas à une actualité déprimante et débordante, relayée par des médias omniprésents, mettant en cause la religiosité, et laissant peu de temps et de répit à l'intelligence pour méditer avec recul et discernement, et entretenir une relation avec Le Créateur.

Qu'elle soit honorée, prise à la légère, ou moquée et méprisée, voire culpabilisée, la foi demeure l'essence même de la Création : «Je n'ai créé les djinns et les hommes que pour M'adorer. Je n'attends d'eux nul don et n'exige aucune nourriture. C'est Dieu le Pourvoyeur des biens, le Tout Puissant, l'Immuable» (Coran 51/57-59).

La foi permet d'appréhender salutairement le projet de l'existence dans sa globalité, la vie, le vieillissement, et la mort, avec autant de crainte que d'espérance. La sécurité et la tranquillité que peut inspirer l'impiété ne sont qu'illusoires, sans perspective, et remettent ultimement sur la table les questions existentielles lancinantes, éludées et refoulées. Et seule la vanité d'origine satanique peut aveugler et tromper l'intelligence, et l'égarer pour l'empêcher de reconnaître la plus grande bourde humaine.

 Et même si c'est toujours elle qui est reniée et répudiée, la foi ne tient jamais rancune à la sincérité et bravoure, et se tient constamment prête à la réconciliation ; et c'est plus sur instruction divine qu'elle prend parfois sa revanche, quand elle est courtisée maladroitement, et tardivement en fin de vie, par une intelligence hypocrite, subitement terrifiée d'affronter seule la mort.

*Professeur, King Saud University

Références :

(1) bigbrowser.blog.lemonde.fr/2013/08/14/cqfd-les-religieux-sont-moins-intelligents-que-les-athees-affirme-une-etude/

(2) Abdelhamid Charif : «Fiabilité du logiciel et conformité du fonctionnement»

Le Quotidien d'Oran du 23/06/2016

http://www.hoggar.org/index.php?option=com_content&view=article&id=4860:fiabilite-du-logiciel-et-conformite-du-fonctionnement&catid=652:charif-abdelhamid&Itemid=36

http://lequotidienalgerie.org/2016/06/20/fiabilite-du-logiciel-et-conformite-du-fonctionnement/