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Tout au long des
différents commentaires sur l'actualité algérienne(1),
une série de mots ont été employés pour traduire la réalité sociale, économique
et politique en Algérie.
Il se trouve que le concept de patriarcalisme à lui tout seul recoupe de multiples facettes de la représentation que nous pouvons nous faire de l'histoire moderne du pays. En fin de compte, le patriarcalisme désigne un mode opératoire de la gouvernance. Max Weber le considère comme un mode de domination du pouvoir traditionnel. Dans la partie consacrée aux types de domination traitant des fondements de la légitimité, il expose les caractéristiques de la domination traditionnelle. Il qualifie une domination traditionnelle lorsque sa légitimité s'appuie et qu'elle est ainsi admise, sur le caractère sacré de dispositions transmises par le temps et des pouvoirs du chef (2). A point nommé la légitimité requise pour l'accès aux fonctions étatiques sont celles de la guerre d'indépendance. Au fond, c'est la guerre qui consacre le pouvoir d'État. La consécration de l'autorité qui s'appuie sur un unanimisme populaire comme idéologie de la victoire sur l'occupant affecte les structures étatiques héritées de l'État colonial et celles de la société et à plus forte raison la mentalité collective. La complexité des relations entre les composants de l'idéologie portée par le discours de légitimation du pouvoir et les structures sociales et politiques surimprime l'impact de cette dernière sur la réalité. Au détriment du recueillement à la mémoire des morts, un tas de signes ont été élaborés pour justifier la sémiologie du pouvoir politique. A plus d'un titre, cette sémiologie sert de registre des inscriptions et détermine les lieux d'appartenance de l'identité des personnes. C'est ultime justification de la nationalité. Le discours comme moteur de l'algérianisation est un instrument de production de l'identité nationale. Il rythme les cérémonies de la mémoire qui sont autant de gestes incantatoires que l'honneur fait aux martyrs. Les moyens mis à la disposition des doctrinaires sont incommensurables pour la fabrication du chauvinisme de l'État. Le nationalisme est une production du chauvinisme de l'État. Paradoxalement, ce dernier induit des distinctions entre ceux qui sont patriotes et ceux qui ne le sont pas. C'est de l'inquisition à l'état pur. Les degrés de différenciation sont établis en fonction des liens de subordination. La distillation idéologique de la distinction opère à tous les niveaux de la société et de l'Etat. Certainement les corps de l'armée, la police, l'administration et surtout l'école sont plus soumis à l'endoctrinement que les lieux communs comme par exemple une entreprise. L'emprise de cette charge idéologique n'épargne pas les régions. Par exemple les animateurs de divers mouvements en Kabylie doivent justifier la participation des militants nationalistes à la guerre de libération nationale et même d'exhiber les portraits des plus illustres d'entre eux ou les chômeurs du sud algérien qui ont eu la clairvoyance de brandir le drapeau algérien pour signifier que leur mouvement n'est pas autonomiste. L'idéologie du nationalisme algérien qui se fonde sur le sang des martyrs sacralise en quelque sorte les liens d'appartenance et du même coup établit des ramifications du terroir comme ancrage à la terre. Donc, en première instance, on voit apparaître le discours et les impératifs de l'existence. Par conséquent le discours lie la personne par le sang versé à la terre. Dans une certaine mesure, il abolit le généalogique de l'identification qui demeure l'arrière fond juridique de la nationalité. Il contrefait le juridisme des états patrimoniaux à la suite de l'établissement de l'état civil par l'administration coloniale. Il y' aurait toute une étude à faire sur l'aspect juridique de la déclaration de la nationalité algérienne. Certainement, on s'apercevra du contournement fait par les droits positif et musulman pour disloquer la généalogie des appartenances qui pourtant persiste dans les mœurs et coutumes de la société algérienne. En occurrence c'est du patrimonialisme comme production de l'héroïsme populaire qui se distribue dans plusieurs lieux de mémoire. De la sorte, il matérialise la possession de la légitimité dont font acte les nouveaux notables du régime. La possession de la légitimité est un acte d'accaparement du patrimonialisme individué ou collectif. Du coup, il est une personnalisation du patriarcalisme. On produit des statuts et des figures. Si on analyse le fonctionnement des institutions étatiques, le phénomène des cercles concentriques répandus à tous les niveaux de l'Etat, on voit bien que les rapports de subordination dictent des règles de conduite auxquelles est soumise la population. Les travaux de la nouvelle sociohistoire maghrébine ont donné à la Figure nota biliaire(3), une consistance conceptuelle qui se recoupe avec l'idée wébérienne du patrimonialisme bureaucratique. L'entrée en scène du phénomène bureaucratique sous forme d'entrecroisement des structures de l'Etat et de la société est un héritage du colonialisme. Il a été un instrument déterminant pour le contrôle des rouages de l'État par les groupes en compétition. On se rend compte vite que l'école a été une arme redoutable de la sélection des personnes. Elle n'est pas seulement l'institution de la reproduction et de légitimation (le capital symbolique de P. Bourdieu) mais un instrument bureaucratique (le lettré, le savant, le clerc) qui est commun à toutes les formes étatiques, des plus anciennes aux plus modernes. Elle est l'interface du public et du privé, de l'État et de la société, de l'individuel et du collectif et même un élément médiateur faute d'être unificatrice par la production des inégalités des savoirs. Une hiérarchie des rôles a été instituée au sein du mouvement national et s'est accentué après l'indépendance. Le processus de la consolidation de l'État national avait pour objectif la fusion en une entité unique des différents pouvoirs personnels, locaux et régionaux. Les nouveaux détenteurs de la légitimité prennent le relais des intermédiaires de l' Etat colonial. Ils assurent la puissance montante acquise doublement par les armes et les lettres. Et ce n'est pas un hasard que le FLN historique était dirigé par deux instances politique et militaire qui se disputaient le leadership. Et ça continue à ce jour? Il n'y a qu'à voir le rôle de l'armée et des clercs dans les décisions majeures. La confusion de la lettre et de l'arme est une pratique de rapprochement des pôles qui abolit la frontière de la paix et de la guerre. L'historiographie algérienne est pleine d'informations sur les conversions des uns et des autres. L'histoire de l'Algérie moderne est une série d'expérimentations des pratiques politiques et des discours hérités du vaste champ de la science politique élaborée en Occident. Que ce soit l'éducation militaire ou civile, le parcours des nationalistes algériens et plus systématiquement celui des dirigeants est truffé de principes d'orientation idéologique. En ce sens, l'analyse des régimes est trop longue à faire mais on peut d'ores et déjà affirmer que l'invariance des techniques de la régence persiste car elle comporte en son sein les deux faces complémentaires et indissociables. Donc traiter la question du régime algérien en termes de dichotomie conduit à une impasse. AU FOND LE REGIME DU DOUBLE POUVOIR, COMMENT IL FONCTIONNE ? Grosso modo, le mode arbitral accompagne généralement, les accords tacites de la fusion du conglomérat des prétendants. A l'exemple de la présidence de A. Benbella qui est une caractéristique de cette élaboration consensuelle au détriment de minorités claniques mises hors champ par l'accord tacite des mieux positionnés à la prétention. Il y aurait à décrire le parcours de chaque membre influent des groupes formés afin de déterminer le rôle de la lettre et de l'arme et du même coup la disqualification de la masse inerte. L'élimination du peuple par le nouveau pouvoir est un facteur important pour comprendre la lutte des groupes entre eux .Il est établi qu'une accélération de la fusion des groupes compétitifs en bipartition du civil et du militaire. L'indissociation de la bipolarité forme la cristallisation et la fusion des groupes et des clans. On assiste à une série de mise à l'épreuve du pouvoir et du contre-pouvoir. L'instauration d'un système élitaire met hors jeu définitivement le peuple comme force d'accompagnement. L'entité comme telle disparaît. Elle se transforme en substance vide si ce n'est qu'un amas de personnes disparates. Elle est virtuelle et elle véhicule une idée trop abstaite. Le renversement des situations nominales par l'effacement du peuple comme source de légitimation et la prise du contrôle de l'État par la compétence militaro-politique, engendre des situations transitives flouées par le discours nationaliste. Le complexe de la transmission de l'ordre du régime colonial au régime nationaliste est un facteur important pour comprendre la dissociation organique opérée par l'élite et la mise à contribution de la source de la légitimation pour créer un unanimisme virtuel porté par les slogans et la propagande. Et c'est à travers ces champs de lutte que se manifestent les nouvelles figures. Elles transposent dans la réalité des faits l'antécédent d'origine, la famille, le village, la tribu et la région aux nouveaux acquis des lettres et des armes. Et c'est à ce niveau qu'un amalgame du passé et du présent résulte de la modernisation. Aussi bien l'individuel que le collectif sont imprégnés par la déformation des acquis. La bureaucratisation de l'appareil de l'État coïncide avec la fonctionnarisation des nouvelles figures. Tout un arsenal de critères d'éligibilité est mis en place pour nommer, désigner, attribuer des fonctions administratives. L'expression de la bureaucratie traditionnelle trouve dans l'administration le cadre idéal pour assurer à ses serviteurs des statuts graduellement corroborés aux figures d'influence. Une sorte de nomenclature expose les positions et les rôles de chaque recrue qui consolide les liens de dépendance des uns aux autres. C'est la physique du pouvoir en ce sens que c'est la mobilisation des ressources humaines pour le contrôle des lieux de l'État qui va du planton au haut fonctionnaire. Il n'y a qu'à voir les métiers exercés par les combattants démobilisées qui n'avaient aucune instruction élémentaire. L'arme et lettre vont de pair dans les attributions des fonctions dans le processus de formation de l'État national. Ces instruments de pouvoir sont utilisés dans toute une série de réaménagements des structures étatiques sans que les liens de dépendance traditionnelle entre les nouveaux agents ne soient rompus. A tous les niveaux de l'État, une hiérarchisation consolide les positions acquises par les statutaires du FLN. La formalisation des individuations concentriques établit un déclassement-reclassement des origines. Elle propulse les acteurs de la scène algérienne comme nouvelle figure du pouvoir du chef. L'acquisition du statut du chef est soit une reconduction de la notabilité locale ou un affranchissement de la position subalterne. Du coup, la bipolarisation du notable et du subalterne est une autre détermination de l'histoire qui s'écrit. Elle concrétise l'action des hommes par une revalorisation des groupes de pouvoir en formation. Il n'y a pas à proprement parler dans l'histoire algérienne des premières années d'indépendance, des corps constitués qui auparavant se sont dissous dans l'engagement militant pendant la guerre de libération nationale, en prenant fait et cause pour le peuple. Il s'agit d'une dynamique sans cesse renouvelée eu égard à la situation historique qui laisse apparaître de nouveaux acteurs qui prennent position contre la soumission et dénonce l'arbitraire du colonialisme. Au fond, nier ou taire cet aspect de l'événement revient à dénaturer l'action des hommes et gommer leur objectif. Si on ne peut pas parler d'une intentionnalité collective, il fort probable que les intentions individuelles s'expriment à travers les acteurs. Il y a des paliers d'intention qui forme la conscience nationale que traduit à des degrés divers le discours nationaliste. En deçà de ce discours comme rapport intentionnel, existe une pluralité d'avis et de conviction qui ne nécessitent pas obligatoirement des prescriptions idéologiques. La cristallisation idéologique se forme lors des séances d'adhésion des membres du mouvement national. Elle est l'expression des courants idéologiques qui ne cesseront d'influencer sur le cours des luttes politiques. On voit bien que les deux premières périodes allant de 1936 à 1962 et de 1962 à 1965 constituent une étape de la formalisation élitaire par l'adjonction d'éléments divers qui sont chargés d'administrer la chose publique. Et c'est à ce niveau qu'apparaissent l'archaïsme et le patriarcalisme sophistiqué. Nous appelons patriarcalisme sophistiqué cette manière de faire qui tend à sublimer l'image du chef dans une fonction étatique moderne. Tandis que l'archaïsme représente la pratique bureaucratique de l'agent correspondante aux valeurs traditionnelles. C'est le fameux recoupement de la figure notabiliaire et le patriarcalisme traditionnel. Olivier Feneyrol examine en détails le phénomène de la notabilité en Tunisie. En refusant d'établir une dichotomie entre notable et élite qui représente respectivement l'autorité traditionnelle et la modernité de l'Etat national, il propose : » «une évolution de l'Etat dynastique vers une structure d'État national, le couple a'yan/khassa aurait fait place au binôme shakhssiya/nukhba, ce phénomène attestant non pas la disparition des notables, mais leur transfiguration.». (4) A. Hénia dans les cycles de la notabilité (5) invoque la sémantique en tant que troisième variable qui caractérise les catégories élitaires. Comme cela va de soi, la ressemblance énoncée précédemment par Feneyrol, n'est pas séparatrice des langages politiques ou du mode de l'action politique. Il s'avère que l'idée de la transfiguration n'est qu'un aspect de la réalité eu égard à l'embrasement conceptuel déclenché par le discours moderniste du à la renaissance arabe (Nahda). Au fond, tel qu'il est utilisé par P. Alliès, ce concept décrit la transmutation de la notabilité française. I l n'y a pas à proprement parler de problème de la traduction. Et de toute façon le foisonnement culturel de l'élite moderniste ?'arabe'' comporte en son sein une série de problèmes d'intraduisibilité et d'adaptabilité des modèles. L'emploi du langage politique où l'on retrouve des notions ambiguës qui ne donnent pas satisfaction en termes de démarcation conceptuelle, produit de la confusion et de l'amalgame des genres. Les plus communs de la terminologie sont les mots Ri'assa et Mulk qui désignent chez Ibn Khaldoun respectivement le point de départ de la construction du mulk qui s'exerce d'abord dans le cadre limité de la famille ou du clan et le fait de dominer par la contrainte (l'État dynastique).(6) Nous y reviendrons en fin de texte, dans les références, sur ce problème de la sémantique et du basculement des catégories des États dynastique et national. En définitive, le redéploiement notionnel des concepts et de leur transmigration d'une langue à une autre, d'une culture à une autre, d'une pensée à une autre n'est pas systématiquement opérationnel. Idéalement la confrontation des cultures produit des prises et reprises des unes et des autres sans dénaturation constatée. Il se peut que l'acculturation altère l'endogenéité dans un processus de remplacement ou de destruction (ethnocide). Les plus solides d'entre elles qui ont généralement une optique universaliste subissent de l'emphasage .Dés lors, l'hypothèse de Sapir/Whorf que reprend P. Bourdieu selon laquelle les représentations mentales dériveraient des catégories linguistiques, et seraient donc relatives selon les cultures et comparable à celle de Humboldt/ Cassirer qui énonce que chaque langue renfermerait une vision du monde. (7) Le jeu des langues et des cultures est très complexe pour le réduire à des mécanismes monadologiques comme entités autonomes. Des circuits de réception et d'emprunt sont répertoriés dans chaque langue. Et dans ce cadre l'élaboration conceptuelle de la transfiguration par P. Alliès ne peut rendre compte que des transformations internes d'une société. La transposition d'une culture à une autre ne peut se faire que par emprunt ou diffusion. Le modèle de la transplantation ou de la transposition requiert une altération substantielle de la chose transplantée dans une autre réalité. En définitive, les figures de P. Alliès ne sont pas les mêmes parce que précisément les autres d'ailleurs sont déterminées par un double visage. En termes comparatifs, une continuité historique est datable dans la tradition des notables français fut- elle innovante dans ses nouvelles fonctions alors qu'une discontinuité rend plus difficile les rapports entre une société régie par des règles traditionnelles généralement pré-étatiques où périphériques. On pense au rapport entre l'État colonial et la société traditionnelle maghrébine. Dans tous les cas, l'État national ne représente aucunement une différentiation organisationnelle; il est une transplantation des structures et des principes politiques exogènes, dans une société prémoderne. A proprement parler, il n'y a pas de transmutation, ni de transformation de la représentation de l'État. A défaut d'une société civile comme celle de Adam Ferguson, il y a une jonction de préfixes nominaux de la société traditionnelle et de l'État moderne. Le concept de transfiguration que propose P. Alliès veut dire que: « la notabilité est le résultat de la mobilisation de ressources hétérogènes actualisée au cours d'une carrière politique : du prestige hérité (de la famille ou du militantisme), des responsabilités (professionnelles ou partisanes), du pouvoir institutionnelle (local ou national). Elle n'est donc pas l'autre nom du conservatisme, de la tradition ou de l'archaïsme ». (8) A suivre ce schéma de la modernisation de la notabilité, le management se confond avec la tradition. Lorsque O.Feneyrol examine la politique d'essaimage du parti en Tunisie de l'espace politique appelé nominalement territoire qui désigne une sphère d'influence, il s'aperçoit qu'une série de compétences prennent en charge la population. Il énumère quelques figures locales, le dignitaire politique, l'activiste entrepreneur, l'affilié, l'héritier, le militant comme Edile. En leur donnant la parole aux notables locaux, il remarque : «Autrefois réservé à des individus dont le statut et l'autorité se fondaient essentiellement sur la réputation personnelle, l'ascendance familiale et l'appartenance aux couches dominantes de la société traditionnelle, l'exercice de ce rôle notabiliaire est devenu l'apanage dans le contexte politique issu de l'indépendance, des agents locaux du parti : des «personnalités» ayant un accès privilégié à l'administration que confère à leurs interventions leur allégeance proclamée au pouvoir en place. ».(9) C'est à peu près dans les mêmes configurations que nous pouvons établir la régence du patriarcalisme en Algérie. M.B. Sahli aborde le poids du local sans donner une dimension national au phénomène notabliliaire. Il se limite à l'aspect contestataire et culturel du localisme. (10) Il s'appuie sur les cas de deux régions d'Algérie, le Mzab et la Kabylie. Les différents témoignages des animateurs du réformisme religieux et du nationalisme algériens corroborent l'attachement des acteurs aux structures traditionnelles. Chacun à sa façon met en valeur les liens de notabilité comme argumentaire d'affranchissement et de combat. Tour à tour, l'écueil de la contradiction est travaillé par toute une sociologie de l'action appelée transactionnelle par enracinement. A titre d'exemples : Tayeb al-Okbi (Biskra), Moubarek al-Mili (Laghouat), Bachir al-Ibrahimi (Sétif) ou Abdelhamid ibn Badis qui a une notoriété bien assise à Constantine, tirent leur renommée de leur implantation locale.(11) Le cas de B. Bayoud du Mzab aiguise la transaction de la modernité et la tradition enracinée.(12) Dans la même optique, Ali Zemoum écrit : » Il n'est pas contradictoire d'adorer un Dieu unique, de croire en la prédestination et, en même temps, de croire aux pouvoirs des invisibles capables de détourner le cours de son destin en ta faveur. »(13) ou un Amar Imache qui ne cessera pas d'emprunter dans sa démarche politique, la coutume berbère, plaidera pour l'importance du arch et de la djemâa. Et pour finir, un Ait Ahmed qui rappelle dans ses mémoires de combattant, le rôle des tolba dans l'insurrection de 1871 ou du besoin de la résistance algérienne de cadres connaissant parfaitement le terrain, comme les notables. C'est toute une pléiade d'acteurs insurgés qui donnent le ton au local, lieu de mémoire et véhicule de la tradition à l'épreuve de la modernité comme prise de guerre. Dans tous les cas, il est possible d'écrire l'histoire du mouvement national en prenant en considération l'enracinement des individus aux valeurs de la société traditionnelle et au tissage des relations indues qui formalisent concrètement la formation des groupes et des clans qui prédominent les nouvelles appartenances. Les affiliations négocient des stratégies du pouvoir. En l'occurrence la sociologie politique du clan d'Oujda en est un exemple parmi d'autres d'un ensemble de configurations claniques qui ne cessent de dominer l'espace politique algérien. Le contre-exemple berbériste s'identifie à la même logique. Par ailleurs au détail près, y'aurait à identifier le parcours individuel pour établir un tableau générique des alliances et contre alliances qui en dernière instance justifient les choix et les adhésions et donnent une carte de distribution des statuts. Au fait, il s'agit de faire une micro sociologie de chaque acteur en partant de son lieu de naissance, les établissements scolaires fréquentés, les classes d'âge et les relations personnelles jusqu'aux déterminants idéologiques et les groupes d'appartenance. Le nationalisme algérien ne départira jamais de cette contusion bicéphale au point que l'histoire de l'Algérie se confond avec les personnages héroïques. On voit bien que la nouvelle organisation promue par l'État national, transpose les modalités de l'action notabiliaire dans de nouvelles fonctions élaborées par l'État. C'est la consécration des nouvelles fonctions étatiques proposées par le nationalisme et qui du même coup occasionnent la lutte du pouvoir. En définitive, c'est le cadre d'expression du patriarcalisme sophistiqué. C'est une armada de techniques modernes qui sont utilisées au bénéfice de nouveaux statuts. La formation de nouveaux notables issus du Parti-Armée-État est une transmigration des valeurs traditionnelles qui modélisent la machinerie administrative. C'est la machine bureaucratique qui est la marque de la fabrique de l'État national considéré comme outil rationnel. Au lieu de rationaliser la gestion étatique, il transpose la maison du Patriarche qui n'a rien voir avec la maison du Roi (P. Bourdieu). Elle en fait le cadre idéal de la lutte des cercles concentriques animés par des chefs et de leur affiliation. Au service des cercles, un ensemble d'instruments ; la force et le signe d'une écriture sont utilisés pour asseoir la stature des chefs en hommes politiques Le profil que donne G. Balandier : » En récupérant les symboles anciens et efficaces, les agents de la modernisation organisent le cérémonial de la vie politique (y incorporent parfois des éléments rituels) afin de le sacraliser; ils donnent à leur leader un double visage ou lui construisent une personnalité héroïque : ils recourent enfin à des moyens traditionnels pour forcer l'adhésion et fonder l'autorité de leurs agents. »(14) Voilà, c'est un personnage à double visage. Les caractéristiques individuelles du héros politique sont l'avers et l'envers d'un même personnage. Il est à la fois le virtuel et le réel, l'irrationnel et le rationnel, la modernité et la tradition. Il incarne la doublure de la lettre et de l'arme, le civil et le militaire, le thaumaturge et le fonctionnaire. Au risque d'induire le dysfonctionnement dans le l'appareil de l'État, des assemblages illogiques grippent le machine bureaucratique. Le constat est là, la bureaucratisation de l'État national n'est pas seulement une conséquence des fonctions mais elle reflète les attributs des agents. Par conséquent, le patriarcalisme sophistiqué se définit par les assemblages illogiques d'une machine bureaucratique et les attributions des agents qui perpétuent la croyance des aïeuls comme sacralité du chef. Quant à la sémantique de la modernité, elle n'est qu'un simulacre de l'élite dont la principale fonction consiste à maintenir sous le joug de la domination, le symbolisme du retors qui enchaîne la population dans une eschatologie politique qui promet une Algérie éternelle comme les houris du paradis. Références 1° La maison du patriarche, l'Algérie sous tutelle, la rente et le dogme, etc. 2° M. Weber, Économie et Société /1, Les catégories de la sociologie, Pocket, Paris, 1995. Dans cette partie ce dernier expose les différentes formes de la domination traditionnelle. 3° A. Hénia, Etre notable au Maghreb, Dynamique des configurations notabiliaires, Maisonneuve& Larose, Paris, 2006. 4° O. Feneyrol, Pouvoir local et pouvoir sur le local en Tunisie, Les agents du parti entre État et Territoires, dans A. Hénia, p, 328. 5° A. Hénia, Le pouvoir entre «notables» et «élites», les cycles de la notabilité, Monde arabe, Maghreb Machrek, no 157, Paris, 1997. 6° A. Cheddadi, Ibn Khaldoun, l'homme et le théoricien de la civilisation, Gallimard, Paris, 2006. 7° P. Bourdieu, Sur l'État, Cours au collège de France, 1989/1992 Raison d'agir, Seuil, Paris 2012. Nous nous contentons de quelques exemples de son analyse sur la modernité de l'État en tant que sociogenèse qui le différencie un peu de M. Foucault qui s'intéresse à la généalogie du Discours /Pouvoir. Le premier s'insurge contre l'amnésie de la genèse et le deuxième contre l'ontologie circulaire de l'État. 1° Quoiqu'il en soit ce ne sont que des analyses qui concernent principalement l'État Nation en Occident et plus particulièrement les cas de la France et de l'Angleterre. Dans tout les cas, ces études ne peuvent servir que de références à la modernité de l'État nation et par prorogation à l'Etat national hérité de l'État colonial. Il ne s'agit aucunement de substituer ces siècles européens à la tradition musulmane qui a ses propres sources de légitimation. Le livre de Ali Mezghani sur l'État inachevé, est une reprise de la modernité et des problèmes juridiques. L'auteur insiste sur l'aspect juridique qui d'ailleurs n'est pas le seul instrument de l'Etat fiction. D'après les auteurs ci-dessus, il est un parmi d'autres. Pour autant nous restons redevables de l'analyse d'Ibn Khaldoun de l'histoire des dynasties où l'Esprit de corps fait et défait les États sans que le juridique n'intervienne directement dans leur émergence et leur dépérissement. Par conséquent, la reprise de la question des déterminants de la construction de l'État telle qu'elle s'est posé à l'indépendance nous incite à revoir le problème du langage politique. Or l'usage moderne du mot Ri'assa est une transposition de l'idée de la seigneurie comme la définit Ibn Khaldoun en tant que seulement point de départ du Mulk qui s'exerce d'abord au niveau de la famille ou du clan. C'est cette bizarrerie du langage qui nous incite à penser à une transposition du pouvoir familial ou clanique au niveau de l'Etat national, dans sa forme achevée qui est le patriarcalisme sophistiqué. Toutefois, il y'aurait à analyser plus finement les différents types de régimes politiques en Islam et leurs corollaires occidentalisés. Mais la particularité réside principalement dans l'interdépendance ou la particularité de la modélisation étatique. Certes, le terme Mulk garde sa singularité dans la signification de la royauté mais il ne donne aucune satisfaction lorsqu'il désigne la forme la plus conforme du régime sultanique des dynasties musulmanes. Dans la tension actuelle des revendications identitaires, le versant radical qui veut promouvoir l'originalité à la place du syncrétisme ambiant, transperce le cadre de l'État national et transforme le champ politique en un vaste catalogue de principes inactuels où on trouve pêle-mêle du particulier et du l'universel qui est généralement abusif et réducteur, du local et global et du général et du particulier. En ce sens c'est toute une chimie des langues qui transpose l'action des hommes sur le terrain des luttes de souveraineté. Hélas, la complexité des relations établit un système de représentation partagée parce qu'il se veut universel. Et ce n'est pas qu'une affaire de sémantique politique. 2° De toute façon, la série d'exemplaires proposés ne peuvent correspondre à l'histoire maghrébine et pas plus que la question antique de l'État romain. L'histoire gallo-romaine narrée par M. Foucault n'a rien à voir avec celle de l'Afrique romaine. Nous avons fait une lecture transgressive de trois ouvrages issus des Cours donnés au Collège de France. -La naissance du biopolitique, Cours au Collège de France 1978/1979. Gallimard, Seuil, Paris, 2004. -Sécurité, Territoire, Population, Cours au Collège de France. 1977/1978, Gallimard, Seuil, Paris, 2004. -Il faut défendre la Société, Cours au Collège de France. 1976, Gallimard, Seuil, Paris, 1997. 8° P. Alliès, «Que sont nos notables devenus» in «Faire la politique» revue Autrement, no 122, Mai, 1991 9°0. Feneyrol, ouvrage cité, p, 359. 10°M.B. Sahli, Contestations identitaires et politiques en Algérie (1945-1980). Le poids du local, in A. Hénia. 11° H. Touati, Entre Dieu et les Hommes, Lettrés, Saints et Sorciers au Maghreb (17èmesiècle), Editions EHESS, Paris, 1994. Il fait une hagiographie des saints de l'Algérie du 17ème dans laquelle il retrace entre autres, la place notoire de Constantine et de la renommée de la famille Ibn Badis. 12°M.B. Sahli, p, 265. 13° Idem, p, 266-270. 14°Idem, p, 273. |