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Pourquoi les efforts du président Tebboune sont entravés par la bureaucratie

par Reghis Rabah*

Le président de la république lors de la deuxième rencontre avec les walis qui a débuté le mercredi le 12 aout 2020 par un discours d'ouverture, est sorti de ses gongs contre ce qu'il a appelé lui-même " les forces d'inertie " qui freinent la mise en œuvre de son programme par retarder son démarrage effectif, bloquer son évolution en répondant des fausses informations par un noyautage de l'administration (01).

C'est la première fois où il abandonne carrément son discours écrit pour vider son cœur sur ce qu'il a appelé " une contre révolution qui œuvre contre la stabilité du pays. " Elle s'oppose au changement pour passer à cette deuxième république. Il parle même de rapports falsifiés qui lui parviennent. En homme averti une telle situation ne devrait pas l'étonner car même si la " Essaba " comme il l'appelle lui-même est en déconfitures, le système et l'ordre établi en vigueur depuis prés de six décennies avait déjà tissé ses tentacules qui ne peuvent disparaitre du jour au lendemain. Il était déjà victime de son dynamisme lors de la mission de premier ministre que lui a confiée son prédécesseur Abdelaziz Bouteflika. Rappelons, même si cela nous renvoie à des mauvais souvenirs que la déroute des législatifs du 4 mai 2017 s'est achevée avec un désintérêt total des citoyens à travers le faible taux de participation et surtout les scandales de l'argent ont fait réfléchir le clan au pouvoir pour trouver un artifice afin de gagner en crédibilité lors des prochaines échéances électorales notamment le cinquième mandat. L'astuce est simple, " séparer l'argent de la politique " sous forme d'un slogan pour faire marcher le peuple sans pour autant penser un instant à l'appliquer sur le terrain. Il se trouve que contrairement aux anciens chefs de gouvernements qui se référent constamment à la hiérarchie, Tebboune à montré à travers les secteurs qu'il a eu en charge de mettre en œuvre ce qu'il inscrit pour une concrétisation effective. C'est un calcul que les décideurs n'ont pas pris en compte d'où son limogeage immédiat en moins de 3 mois dans le poste. Aujourd'hui les lobbies de l'intérieur comme de l'extérieur agissent comme des virus pour pervertir tout ce qui utile pour l'intérêt général en perspective afin d'aboutir au chao et revenir sous une autre forme pour perpétuer ce qu'on a l'habitude d'appeler le " système " qui n'est qu'un ordre établi où chacun trouve son compte sauf l'intérêt de la nation..

Une telle situation n'est pas spécifique à l'Algérie

Il faut souligner d'emblée que les théories politiques classiques de contrôle des masses semblent être dépassées par l'avènement du TIC (Technologie Information et communication). Aujourd'hui il suffit qu'un simple citoyen exprime ses impressions à ses amis sur une page d'un réseau social, ces derniers la partagent et des millions d'autres en prennent connaissance et peuvent ressentir la même chose et se donnent ainsi rendez vous pour la porter tout haut dans la rue et ainsi tout s'enchaine pour devenir une protesta. D'autre part, la protestation contre les leaders africains prônent le changement n'est pas spécifique à l'Algérie. En effet, plusieurs régimes africains ont travaillé à leur maintien au pouvoir à partir de 2013 bien que la Constitution de leur pays le leur interdise. Que ce soit au Burkina Faso, mais aussi au Burundi, en République du Congo (Congo-Brazzaville), en République démocratique du Congo (RDC) ou au Rwanda, aucun leader politique n'a pu s'échapper à ces types de protestations semblables à celle qui s'est déroulée en Algérie depuis le 22 février 2019 bénie par toutes les parties qui veulent du bien pour le pays mais pervertie par le système résiduel pour renaitre de ses cendres. Pourtant, les signes avant-coureurs ne manquaient pas. Après l'Algérie, le Cameroun, le Tchad, l'Angola ou l'Ouganda, une nouvelle vague de modifications constitutionnelles a été entreprise sur le continent africain. Les arguments utilisés pour justifier ces mesures sont invariables : le besoin de stabilité, la nécessité de poursuivre une œuvre inachevée et la réponse à une demande populaire. Il se trouve que le ras- le- bol populaire ne faiblit pas jusqu'en général un gain de cause incontestable mais des virus s'incrustent dans ces mouvements en général à quelques exceptions prés paisibles, organisés et surtout disciplinés pour s'approprier leurs honnêtes revendications et devenir des intermédiaires politiques pour inscrire leur propres désirs qui non seulement ne sont pas opportuns mais dévient le mouvement de sa ligne de protestations vers d'autres desseins, au demeurant souvent aventuriers. Pour le cas de l'Algérie, plusieurs sons de cloche se sont développés au fur et à mesure que cette protesta prenne de l'ampleur. Pour ceux qui sont contre le report de la mascarade d'élection, ils soutiennent que cette protesta est provoquée par les clans au pouvoir et son organisation sans faille est conduite par les parties de la coalition du soutien au cinquième mandat pour pousser à la désobéissance afin d'instaurer l'état d'urgence et donc l'armée s'occupera du reste. Pour cette frange, un général est le seul qui sauvera le pays de ce scénario si on voterait pour lui. De l'autre côté de la rive méditerranéenne, la chaine Al Magharibia actuellement fermée a été réquisitionnée en diffusion " spéciale Algérie ", se propose d'être un forum pour permettre à ce mouvement de désigner ses propres interlocuteurs afin de concrétiser leurs aspirations avec le pouvoir en place. Dans les tables rondes qu'elles organisent sur le sujet, des propositions surprenantes apparaissent comme le retour à la situation de 1991 et remettre les clés aux vainqueurs encore vivants des responsables du Front Islamiques du Salut (FIS). Un autre insiste sur une option fédérale de l'Algérie pour donner plus d'autonomie aux régions mais derrière cette dernière, vise t- on leur indépendance ? Enfin le siège de Talaie El Hourriet de Ali Benflis avait regroupé 15 partis d'opposition, quatre syndicats indépendants et 35 personnalités nationales et activistes politiques avec comme invité d'honneur deux membres du FIS dissous en l'occurrence Kamel Guemazi ancien maire de Bab El Oued et Ali Djeddi pour se donner en spectacle dans une prière conduite par ces dernier. La majorité de ce beau monde est encore sur le terrain et n'a pas changé un iota de sa position en dépit d'une élection libre et indépendante reconnue par pratiquement le monde entier. Nombreux d'entre eux constituent un obstacle pour un passage à une deuxième république dans laquelle ils pourraient ne pas trouver leur compte et parfois même perdre leur confort.

Pourtant, l'Algérie dispose d'un Symbole Identitaire

Près de 40 ans après l'occupation française soit en 1870, une première enquête sous l'auspice de la puissance coloniale divise la société algérienne en deux catégories de population : les Berbères dont les Kabyles révèle t- elle et les Arabes.

Les chiffres qui figurent dans ce rapport montrent bien que la population berbérophone est majoritaire. Depuis les analyses vont bon train par leurs diverses applications pratiques sur le terrain. Mais quel que soit le niveau du débat, parfois des conflits sur cette question identitaire, la culture amazighe s'est imposée dans la constitution de 2002 et 2016 comme langue nationale et officielle et symbolisé plus tard par un drapeau tout à fait différent de celui du séparatiste Ferhat Mehenni même si les couleurs se ressemblent. Dès le début du mouvement de dissidence populaire de nombreuses régions utilisaient ce symbole à côté de l'emblème national pour d'abord montrer aux peuples qui les regardent avec admiration dans le monde qu'ils sont dotés d'un devoir de mémoire de novembre 1954 et à la fois, avec fierté leur appartenance à la culture amazighe. Tout marchait bien jusqu'aux discours " ambigües " que le président qualifie de son intervention de " Lakhlat " mais ont précipité et enchaîné le mouvement dans sens négatif. Le vendredi d'après, des jeunes ont été arrêtés en possession de drapeaux amazighs et maintenus en garde à vue et présentés le dimanche d'après devant le procureur de la république pour port d'emblème amazigh, délit qui n'existe pas dans le code pénale. On apprendra plus tard par la voie de leurs avocats que le parquet de Sidi M'hamed a ordonné leur garde à vue sous l'inculpation d'atteinte à l'emblème national et à l'unité de la nation. Même si la cellule de communication de l'Armée Nationale Populaire (ANP) a laissé parler le feu vieux général par son cœur en tant qu'ancien Moudjahid, normalement les magistrats auraient pu se ressaisir pour corriger cette arrestation après une brève leçon pédagogique sur cette histoire que d'autres effectivement pourraient instrumentaliser. Le rouage bureaucratique en a fait autrement et pourrait être le pourvoyeur de cette force d-inertie dont parle avec amertume le président de la république aujourd'hui.

La France par le biais de son lobby pousse à cette division pour ses intérêts

" Depuis le Moyen Age, l'effort constant de la France a été de tendre vers une unification du pays par une seule langue. D'abord sous forme écrite, apanage des notables et des juristes, il a été étendu à toute la nation par la révolution de 1789 et imposé par de multiples moyens dont l'école était le plus efficace. Mais depuis une centaine d'années, pour de multiples raisons, internes et externes, cette tendance à l'unité a été battue en brèche.

Aujourd'hui la multiplicité des types de discours et des modes de langage réclame l'attention des sociolinguistes autant que des hommes politiques. " Les Bretons, les Basques, les Catalans, les Corses, les Alsaciens, les Flamands et bien d'autres ont fait d'elle une diversité ethnique.

En dépit de cela, elle met l'accent sur l'unité et lutte acharnement contre tout multilinguisme et surtout la pluralité des drapeaux. Celui du coq gaulois n'est utilisé que dans les compétitions sportives mais jamais institutionnalisé.

Sous la pression des études sociologiques et des experts, un rapport (02) sur les langues parlées dans les différentes régions françaises a été établi et présenté au conseil des ministres sous la présidence de Jacques Chirac en 1999, de suite rejeté. Le ministre de l'Intérieur de l'époque avait déclaré à la presse à l'issue de ce conseil : " La reconnaissance des langues régionales signifie la balkanisation de la France c'est-à-dire la destruction de l'unité nationale française " Le Sénat français a refusé de reconnaître les langues régionales en tant qu'élément du patrimoine national français en 2008 et l'Académie française l'a soutenu.

Mais pour son ancienne colonie, elle fait tout pour encourager la séparation qu'elle refuse pour elle-même. Comme aussi, elle encourage l'exploitation du gaz de schiste par la fracturation hydraulique qu'elle interdit sur son propre territoire.

Le système politique Algérien est rattrapé par son histoire

La prise en main du pouvoir par ce que les his toriens ont identifie comme le clan d'Oujda devait débuter en 1961, lorsque chef de l'armée des frontières le feu colonel Boumediene confie à Abdelaziz Bouteflika sa première mission "diplomatique". Il était chargé de se rendre clandestinement en France pour rencontrer les chefs historiques du FLN, placés en résidence surveillée au château d'Aulnoy, dans la Seine-et-Marne. Le colonel Boumediene veut s'assurer d'un appui politique dans la perspective d'une prise de pouvoir, dans la foulée du départ des Français.

Il mise sur Mohamed Boudiaf, dirigeant de la fédération française du FLN et ministre du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Mais Boudiaf refuse sèchement. Tout comme Hocine Aït Ahmed, lui aussi sollicité. Bouteflika, lui, parie plutôt sur Ahmed ben Bella, qui a sauté sur l'occasion qui lui sera fatale quatre ans plus tard. Rédha Malek qui racontait dans son livre les péripéties des accords d'Evian, est revenu sur cet alliance en la résumant à sa manière "Boumediene avait besoin d'un politique et Ben Bella d'un fusil " Ce soutien militaire contre légitimité politique, sera scellé entre le clan d'Oujda et Ben Bella, par l'intermédiaire de Bouteflika, il va s'avérer fondamental au cours de "l'été de la discorde" de 1962. Les accords d'Evian ont été signés le 18 mars, l'indépendance reconnue le 3 juillet.

L'Algérie est enfin un pays libre, après cent trente-deux ans d'occupation française et huit années d'une sale guerre qui laisse derrière elle 1, 5 millions de martyrs. Pendant que le peuple était en euphorie pour savourer sa liberté nuits et jours en plein été, les clans au sein du FLN se déchiraient dans des luttes pour la prise du pouvoir. Deux factions s'affrontent : le pouvoir civil derrière le GPRA, et les militaires, avec le clan d'Oujda. Le premier est soutenu par les wilayas de l'intérieur et le FLN français. Les seconds par l'armée des frontières du colonel Boumediene.

Celui-ci va s'imposer par la force : le 9 septembre 1962, ses troupes - rebaptisées Armée nationale populaire - entrent dans la capitale. Ahmed ben Bella rejoint Houari Boumediene à Alger et organise un meeting populaire au stade municipal, avec défilé militaire. Battu, le GPRA capitule sans conditions.

Depuis, le peuple restera conduit d'une manière directe et indirecte par un pouvoir militaire à ce jour où ce déclic du cinquième mandat lui a inculqué que sa liberté effective ne l'atteindra que lorsqu'il se débarrasse de ce " système " instauré depuis pour édifier lui-même un Etat de " droit, républicain et citoyen ". Pour cela, il exige une transition conduite par des personnalités propres, honnêtes qui n'ont jamais géré le pays dans les décennies post indépendantes.

Il se trouve que cette transition semble être dépassée aujourd'hui.

C'est autour de la question du pouvoir que se négocie le retour de la confiance

La confiance en général se construit à travers un ensemble d'éléments invisibles et secrets que les sociétés mettent en place afin de favoriser les conditions du vivre- ensemble et de leur confiance dans l'avenir. Cette confiance permet aux sociétés de se protéger lors des moments de crise, des difficultés et des dangers internes comme externes. Elle permet de construire les relations de solidarité entre les groupes et les classes sociales afin de les unir autour d'un contrat social qui garantit la cohésion sociale et définit les conditions et les règles du vivre-ensemble. La confiance joue un rôle majeur dans le fonctionnement des sociétés modernes. Parmi ces rôles, nous pouvons citer le fonctionnement des institutions de l'Etat qui exige un important capital-confiance de la part des citoyens qui donnent la responsabilité de la gestion des affaires publiques aux élus. La confiance est également un élément essentiel dans le domaine financier et économique. Ainsi, permet-elle aux citoyens de déposer leurs ressources financières en toute sérénité et sans la moindre peur auprès des institutions financières et bancaires. La confiance est aussi importante dans le domaine de l'éducation dans la mesure où elle encourage les citoyens à fréquenter les établissements scolaires en toute confiance et sans le moindre doute sur le contenu des programmes scolaires. La confiance joue aussi un élément important dans le domaine de la santé publique et permet aux citoyens de fréquenter les hôpitaux et les établissements de santé en toute tranquillité et d'appliquer les ordonnances prescrites par les médecins sans la moindre peur. La confiance est aussi essentielle pour le système judiciaire et permet aux citoyens de fréquenter les tribunaux et les juges pour régler leurs différends tout en étant convaincus de leur honnêteté et de leur capacité à prononcer des jugements justes. Ainsi, la confiance joue un rôle majeur dans les rapports humains et les relations sociales et dans la construction des sociétés modernes. Elle représente un pari sur la capacité des citoyens à construire des relations de solidarité, des règles de vie commune et de croyance collective dans l'avenir. Mais, la question qui se pose est de savoir s'il en a toujours été ainsi, ou plus précisément comment la notion de confiance a évolué à travers l'histoire propre à chaque pays. Qu'en est-il en Algérie ?

Le pouvoir a l'habitude d'enflammer les citoyens

Début des années 80, éclate le dossier de la conduite du ministère des affaires étrangères par Abdelaziz Bouteflika par la cours des comptes pour un détournement de l'argent de plusieurs ambassades sous sa responsabilité mais à son compte. C'est justement à cause de cette affaire qu'il a connu, dit-on Ahmed Kouninef installé en suisse, lequel homme d'affaire l'a dépanné pour rembourser une partie de cet argent détourné mais les caisses de l'Etat n'ont absolument rien reçu. En définitif, Bouteflika a été réhabilité non seulement pour cette affaire mais pour prendre la destinée du pays pendant deux décennies et plus grave en remboursant sa dette aux Kouninefs doublement sur le dos du peuple. En plus, Il a pris sa revanche en marginalisant cette institution qui s'est tue depuis. La bombe des 26 milliards de dollars de surcoût des projets lancée par Abdelhamid Brahimi qu'on a pris pour un clown en lui donnant un surnom " Brahimi la science " car aucune enquête n'a vu le jour. Le dossier de corruption du secteur de la santé décrit en détail par Djilali Hadjadj, l'actuel, porte parole de l'Association Algérienne de Lutte Contre la corruption dans son ouvrage. Qu'avons-nous retenu de l'affaire Khalifa à part les larmes de la juge qui a conduit l'audience et les ambassades dans la salle des accusés encanaillés par le golden boy. Les pauvres titulaires des comptes dans cette banque ont tout perdu. Sonatrach 1 et 2 et toute les affaires, et elles sont nombreuses y compris celles en cours enflammeront la foule pour un temps mais finiront au cimetière des palais de justice une fois cet optimisme beat passé. C'est justement à ce niveau que le président de la république devra travailler : gagner de plus en plus la confiance des citoyens par les faits.

*Consultant, économiste pétrolier

Renvois

(01)https://www.youtube.com/watch?v=rcHJ9Q JkpuI&fbclid= IwAR1RERvD dqUfjzxLhD bLPOU3B620nKI4408Vugs92pFHCrzec8O9pF6CjE4

(02)http://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/france-3politik_minorites.htm