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La normalisation

par El Yazid Dib

Si la Palestine, sous sa couverture d'affaire persiste à ne faire qu'une affaire d'arabes et de musulmans, l'affaire n'ira pas loin. Il s'agit en fait d'une cause ouverte à tout être épris de paix et de justice. Son tord cependant était d'avoir fait unilatéralement une possession quasi-exclusive d'une certaine notion flouée de nation arabo-musulmane.

Normaliser quelque chose, c'est à peu près revenir à la règle, à la norme, la source génésiaque, à l'origine telle qu'elle l'était. En politique tout tend à prendre une autre tournure, alors qu'en diplomatie c'est le contraire qui atteste de la vérité de son contraire. L'on peut faire d'un déluge ravageur une simple et bénéfique inondation. Normaliser ses relations avec Israël, c'est les mettre enfin au grand jour. La différence n'est que dans la frontière entre les coulisses et la conférence de presse. Entre le sofa luxurieux d'un palais et le bureau noir d'une agence d'intelligence.

La normalisation des relations entre les Emirats arabes unis et l'entité sioniste, en principe n'a pas à faire tout ce chahut populaire. Tout était prévisible, préconçu et savamment tracé, sinon perfidement. Bien d'autres pays de cette confrérie arabe vont le faire. Ce sera, cette normalisation une affaire normale. Cela demeure justifié par les nouveaux enjeux stratégiques, la globalisation de ces mêmes enjeux et ce criard pragmatisme devant un échec réplétif depuis 1947. Donc la réalité politique est là. Plus de connexion à base d'ethnie ou de clanisme, fut-elle sous une bannière religieuse sensée unir plus que désunir. C'est ça, ce que tente de faire avaler les faiseurs d'opinions à des populations attachées corps et âme à une cause avant tout. Car la Palestine dépasse la notion territoriale pour s'inscrire d'abord dans un idéal de justice historique et ensuite de solidarité envers un peuple meurtri et spolié de ses minimes droits.

L'histoire devient parfois risible. Cette histoire nous a pourtant enseigné que c'est par essence, philosophie ou idéologie que l'on fait des révolutions. Elles ne peuvent être faites que contre des puissances coloniales et des forces étrangères. On ne le fait pas avec ces forces et en leur compagnie contre son propre peuple. Ceci ne sera donc qu'une contre-révolution. Cela fait des lustres que le peuple palestinien lutte, se révolutionne, s'insurge, se révolte, sans que ces entités éprises d'amour populaire, de droits et de liberté ne daignent provoquer une quelconque remise en cause du conquérant.

Les régimes politiques des provinces arabes, tellement distincts dans leur anatomie constitutionnelle, ne surviennent plus à tracer une distance commune, ne serait ce qu'en vertu d'une défense collective de la question palestinienne, voire de leur propre vision des affaires intérieures. Les révolutions qui ont pu déstabiliser des régimes moribonds à bout d'innovation, n'ont pas manqué aussi de pousser ceux, encore nombreux rescapés de ce faux et meurtrier " printemps arabe " à faire timidement leur mue. Apres la chute de certaines, les autres capitales se sont vite empressées à promettre des embellies ou à concocter des plans et programmes de redressement de salut public. Echec sur toute la ligne.

Les royaumes considèrent avec acuité, l'intérêt de survie du trône, les républiques le font d'une manière à garder une telle apparence, les autres s'essayent à la continuité d'une vie tranquille et paisible. L'histoire des arabes est assez riche en événements douloureux. Elle ne fut en réalité qu'une kyrielle de guerres, de combats et d'éloges post-mortem à l'honneur des grandes victoires d'une ère enterrée

La ligue arabe, une coquille vide n'est pas tout aussi prête à pouvoir fédérer l'ensemble de la chorégraphie arabe en régulant les fausses notes sempiternelles qui font grincer toujours l'espoir d'une impossible symphonie. Cette ligue se trouve, à chaque soubresaut, tout à fait à côté des bouleversements qui tressaillent ses Etats membres. L'idéal n'est plus donc dans le regroupement conjoncturel que ne l'est l'accord pour la nouvelle vision de cogérer la chose arabe. Néanmoins il est attendu de ce conglomérat une nette redéfinition dans la stratégie d'ensemble mais aussi dans la nature des objectifs à s'assigner. Un moindre effort est supposé préexister pour une refondation de ce qui devra dorénavant lier les Etats membres de cette ligue. Sinon, disparaitre serait une sinécure pour tous. Que l'on finisse ainsi une fois pour toute avec ces hypocrisies dans uns monde qui croit en vertu d'un islam défiguré et d'un arabisme dépassé par les intérêts économiques ; constituer une force dans un monde qui n'est ouvert qu'aux grands, qu'aux détenteurs du savoir et de rationalité.

Déjà qu'au plan de la communication collective, l'incohérence fait office de maître. Le manque justement de cette cohésion dans la diplomatie médiatique que tente d'entreprendre la ligue arabe n'est pas de nature à faire avancer les choses dans le sens où l'autorité palestinienne le voudrait. Au sein du siège onusien, à propos de l'adhésion de l'autorité palestinienne, en qualité de membre à part entière de l'assemblée générale comme 194 eme Etat, la ligue dans sa géographie politique n'eut pu faire quelque chose. Laissant le soin aux tractations individuelles et celles d'Etat à Etat. Cette faiblesse dans la conjonction d'efforts, les potentiels ennemis l'auraient bien compris. Dire avec toute l'aisance de ne point se tromper, que le seul ennemi de l'arabe reste son comparse. Quant l'art n'est pas une politique de nuances, la politique devient hélas un art rapiécé, vicieux et tonitruant.

Si c'est l'intérêt qui arrive unir à les Etats occidentaux, c'est ce même intérêt qui dissocie à outrance l'unité arabe. La religion qui peut faire office d'un baume chauffant les cœurs et reliant les adeptes, n'est plus à son tour apte à rassembler la moindre dissidence ou rétrécir la moindre discordance. . Le cri des cors aux réformes rébarbatives, les clairons des programmes de relance économique, l'incohérence gouvernementale et autres carillons finiront tous par avoir une voix inaudible, rauque et aphone.

Le monde bouge à grande vitesse, les choses se précipitent, et voilà que les Arabes ne se concertent plus. Il semblerait qu'ils n'ont plus rien à se dire, tant, qu'il vaudrait mieux s'acoquiner avec l'autre, celui qui agit, qui exerce une force de frappe à l'OTAN ou au conseil de sécurité. Dans l'attente de ce que vont décider les gouverneurs membres de la ligue arabe, les enfants en Palestine, comme en Irak. , en Lybie, au Yémen et un peu arabiquement ailleurs, continuent de mourir, par balles, déni de justice ou négation de droits. Le souffle que poussent les poumons altérés du système local, à son tour s'atténuera et s'amenuisera au fur et à mesure des revendications persistantes telle une toux craquante. En Syrie, le régime tient beau la main mais n'arrive plus à comprendre un peuple désuni. En fait, il y en a deux.ses fans et les autres. On l'a diabolisé. Plus que Saddam, au même titre que Kadhafi. Il était un obstacle à la normalisation qui se projetait dans ce moyen orient remis à l'état faussement démocratique. L'octroi de droits à ses citoyens n'est plus une atteinte à l'ordre public, ni a la sûreté de l'Etat. L'Algérie qui n'étant pas dans ce registre reste une nation quand bien même à envier, malgré la fièvre qui la convulse encore. Elle est appelée néanmoins à agir dans la diligence et ne pas se résigner dans un arrangement tardif inutile. Il faut lancer rapidement les réformes promises selon un agenda d'actions à même de réconforter l'appui à la démocratie. Rentabiliser les acquis du Hirak et ne pas obstruer le chemin de l'espérance de voir la lumière rejaillir telle qu'espérée et non pas telle que voulue par un régime qui peine à se légitimer.

L'affaire palestinienne, la guerre contre l'Irak, l'Afghanistan, les demi-révolutions arabes, ont bien démontré le fossé qui sépare la rue et le peuple des palais royaux ou des cabinets présidentiels. Les uns s'essayaient à manœuvrer de la manière la plus mesquine tentant de ne pas lorgner sur le mal que font les nouveaux libérateurs des peuples, les autres s'échinent à la démonstration du contraire par l'indéfectible soutien nonobstant la matraque ou l'interdiction de marcher.

La légalité internationale est une chose qui ne devrait plus obéir à des règles politiques mais à des rapports de force et de quelle force ? Elle est utilisée carrément selon les deux poids, les deux mesures. A voir des centaines, milliers d'hommes, des tonnes de matériels, une technologie de pointe, les dernières inventions de Microsoft, des relais aéroportés du pentagone, du numérique, se mettre en œuvre pour détruire tout ce qui bouge, palpite ou souffle à travers les contrées arabes, c'est se dire, et pourquoi pas un tel redéploiement d'arsenal ne sera-t-il pas mis au profit du peuple palestinien ? Lui qui voit depuis des lustres, ses droits violés par cette légalité internationale. A lui on réserve prématurément et ouvertement un veto pour l'éclosion de son Etat.

Pour les dirigeants arabes qui se sont mis à leurs dépens dans une peau de dictateur ne cherchant qu'un salut de survie ; les régimes s'assurent par le biais des puissances, via l'entité sioniste ; une continuité héréditaire. C'est à travers la reconnaissance de cette entité que les faveurs et les beaux gestes, voire le consentement universel pourra arriver. Vendre son âme pour défendre sa panse.

Quand on constate que le poids offensif exercé sur l'autorité palestinienne de déférer sa demande d'adhésion à l'ONU, notamment par les menaces de l'administration américaine à obstruer le chemin prôné, l'on est en droit de se demander à quoi joue le monde libre ? Quand 110 parlementaires français pro-sionistes faisaient pression sur leur président pour lui imposer, un certain temps d'opposer son veto à cette démarche, l'on est en droit de se demander en quoi consiste alors l'intervention des troupes occidentales dans les affaires intérieures des Etas arabes ?

Ainsi le paradoxe demeure entier. Le monde arabe n'est pas prêt pour s'unir derrière cette demande et former de la sorte un front agressif amenant tous les intérêts qu'il développe avec les puissances à faire leur convergence vers l'acceptation de l'Etat palestinien. Si l'Arabie saoudite, le Qatar, les Emirats, la Jordanie et autres feront reposer l'affaire palestinienne sur les dividendes à tirer de chez eux par les décideurs de l'univers, celle-ci connaitra un dénouement positif. La question palestinienne doit constituer une équation interarabe. Un véritable intérêt indissociable des autres. La Turquie tient à imposer un nouveau visage à l'égard des musulmans et arabo-musulmans. Erdogan est plus qu'un leader nassériste. Il joue à accorder les violons des peuples arabes et musulmans, tout en voulant revisiter pour l'instaurer le nouveau khalifat. Voilà, tout était prévisible à la longue. De nouvelles relations bâties non plus sur des convictions idéologiques ou religieuses, viennent de confirmer que les régimes arabes ne sont que des annexes du maitre du monde. Les émirats arabes unis vont entraîner dans leur sillage d'autres pays. La paix envahira ainsi cette partie du globe et fera cesser l'hégémonie d'une minorité fortement soutenue par des lobbys transnationaux. Du moins ce qui semble se mettre à l'étal des grandes communications. L'on parle déjà du Maroc, de Bahreïn, du Soudan frileux et d'autres conglomérats de ce golfe totalement à vendre.

La Palestine est un déracinement, un être expulsé de sa matrice, un corps sommé à l'errance et à l'exil. Seuls les peuples qui ont eu à connaître les affres des pires colonisations peuvent s'en émouvoir. Les hommes libres, ceux qui partagent l'amour de l'autre sans égard à sa nationalité, sa foi ou sa couleur. Elle ne doit pas un faire un simple ordre du jour d'une énième séance d'une ligue dont les émirats et ceux qui vont les suivre ont planté le dernier clou du cercueil.

Profitant de cette aubaine, il va y avoir certains éléments de la classe dite " intellectuelle " parmi les gens de plume, d'opinion ou d'expertise qui vont faire un investissement en normalisant cette " normalisation ". Ils seront alertes pour réinventer à leur œuvre des causes dans ce qu'ils prétendent être la souveraineté des Etats. Chacun est libre de faire ce qu'il veut diront-ils. Sauf qu'ils omettent au passage que le temps n'est plus aux souverainetés absolues. Chaque acte enrobé à l'apparence de volonté politique de son émetteur, reste tout de même dicté par une force occulte, une pression indicible ou un chantage accablant. Des voix, dans ce monde dit arabe ont déjà commencé le travail. Elles argumentent qu'il est impératif pour une paix durable dans la région de décomplexer une fois pour toute ce tabou anti-israélien longtemps entretenu pour des motifs qui ne tiennent plus debout, tant les générations se sont renouvelées, les principaux acteurs ont accordé leurs feuilles de route et qu'il faudrait faire dénouer le conflit uniquement entre eux. Palestiniens et israéliens. Presque du " de quoi je me mêle ".

En fait de sémantique, normaliser c'est rendre une situation conforme à une norme. Sauf que , tout le problème est justement dans la norme. Quelles sont ses substances, sa métrologie, ses pilotis ? C'est dire que toute norme sert en priorité son auteur. Contrairement qu'en politique, pour une seule norme il existe plusieurs versions. Des angles de vues. Ainsi la seule norme qui vaille est celle qui s'imprime dans la profondeur du peuple et de son expression qui ne peut parfois se faire lire par ses dirigeants. Au Koweït 40 députés sur 50 viennent de dénier tout droit à leurs dirigeants de " normaliser " une quelconque relations avec Israël. Croyez-vous que les citoyens émiratis sont-ils unanimement favorables à cette " normalisation " ? Idem pour les populations des pays en voie de la franchir et monter en croupe. Les émirats n'ont fait que sauver Trump et ce joli cadeau électoral ne lui est fait que pour garnir son terne palmarès en politique étrangère. Il a échoué avec l'Iran, la Russie, la Chine, la Corée, le revoilà qui s'assiste par les émirats arabes qui se lui livrent comme une offrande sur l'autel de l'ignominie et de la trahison. Pas plus. Winek ya Boumediene ? Oui les temps ont changé, de surcroit les hommes qui les subissent. Autres épopées, autres hommes.