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Le projet de révision de la Constitution
vient de paraître et il faut en saluer l'initiative. Nous avons, effectivement,
besoin d'un texte fondateur qui ait une vision lointaine et principielle. Un
texte qui condense, à la fois, une identité nationale et un projet sociétal. Ce
projet intervient après bien des moutures antérieures marquées par
l'empressement politique conjoncturel et l'absence de débat citoyen. Mais cette
fois-ci, on veut du changement. Du moins telle est l'intention affichée. Prenons-la
à la lettre.
Ma présente contribution concerne un des aspects du mal-être algérien et plus particulièrement de ce sentiment de haine de soi. Ce dernier semble s'être durablement installé chez les générations post indépendance ? désœuvrement, envie de Harga, violences, abandons scolaires, langage « créolisé », refuge dans l'anonymat sécurisant de face-book, etc. ? et il doit pouvoir être dépassé. De nombreux experts s'y sont penchés et en ont privilégié les aspects matériels. Or l'Etat a veillé à financer bien des projets (dont ceux de l'ANSEJ). Pourtant ces mesures, financièrement conséquentes, n'ont pas débouché sur de nouveaux comportements, ni sur la création de richesses, ni sur des innovations notables. C'est même l'inverse qui se produit, sous nos yeux, tous les jours. Dans cet environnement de survies institutionnelles, culturelles et humaines, il est un lieu qui est source principale de reproduction du mal-être : c'est le système éducatif. Et là encore, ce n'est pas par manque de moyens financiers et matériels que l'on est à contre-courant. C'est par erreur de vision. Et cette erreur de vision a été entretenue par une masse bien conséquente se comportant en «mercenaires et maîtres-chanteurs». Des enseignants psychologiquement mal préparés, académiquement mal formés et claniquement cramponnés à la solidarité corporative, ont pris les enfants de l'Algérie en otage. Ils n'étaient pas faits pour ce noble métier mais on les a embauchés quand même. Qui est fautif ? Mais tout cela ne réussit à s'ancrer et devenir l'anti-norme de nos valeurs ancestrales que parce qu'un élément symbolique essentiel est en souffrance. Il s'agit des langues natives. Il est vrai que l'on n'y prête pas trop attention. On va même chercher à s'approprier les langues d'autres humains que nous, avec l'illusion que cela pourvoira à nos besoins. Ce qui, malheureusement, témoigne d'une manière encore plus pathétique de notre état de haine de soi. Tous les savants de cette planète s'accordent à reconnaître le rôle incontournable de la langue native dans le développement cognitif et psychologique de l'enfant. En clair cela veut dire que la langue native doit être le point de départ de tout système éducatif perspicace et pertinent. Rien n'empêche, après les trois ou quatre années du primaire, d'introduire toute autre langue sans perturber l'évolution psychomotrice de l'enfant. Notre système éducatif fait exactement l'inverse. Et nos résultats scolaires (niveau de connaissance scientifiques, culture générale, comportements) sont, de plus en plus, en régression. Le moment ne serait-il pas venu de s'interroger sur ce naufrage aux retombées d'avenir les plus incertaines ? Je pense qu'il est encore temps d'éviter aux futures générations des déboires indescriptibles et surtout des conséquences psychologiques et sociétales qui risquent de défigurer pour longtemps cette Algérie-héritage que nous tenons de nos anciens. Il faut arrêter de se laisser prendre à ce piège qui oppose la Darija à l'arabe coranique. Ceci est une vieille diversion que l'histoire ne reconnaît nullement. En effet les deux langues ont toujours fonctionné en binôme. Bien des traces (notamment la jurisprudence islamique) confirment cela depuis l'islamisation de notre région. Il n'y a jamais eu d'opposition entre la langue arabe et les langues parlées au Maghreb. La première jouissant de fonctions liturgiques et juridiques écrites, les autres faisant œuvre de langue de socialisation, de production de la culture locale et de ses expressions littéraires et autres. Pour ce qui est de la Darija, nous avons des traces écrites qui remontent au moins jusqu'au Xème siècle. Avec beaucoup moins que ça tamazight jouit, d'ores et déjà, de la constitutionnalité. Alors qu'est-ce qui nous retient pour, enfin, consacrer la Darija (ou maghribi) et la consacrer dans la Constitution de la République ? La constitutionnalisation de la Darija va permettre, obligatoirement, de réformer le système éducatif, de fond en comble. On va pouvoir retrouver des élèves épanouis et des enseignants mieux formés et plus motivés. C'est ainsi que nous préparons la relève de ce pays. C'est en préparant les futurs citoyens à des valeurs ancestrales qui nous ont portées de génération en génération. Un élève bien dans sa peau, bien dans son être est un citoyen en herbe que la nation bénira. Un ami me disait, récemment, que la revendication de la Darija n'a pas les mêmes ressorts que ceux de tamazight et que ceci explique la mise en touche de notre langue majoritaire. Par conséquent ce serait notre sentiment de « majorité » qui nous pousserait à la léthargie. Nous ne ressentons pas d'urgences, comme c'est le cas des minorités linguistiques qui se battent, haut et fort, pour leur survie. Certes un tel argument est recevable, mais, pour ma part, j'attire l'attention sur un problème grave et central : la survie de notre système éducatif repose sur une politique linguistique de respect des langues natives. C'est cela que les expériences du monde entier nous renvoient comme recommandations. Alors profitons de ce chantier de révision de la Constitution pour intégrer la reconnaissance et la protection de la Darija (maghribi). Un mot tout de même sur la proposition hors axes n°10 réclamant que tamazight soit « une disposition qui ne peut faire l'objet d'une révision ». Mes positions de principe sur les langues natives sont suffisamment connues pour que ma sympathie en faveur des variétés berbères ne fasse l'objet d'aucun doute. Cependant, je considère que tamazight est souvent otage de politiques qui l'instrumentalisent à des fins perverses. Ainsi en est-il de cette tendance à vouloir en faire une langue généralisée et obligatoire pour tous. Un tel principe contreviendrait à la démocratie linguistique, d'une part ; et contribuerait à réduire encore plus les espaces de circulation de la Darija. Pour ces mêmes raisons, non seulement il faudrait équilibrer la politique nationale des langues natives, mais de plus il en faudrait interdire tout caractère obligatoire. Darija dans la nouvelle mouture de la Constitution c'est la garantie, à terme, d'un équilibre et une justice égale pour toutes les langues natives de la nation. N'est-ce pas là l'essence même de toute Constitution républicaine moderne ? * Linguiste (Auteur de «Après tamazight, la darija», 2020, Ed. F. Fanon) |
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