Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

LE TEMPS DES MEDAILLES : ET NOUS, ALORS ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

En Algérie, jusqu'ici, il n'y a, à ma connaissance, que trois types de médailles de reconnaissance

Les médailles des Moudjahidine (attribuées par décret présidentiel sur proposition du ministère des Moudjahidine après avis de l'Onm et du Mdn. Voir loi n°84-03 du 2 janvier 1984 portant création, in Joradp du 3 janvier 1984) : Médaille de martyr de la guerre de libération nationale / Médaille de grand blessé, mutilé de guerre / Médaille de l'Armée de libération nationale / Médaille de résistant.

La médaille de l'Anp (décernée par le président de la République et elle peut être attribuée à titre civil aux personnels assimilés. Voir loi n°86-04 du 11 février 1986 portant création, in Joradp du 12 février 1986). On peut être proposé à titre militaire (premier chevron avec au moins quinze années de services militaires effectifs et second chevron avec au moins vingt-cinq années de services effectifs et s'étant distingué par les qualités requises pour être proposable au premier chevron), et à titre civil et sans chevron.

L'ordre du mérite national ( décernée par le président de la République pour les services exceptionnels, les services éminents rendus dans une fonction militaire ou civile de l'Etat, les mérites des citoyens ayant rehaussé le prestige de l'Algérie. Trois dignités et trois grades. Voir loi n°84-02 du 2 janvier 1984). Trois dignités: Athir, Amid, Sadr et trois grades: Achir, Djadir, Ahid. Le président de la République est, de plein droit, «sadr» de l'ordre du mérite national.

Tout dernièrement, trois projets de loi ont été soumis au Parlement, après avoir été endossés en Conseil des ministres le 24 mai : création d'une médaille pour l'Anp (rajout d'un troisième chevron dont l'octroi est conditionné par une période de services de 30 années avec mérite), d'une médaille pour les éléments de l'Anp ayant participé aux guerres du Moyen-Orient en 1967 et 1973 et d'une médaille du courage, toujours pour l'Anp. Bien, tant mieux pour eux, et que Dieu les garde !

Il est certain que pour ce qui concerne les Moudjahidine, la gamme est largement couverte... encore que, avec la «réouverture» (plus de 50 ans après la fin de la Guerre de libération nationale) des dossiers pour l'acquisition de la qualité (dossiers qui, pourtant, avaient été définitivement clos depuis bien longtemps), on est enclin à penser que tout est encore possible, chacun de nous ayant une «guerre», une «révolution» ou un «djihad» dans sa tête. Très bien, tant mieux pour eux et que Dieu les garde !

Côté «civil», il est évident que jusqu'ici l'ordre du mérite national est d'un statut si élevé qu'il n'est (et n'a été) accordé qu'aux «personnalités» dites éminentes. Excellent, tant mieux pour eux et que Dieu les garde !

Mais que reste-t-il donc aux petits et aux sans grade, ni Moudjahidine (validés), ni militaires et assimilés, ni personnalités (algériennes ou étrangères) dites «éminentes». Les citoyens, non pas lambda, mais cadres et travailleurs de tous les secteurs ! Seulement des médailles délivrées par des associations ou des comités politiques ou sociaux de «soutien», par le Comité Olympique national ou par les fédérations sportives... et par des ambassades étrangères au nom de leurs pays... toujours pour «services rendus».

Un peu partout dans le monde, tout ceci existe bel et bien, mais, parallèlement, au niveau de la gouvernance générale du pays, il existe aussi toute une autre panoplie de décorations et autres médailles (avec leurs ordres et leurs grades) sanctionnant des mérites exceptionnels, des carrières exemplaires et productrices de plus value intellectuelle ou matérielle au bénéfice de la société, des actes de grande bravoure ou des exploits sortant de l'ordinaire. En regardant seulement ce qui se passe dans notre environnement international proche, ceci va de la médaille de la Légion d'honneur à celle du mérite agricole, en passant par la médaille de bravoure, la médaille de la famille, celles des Arts et des Lettres, la médaille du mérite sportif ou artisanal ou sportif, ou agricole ou maritime ou les Palmes académiques... Plus simplement, un Ordre récompensant les mérites exceptionnels civils (sans exclure les membres des corps militaires et les moudjahidine... citoyens avant tout)

Pour l'instant, chez nous, cela reste cantonné aux seuls cercles des «décideurs» réels ou supposés, vrais ou faux , méritants ou non... et le reste est limité aux «médailles en chocolat», à des «diplômes»... et à... de l'argent (décidemment !).

Un véritable apartheid du mérite, laissant tous les impétrants méritants mariner dans la frustration, d'autant que la plupart, en tout cas une bonne partie d'entre-eux (cadres ou simples citoyens), ne demandent, malgré les déboires quotidiens, tout au plus... qu'une simple reconnaissance sociale. Ni politique, ni finançière, mais seulement sociale !

Bien sûr, le risque est grand de voir une telle action (étatique, strictement présidentielle ou/et gouvernementale) emprunter rapidement les chemins politiciens du laxisme, du clientélisme et du favoritisme. On a vu bien pire pour bien moins, hélas ! En l'absence de l'action d'Etat, des entreprises et organismes s'y sont essayés, mais cela reste limité à des gratifications matérielles (récompenses, entre autres), qui n'ont qu'un poids bien éphémère. Ainsi, je me souviens (et on en parle encore dans les chaumières... pour en rire ou pleurer, c'est selon, bien plus que pour s'en vanter) du prix du Meilleur manager délivré par un organe de formation à la recherche de promotion : on s'est vite aperçu par la suite qu'une (petite) partie des lauréats étaient assez proches des membres du jury et certains d'entre-eux ont même eu maille avec la justice... pour actes de «mauvaise gestion». Je me souviens aussi, du temps de feu le président Chadli (que Dieu ait son âme !), de Prix (un diplôme ! récompensant les «personnalités éminentes» de la Culture et de la Communication, délivré... à peu près à tout le monde. Alors Directeur général de l'Aps, ce qui n'était pas peu, avouez-le, j'ai obtenu (par piston ou par pitié plutôt ou arbre cachant la forêt, je le confesse)... un «Prix d'encouragement» (sic !)... tandis que d'autres, militants actifs du Fln ou au passé douteux, avait obtenu bien plus...

Il ne s'agit pas de s'encombrer d'on ne sait quelles nouvelles démarches politiciennes, bureaucratiques et/ou démagogiques. Il s'agit, en fait, de créer les conditions d'un environnement propice à la créativité, à l' émulation, à une plus grande et meilleure productivité. Il s'agit de remettre l'individu-citoyen au centre de la société, bien sûr, mais aussi, de (re-) construire une nouvelle échelle de valeurs acceptable et acceptée par tous (toutes les autres étant parties en fumée), afin que chacun reçoive la sanction (positive ou négative) qu'il mérite... objectivement, dans la transparence et la liberté de choix, cela va de soi ! Une voie de salut ? Qui sait !