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![]() ![]() ![]() ![]() Les uns campent
loin du Livre et sont réticents à compulser les autres livres. Leurs rictus
dessinent la rancune, leurs propos ne sont qu'élucubrations. Et leurs assauts
meurtriers ! Palmyre, cité antique riche de par son patrimoine architectural ou
ce qu'il en reste, tombe entre les «mains bienfaisantes» de Daech comme si elle
tombait dans la moulinette de la désolation. Il y a peu, le musée Bardo, à
Tunis, fit les frais d'une incursion terroriste et de détonations qui nous
rappelèrent que les fanatiques n'apprécient guère les beaux-arts. Une
démonstration de plus après leur vénéneuse ruade sur Tombouctou où des
monuments répertoriés au patrimoine universel s'écroulèrent comme des châteaux
de cartes sous les coups de boutoir d'une haine irascible et destructive. A
Tombouctou, toujours, des manuscrits ayant résisté à l'ingratitude des hommes
finirent par disparaître entre les flammes, laissant une épaisse suie et une
odeur âcre pour témoigner que la bêtise humaine se pavanait sauvagement dans
les parages. En marge, la cité pleure la perte de ses trésors !
La bêtise humaine, justement, a cette malice de s'exprimer pernicieusement, sans discontinuer, avec ou sans préavis ! L'hydre terroriste, qui a mis l'Algérie à feu et à sang, résiste et refuse de rendre son dernier soupir. Au plus fort de son diktat, il interdisait aux enfants de prendre le chemin des écoles. Mieux, les fanatiques s'empiffraient d'un malin plaisir à incendier sinon à détruire les enceintes scolaires par des lance-roquettes. L'Ecclésiaste a beau nous avertir: «Ce qui fut, cela sera; ce qui s'est fait se refera; il n'y a rien de nouveau sous le soleil» et cependant on se contente vite des mièvres victoires de la veille pour relâcher notre vigilance, béatement. La Baghdad, du temps de sa splendeur, quand elle rayonnait par son «beyt el-Hikma», fut le foyer des porteurs des gènes de la décadence. Pour exister, dominer et sévir, ils commencèrent par liquider la cité de ses livres et chasser ses fervents penseurs, exilés ou assassinés. Le temps a passé. Les voilà qu'ils se manifestent à Mossoul ! Un premier pillage de la bibliothèque locale eut lieu juste après la chute de Saddam, en 2003, et ça a recommencé en juin 2014 quand Daech fit main basse sur la ville où brûlaient des livres millénaires, affirment des sources concordantes ! Il y a plusieurs siècles que la bibliothèque d'Alexandrie connut un désastre jamais colmaté dont les historiens supputent sur un possible crime culturel. Et tant qu'on y est, le 7 juin 1962, un commando de l'OAS, ivre de haine, imbu de sa puissance, convaincu de l'impunité de son funeste acte, assiégeait la bibliothèque de l'université d'Alger. «Les singes sanglants de l'OAS», disait celle qui vient de reposer définitivement au Panthéon: je nomme Germaine Tillion. Après une semaine d'accalmie dans la capitale, les sbires de Salan et Zeller repartirent à l'attaque. La sinistre politique de «la terre brûlée» ne devait rien épargner. Les hommes. Les édifices. Les livres. S'attaquer à une bibliothèque était tout un symbole. «Tel acte, tel idéologie !», aurait dit Goethe s'il était encore en vie. L'autodafé eut lieu à «midi quarante», racontait Yves Courrière. Des bombes entreposées dans l'enceinte universitaire rompirent la trêve décrétée quelques jours plus tôt. Puis la touffeur de cette journée fut aggravée par les folles flammes qui dévoraient des rangées de livres, documents et un fonds archivistique irremplaçable. «600.000 volumes», annoncèrent illico les quotidiens France-Soir et Le Monde. «La chaleur dégagée par le foyer était telle qu'on ne pouvait approcher à moins de cent mètres», lit-on dans un entrefilet paru dans Le Figaro, du lendemain. «Et l'on criait de joie !», commentait Y. Courrière. Après 132 ans d'un colonialisme abject, la der des der revint aux fanatiques pour faire parler la poudre de la haine contre le sanctuaire du Savoir, des livres et de la recherche qui, réunis, forment la lignée lumineuse donnant directement vers les portes de la prospérité des hommes. En clair, l'OAS refusait de voir l'Algérie indépendante, niait les Accords d'Evian, allait à rebours de la logique de l'Histoire, jouait les rabat-joie pour gâcher la fête de la victoire ! «Un mémoricide», clame enfin Amin Zaoui, notre contemporain. Dans chaque livre qui voit le jour, il y a au moins une idée qui permet de mieux appréhender la vie et apprécier davantage notre passage terrestre. Le livre a ses vertus et les mots leur virtuosité. Ils caressent nos sens, remuent nos méninges, traquent la vérité et lorgnent le meilleur pour l'individu et la collectivité. Cet agréable chatouillement de nos sens hisse le livre au rang du compagnon à part, une masse silencieuse mais riche en propos. Les autres vivent dans la haine de leur prochain. Leur seul livre est ce que leur dicte leur vanité. Comme en Europe. A l'exemple des Allemands qui attaquèrent, en 1914, la Bibliothèque de Louvain, en Belgique. Répondant au plan Schlieffen, l'attaque fit perdre à la ville et à l'humanité un pan important de son patrimoine. Des spécimens curieux. De vieilles reliures flamandes. Des cachets, diplômes et médailles. Salles de livres aux boiseries artistiques. «Dans les rues, sur tous ces débris qu'il faut escalader avec peine, et plus loin jusque dans la campagne, le vent a disséminé des feuilles de livres et de manuscrits à moitié consumés», témoignaient les survivants. Le siège de Sarajevo dura quatre ans, de 1992 à 1996. Plusieurs édifices étaient ciblés. Le parlement de Bosnie en premier lieu fut incendié avec un acharnement entêté. Des lieux de vie: bâtiments, routes, villages. Puis d'autres sièges culturels goûtèrent aux banderilles savamment cyanurées des milices de Slobodan Milosevic. Détruire, c'est toute une inculture qu'entretiennent certains hommes ! En Afghanistan, en 2001, les bouddhas géants de Bamiyân furent dynamités sans état d'âme. L'inquisition catholique, islamique ou matérialiste abhorre la réflexion, et loge tous sous le même toit. Les uns et les autres ont un dénominateur commun: dépositaires d'une haine - et son corollaire, la violence - qu'ils se transmettent comme un héritage disgracieux. Ils prétendent détenir la science infuse. A leurs yeux, le savoir est un fruit mûr tombé uniquement entre leurs mains. Ils ont posé des questions et élaboré des réponses qu'ils sortent toutes prêtes, à tout bout de champ. Ils prétendent détenir la vérité absolue. Aux autres donc d'écouter et d'obéir ! Ils vouent une haine généreuse envers l'art et la beauté. Ils avouent un mépris destructeur pour la recherche, la création et les découvertes. Tout ce qui peut améliorer la condition des hommes leur reste en travers de la gorge et ils réservent une portion congrue aux vers proverbiaux et les sculptures raffinées qui font honneur au génie humain. Ils ont la sincérité du malheur et manœuvrent avec l'aplomb des goujats. «Ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien» dixit Descartes. La bibliothérapie continue à faire ses preuves dans la transmission de la pensée, des expériences de la vie. La lecture parle aux sens, s'adresse au cœur, remue l'âme. La lecture est une fenêtre qui donne sur l'inconnu, lève le voile du merveilleux. Qu'ils contemplent la nature ! Sinon offrons leur des livres, beaucoup de livres. C'est un militantisme serein qui débouche sur un ascendant souverain ! * Romancier |
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