|
![]() ![]() ![]() ![]() NEW
HAVEN - Les États-Unis et la Chine sont pris dans une guerre commerciale de
plus en plus intense, qui risque de nuire gravement à leur économie respective,
voire de menacer la stabilité mondiale. Depuis l'annonce de droits de douane «
réciproques » par le président américain Donald Trump
le 2 avril, ciblant quasiment tous les partenaires commerciaux des États-Unis,
les deux pays s'imposent l'un à l'autre des taxes douanières à trois chiffres -
si élevées qu'elles aboutissent dans les faits à un embargo commercial mutuel.
Les réservations de conteneurs depuis la Chine vers les États-Unis ont d'ores et déjà chuté de 60 %, et les commandes de produits chinois de toutes sortes ont été annulées. Dans quelques semaines, lorsque les effets de ce ralentissement se feront sentir aux États-Unis, les consommateurs auront du mal à acheter des produits fabriqués en Chine, tout comme les nombreuses entreprises américaines qui vendent ces importations ou les utilisent comme intrants. Ces articles ne seront pas produits de sitôt aux États-Unis, ni importés en provenance d'autres pays, ce qui exposera un grand nombre d'entreprises à des difficultés. L'administration Trump a semble-t-il pris conscience de la gravité de cette crise imminente. Le 22 avril, le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a qualifié d'« insoutenable » la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, de même qu'une source anonyme a confié que la Maison-Blanche envisageait d'abaisser les droits de douane imposés à la Chine. D'autres responsables américains ont rapidement nuancé ces déclarations, affirmant que les États-Unis n'agiraient pas « unilatéralement ». En temps normal, une telle situation serait propice à la négociation. Seulement voilà, les deux camps semblent aujourd'hui incapables ou peu désireux de dialoguer. Trump a indiqué à plusieurs reprises qu'il souhaitait s'entretenir avec le président chinois Xi Jinping au sujet des droits de douane, allant jusqu'à affirmer que Xi l'avait appelé il y a quelques semaines - ce que la Chine dément. Selon la plupart des témoignages, les deux dirigeants ne se sont pas parlé depuis l'investiture de Trump en janvier. Et si le président américain a récemment déclaré que des négociations étaient menées au quotidien, un porte-parole du gouvernement chinois a pour sa part indiqué le 24 avril qu'aucune négociation commerciale n'avait actuellement lieu entre les deux pays. Compte tenu de l'urgence de la situation, qu'est-ce qui fait obstacle à des négociations entre les États-Unis et la Chine ? Premier problème, Trump a insisté pour imposer des droits de douane supplémentaires avant les pourparlers commerciaux. Les autorités chinoises semblaient dans un premier temps disposées à dialoguer, le vice-président Han Zheng ayant en effet assisté à l'investiture de Trump. Le président américain a cependant rapidement imposé à la Chine deux séries de droits de douane de 10 %, qui sont entrés en vigueur début février et début mars, réduisant ainsi à néant toute possibilité de désescalade. Rappelons que la Chine était déjà soumise aux sanctions et aux droits de douane imposés par Trump au cours de son premier mandat, qui ont ensuite été étendus par son successeur, Joe Biden. Peut-être Trump pensait-il que l'intensification de la pression renforcerait son poids dans la négociation d'un éventuel « deal » avec la Chine - lui qui avait adopté une approche tout aussi agressive à l'égard d'autres partenaires, proférant des menaces de droits de douane réciproques, et affirmant que de nombreux États lui « léchaient les bottes » pour en négocier le montant. Non sans raison, les Chinois y ont vu une forme d'extorsion. Deuxième problème, le gouvernement chinois et l'administration Trump appliquent des approches extrêmement différentes sur le plan de l'engagement diplomatique. La bureaucratie chinoise est conservatrice et attachée au protocole, tandis que Trump préfère téléphoner à ses homologues, et négocier personnellement. Ce n'est pas ainsi que procèdent les dirigeants chinois, à l'instar de la plupart des autres chefs d'État. Jamais au cours de l'histoire un dirigeant chinois n'a pris l'initiative d'un appel téléphonique à un président américain. Sans doute serait-il judicieux que le camp chinois remédie à ce problème, mais compte tenu de la manière dont Trump traite les autres dirigeants mondiaux, ce n'est certainement pas le bon moment pour changer de méthode. Plutôt que de risquer l'humiliation, Xi rencontrera probablement Trump seulement après que des représentants de niveau inférieur des deux puissances se soient mis d'accord, comme le veut la pratique diplomatique habituelle. Plusieurs autres asymétries institutionnelles pèsent sur les relations bilatérales. En Chine, le Premier ministre et les vice-Premiers ministres sont responsables de certains aspects de l'économie et de l'État - des rôles qui ne correspondent pas exactement à ceux des secrétaires de cabinet américains. Dans la mesure où ces systèmes ne changeront pas à court terme, il est nécessaire que les responsables politiques négocient avec leurs homologues désignés, et qu'ils rencontrent des dirigeants de plus haut niveau pour veiller à ce que les messages soient transmis. C'est pour cette raison que les précédentes administrations américaines ont créé des mécanismes permettant de réunir les chefs d'agence américains et les vice-Premiers ministres chinois dans le cadre de dialogues réguliers. Ces forums ont cependant été jugés inefficaces, puis supprimés. Les Chinois ont demandé à l'administration Trump de désigner un interlocuteur avec lequel ils pourraient négocier. Généralement, ces négociations auraient lieu avec le représentant américain au Commerce, comme c'était le cas durant le premier mandat de Trump. Seulement voilà, le programme des États-Unis en matière de commerce vis-à-vis de la Chine est cette fois si confus, et les objectifs déclarés si vastes - rééquilibrage du commerce mondial, lutte contre l'afflux de fentanyl, réindustrialisation du pays, nouvelles sources de recettes - que le représentant américain au Commerce serait un interlocuteur dépassé par les événements. C'est cette confusion qui constitue le principal obstacle aux négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine. L'actuelle administration américaine entend-elle accroître les recettes, relancer le secteur manufacturier aux États-Unis, créer des emplois, remédier aux déséquilibres mondiaux, réduire la dette du pays, renforcer la sécurité, ralentir la montée en puissance de la Chine, ou atteindre une combinaison de ces divers objectifs ? La question fondamentale est probablement la suivante : Trump aspire-t-il à un deal ou à un découplage vis-à-vis de la Chine ? S'il a pour objectif la rupture, alors la Chine n'a aucune véritable raison de négocier. S'il souhaite au contraire réellement un accord, Trump doit exposer clairement ses intentions, et les deux camps doivent commencer à discuter sérieusement. Un embargo de facto sur le commerce bilatéral est voué à dévaster l'économie des deux puissances, dont les dirigeants doivent accomplir tout ce qui est en leur pouvoir pour remédier à la situation. L'impasse actuelle n'est en fin de compte bénéfique pour personne. *Ancienne secrétaire d'État adjointe américaine par intérim pour les affaires de l'Asie de l'Est et du Pacifique - Chercheuse principale au Paul Tsai China Center de la Yale Law School |
|