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Les récentes déclarations du
ministre de la Santé commentant les exigences, bien que légitimes des citoyens
de bénéficier d'une médecine et de structures modernes, ont ouvert un débat sur
la responsabilité des uns et des autres sur l'état d'insatisfaction qu'éprouve
le patient algérien à l'égard du système sanitaire.
La majorité des écrits incriminent les pouvoirs publics et les tiennent pour uniques responsables ; s'il est vrai que cette situation découle d'une politique et d'une gestion décriées, cela ne disculpe pas le citoyen de comportements et d'attitudes qui ont assombri le secteur de la santé et qui nous amènent à se poser la question qui fâche : une médecine de pointe en Algérie, mythe ou réalité ? La presse ainsi que les réseaux sociaux font état de dysfonctions répétées au niveau des structures de santé dont les conséquences sont parfois dramatiques ; aucun établissement ou région ne sont épargnés. La réaction du citoyen algérien à tout ce qui touche à sa santé et son avis tranché sur le sujet nous amène à se poser une série de questions pour nous éclairer: Quelle médecine voulons-nous ? Et surtout quelle médecine méritons-nous ? Aussi une médecine de pointe est-elle la locomotive qui tracte toute la société vers le meilleur et contribue à la faire sortir de sa léthargie ou bien au contraire ce n'est qu'un wagon parmi d'autres attelé au développement social et économique global ? Notre société semble vivre un état de véritable dichotomie dans lequel certains discours démagogiques tendent à la maintenir dans la mesure où l'idée qu'elle se fait sur la qualité de la médecine et sa performance semble complètement détachée de la réalité des autres secteurs peu reluisante mais bien acceptée et tolérée. L'Algérie un pays « en développement »; une affirmation bien ancrée dans l'esprit de tous mais cela implique alors qu'il reste beaucoup à faire pour atteindre le niveau des pays développés y compris dans le domaine médical, une réalité admise par tous ! Nous souffrons pour beaucoup d'un déni de réalité au risque de sombrer dans un délire collectif préjudiciable au développement de la médecine. Nous en sommes conscients de nos déficiences dans plusieurs domaines mais nous réfutons catégoriquement de l'admettre quand il s'agit de la santé ! Alors que tous les secteurs sont interdépendants ; nous pensons naïvement ou délibérément qu'il suffit d'avoir les équipements dernier cri et les meilleurs médecins pour avoir une médecine de pointe ; bien que ces exigences soient indispensables, elles demeurent insuffisantes car, du coup, cela dédouane totalement le citoyen et les autres acteurs de la société de leur part de responsabilité pour faire progresser la qualité des soins et fait endosser le tout uniquement au pouvoir public ou au personnel médical et paramédical ; des coupables tout désignés ; certes le rôle le plus important leur incombe mais sans qu'ils en détiennent l'exclusivité de la fastidieuse tâche de redressement de la situation de marasme actuel. La société semble omettre une évidence dont l'élite a le devoir de la lui faire rappeler: une médecine pour se développer a besoin d'un environnement tout aussi développé non seulement matériel mais aussi comportemental, organisationnel et humain. Et même si on transplanterait dans notre contexte des hôpitaux clefs en main à la pointe de la technologie avec tout leur staff technique, scientifique et logistique, « la greffe » ne tiendra pas car il ne s'agit pas d'une problématique exclusive de moyens. Des exemples qui pourraient bien nous éclairer pour étayer ces affirmations : 1 - Cuba : un pays des moins riches, soumis à un rude embargo depuis plus d'un demi-siècle, ses moyens matériels sont de ce fait limités mais cela n'a pu l'empêcher de satisfaire efficacement les besoins de sa population ; ses indicateurs sanitaires se comparent aux pays les plus riches de la planète. Une rationalisation des moyens, une organisation efficace et une implication citoyenne sont la clef de cette performance. 2 - Les pays scandinaves : dont le PIB (Produit intérieur brut, indicateur de la richesse d'une nation) est des plus élevé parmi les pays industrialisés jouissent d'une couverture sanitaire et d'un système de soins des plus aboutis au monde. L'alliance des moyens, de la rigueur organisationnelle, de la contribution active de tous ses citoyens et d'une vision claire ont permis d'atteindre le degré de perfection et comme preuve la situation épidémiologique du coronarovirus est de loin meilleure que la plupart des autres pays européens. La morale de l'histoire est que même si la richesse est fondamentale pour le développement de la médecine, c'est surtout le facteur humain qui en est le pivot et le secret de la réussite. Malheureusement nous occultons complètement le rôle prépondérant que peut jouer ce facteur (humain) dans la concrétisation de tout projet de société y compris celui d'atteindre une organisation sanitaire efficiente. Le paradoxe est à son apogée quand les gens s'attendent en franchissant le seuil d'un hôpital qu'ils soient projetés dans une autre dimension sans se rendre compte qu'une structure hospitalière ne peut être qu'à l'image de la société avec ses défauts et ses contradictions loin de celle véhiculée par les séries TV ou reportages qui semblent nourrir leur imaginaire, mais qui reflètent finalement une réalité qui n'est pas la nôtre. Le personnel hospitalier médical, administratif ou technique n'est qu'un élément d'un seul et même ensemble que représente la société malgré toute la bonne volonté, les initiatives et les sacrifices des plus téméraires ; il ne pourra être que le reflet de notre vécu quotidien. L'incivisme ne peut coexister avec une médecine développée ; aborder un service hospitalier ou une polyclinique avec une cigarette y jeter ses mégots, envahir avec toute une tribu l'enceinte hospitalière pour accompagner un malade ou visiter un patient, se promener dans les couloirs avec des enfants se croyant être dans un jardin public, ramener n'importe quoi à manger sans tenir compte des recommandations médicales, garer sa voiture à l'intérieur d'un hôpital en guise de parking, vouloir passer à la place d'un autre venu bien avant ou dont le cas est plus urgent, les passe-droits, le gaspillage érigé en seconde nature? Et la liste n'est pas exhaustive ! Tous ces exemples parmi tant d'autres comportements sont incompatibles avec une médecine du 21ème siècle. L'hôpital est devenu aussi le déversoir ultime de tous les maux de la société qui réveillent en elle les instincts primitifs d'agressivité, d'insultes, d'insalubrité et surtout de souffre-douleur d'un citoyen accablé par la bureaucratie et un quotidien souvent déstructuré. Sa réaction démesurée est à la hauteur de sa déception amie aussi de son comportement. Aussi le rôle de la société avec toutes ses composantes, de la cellule familiale jusqu'au sommet de l'Etat en passant par l'école, est crucial dans la genèse d'un citoyen responsable et impliqué; des conditions inéluctables à l'émergence d'une médecine de pointe. L'idée faussement établie de la médecine gratuite, donc sans coût, a fait dévaloriser aux yeux de beaucoup les énormes budgets consacrés par la collectivité et les sacrifices consentis par le personnel hospitalier ; d'ailleurs dans les établissements privés où le citoyen assumera les conséquences financières de tout incivisme ou écarts, ces incidents sont plus rares, même constat dans les établissements sanitaires où la discipline est de rigueur et les responsabilités bien claires ; comme quoi le laxisme est un obstacle à la réussite de tout projet ; d'autres facteurs évoqués dans un précédent article sont inhérents au système de santé lui-même qu'il va falloir urgemment repenser. Exiger une médecine de qualité sans aucune concession ou contrepartie est un leurre ; ce sont des efforts de toute la société qu'il va falloir consacrer en changeant d'abord de comportement, en assumant chacun ses devoirs envers autrui et en vers la collectivité, sans cela nous n'aurons que la médecine que nous méritons, le reste ne sera que de la causerie stérile et sans intérêt. Une phrase que répétait un de nos professeurs ayant marqué son époque, je cite : « il n'y aura jamais de médecine développée dans une société sous-développée ». La réalité ne fait que conforter ses dires. Loin de dresser une note de pessimisme, il s'agit surtout de cerner la réalité même si elle est amère pour y faire face sereinement sans démagogie ou populisme. *Dr |
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