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Et pourtant?  il tourne

par El Yazid Dib

La politique ne m'émeut plus. Je préfère disserter sur mes pérégrinations et mes sensations géographiques que de narrer des victoires inachevées ou des défaites mal accomplies.

Qui du temps ou de moi consume l'autre ?

A vrai dire j'ai horreur de l'usage du «je», mais le «on» t'oblige à s'en référer pour plus de marques d'identification et d'individualisation de la morfondure qui te pourfend. Le temps tourne les jours comme une main qui tourne les pages d'un livre. Lu ou non, rien ne fera changer le cours du récit imprimé. Le temps est-il en fait un phénomène mouvant ou s'efforce-t-il à arrêter ses pendules pour faire taire ses tic-tacs ? Et pourtant il roule comme moi. A la différence que lui est l'époux de l'éternité et moi un véniel baiser confus dans une masse apporté au front de l'épouse. Il me pousse à aller à l'aval du parcours que je croyais ne pas atteindre.

Moi, généreux et prodigue je ne compte plus ces unités qu'un calendrier sans avertir, tient à les éplucher une à une pour les mettre dans la sarcelle immense d'un passé contenant plusieurs hier. C'est aux ultimes et poussiéreuses unités que l'esprit dicte au corps son incapacité. Puisque ainsi semble fonctionner ce système temporel ; pourquoi alors m'encombrerai-je à réfléchir outre mesure de fadaises, de suffrage universel et de Khalifa? Il n'y a qu'une seule différence entre une urne électorale et une urne funéraire ; le bulletin.

Vais-je en remplissant celle-ci, éviter d'être dans celle-là? La grandeur d'un faiseur de peuple, comme le temps faiseur de rides, n'est pas dans la tyrannie du châtiment ou dans la blessure de la paroi frontale mais dans la précellence du bon jugement et la suprématie de la justice. Candidats ou pas, voyages ou non, Alger sera pris. Devant une résistance entêtée, la capitulation devient sagesse.

Si le temps était un homme il s'arrêtera certainement de rouler pour les autres. Pérenne et insaisissable heureusement et au bonheur des uns ; il franchit les défis et défie tous les acharnements.

Quand je suis sur un chemin, un bout de route de cette autoroute ; de l'asphalte il me sort des silhouettes encapuchonnées, vestons relevés semblant me dire les annales de sa construction. Leur parler est tellement étrange que le fouillis linguistique usé me rappelle les charivaris belliqueux de Jackie Chan. Ne me faisant pas peur, elles interloquent en confirmant simplement mes soupçons. Les gués et les viaducs qui la longent sont comme des citations directes à comparaitre et s'étalent parfois tels des dazibaos. Ils pourront disparaitre de l'œuvre tant que l'ouvrage possède mille maitres. Quand je traverse une pompe à essence, je sens le roulis du fric subreptice qui baigne dans l'odeur fétide des torchères jamais éteintes pour les uns et asséchées pour les autres. L'effluence qui s'en dégage préfigure comme un gri-gri mal fait que du blasphème en a été subtilement commis ailleurs sur le pontificat de Rome ou dans une chapelle à Vienne. Le naftaliste qui me sert pantois n'est toujours pas radieux en actionnant son pistolet pour me faire débourser des centimes et charger ainsi mes besoins.

Le gars connait bien combien coûte le débit désespéré de son mécanisme grippé en amont. Il n'a qu'à faire multiplier par millions les barils en reliquat que peuvent contenir ses réservoirs. La mamelle raccordée aux puits d'un désert plus dépouillé pour ses autochtones ne tarit point de bienfaisance pour bouffir les numéraires expatriés.

Je préfère le vent, la pluie et la neige. Je hais la place, la chaise et l'attente. Je ne vois plus de télé et mon seul écran à la mesure humaine restent sans concurrence la rue, ses accotements et ces milliers de témoins qui les sillonnent. Le marché est pour moi un ministère. Là, je pèse la responsabilité sans ancrage qui fait tramer les lois de beaucoup de demandes et de moindres offres. Entre un homme et moi, il y a une marchandise forcée d'être prise et payée. L'instant obligatoire provoque une amitié anonyme et conjecturale qui se scelle, à chaque étal dans un troc millénaire. Je n'ai pas besoin d'un permis biométrique plus que des liquidités pour acquérir mes patates. C'est déjà mieux. J'aurais voulu ne pas être. Je n'y vois que des mots texturés et des taux articulés. Point d'âme. Les visages que je rencontre ne me peignent qu'une toile aux teintes obscures et terreuses où l'impressionnisme n'est plus maitre des nuances. L'abstrait et l'impersonnel fusionnent tout le monde dans la même foule. Je suis face à un conglomérat de nuques qui marche, qui avance et qui recule en m'emportant avec. Si je préfère la route c'est qu'elle me permet la mobilité. Bouger ou s'aérer est une hygiène de vie. Le changement est dit-on une salubrité impérative presque coranique, « tafassahou » « intachirou » sont des sollicitations à voir l'ailleurs, se régénérer autrement. La stabilité n'est pas une bonne chose dans son image statique. L'inchangé dans un idéal est parfois synonyme d'idiotie tant il tend à abêtir tous ses dédicataires. On imagine mal un sénescent dactylographe maintenir sa machine à écrire et s'amouracher de ses présomptueuses vertus étiolées par-devant le dernier clavier digital d'une tablette numérique physiquement mobile. Si la science recommande par nécessité l'évolution, la biologie œuvre sans relâche à faner les roses et flétrir les plus belles gerbes. C'est le cycle capricieux de dame nature. Rien ne sert à s'entêter pour corroborer un sort définitif quand la décrue des jours ne cesse d'effilocher le temps préalablement établi. Voyez-vous le temps n'est pas un citoyen que l'on peut convaincre d'aller voter ou le contraindre à fermer une route ou y incendier du caoutchouc. Il est indomptable. Il vous rattrape, vous bloque la route et attise en vous les afflictions dues à son passage qu'aucune armée ou conseil constitutionnel ne peut suspendre.

Ah, la vieillesse ! Je commence à en connaitre une quotité. Un « naufrage » au bon milieu d'une impuissance en tout genre. Malgré l'assistance d'autrui, l'enrôlement des équipes de sauvetage ; le mal est irréparablement causé, l'avarie consommée. Elle surprend, cette décrépitude comme le ferait la dévotion à un repenti en pleine incrédulité divine. Brusque et inattendue elle aura quiconque au crépuscule d'une vigueur qui ne s'avouera jamais vaincue. L'on croit vaincre des pathologies, l'on estime réinjecter le jus à nos atrophies, on les gave de douceurs, mais le temps, ce hardi guerrier imbattable est là comme un condor captieux guettant la proie que nous sommes. Si le temps en termes de compte est une somme de jours et de nuits successifs que représente-il en termes politiques ?

Un agenda, une tactique. Avec tous les appareils du monde, les états généraux, l'excitation générale ; personne n'osera réussir à amadouer sa trajectoire ou apprivoiser ses usures. Car le temps comme la terre tangue et ne tourne pas au gré des humeurs. Il murit les fruits à temps ou à moisir. Et ceux qui murissent pourront par accélération de maturité plonger dans l'avarie.

Oui je préfère la flânerie à la lecture des communiqués. Les rêveries à l'évidence. Comme la politique ; la vieillesse aussi ne m'émeut pas. Ce n'est pour moi ni un retrait d'une activité qui ne se conforme plus à mes desseins, ni une abdication du souffle de la vie. Je perds un peu de souveraineté en étendant mes territoires. Cependant je crois impavide que je suis ; que l'on peut transvaser son épreuve en bienfait. Il suffit de se suffire modestement en soi. Si la vie ne s'interrompt pas à une station politique ou passionnelle, elle semble aléatoirement s'épanouir davantage chez certains dans un nouvel enrôlement contre-nature. Ils découvrent l'illusion, qu'ils prennent pour réalité et se réengagent encore et encore dans un siècle qui n'est plus le leur. Ils ont fait instiller pour ça une nouvelle approche dans la compréhension de la chose publique. Le murissement d'une génération, dans un discours était une promesse, il démontre dans la réalité plus d'acariâtreté. Ramener le pouvoir à se distinguer de l'Etat c'est rendre en finalité l'Etat à son service. Alors n'est-il pas mieux, pour le relâchement des neurones de se sauver dans les sinuosités de chemins escarpés et inspirer cet air doux et rafraichissant qu'offrent les cimes des montagnes ? Surtout en cette période mi-hiver, mi-été. La campagne s'allonge et les lilas fleurissent le long des haies, loin d'une autre campagne qui s'annonce sans lilas et avec beaucoup de haies.