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Qui se souvient de Beppe Grillo ?

par Cherif Ali

Ils sont plus d'une centaine, entre chefs de partis politiques, anciens hauts responsables, militaires à la retraite, émigrés, avocats, anonymes et même écrivain, qui ont déclaré leur intention d'être candidat à la candidature présidentielle.

En attendant de prendre connaissance des professions de foi des uns et des autres, espérons citoyens que nous sommes, que le pragmatisme et les valeurs démocratiques de tous ces compétiteurs, l'emporteront sur la suffisance des uns, et le radicalisme affiché par les autres qui ont opté, d'avance pour le boycott du scrutin du 17 avril 2014 !

A ceux qui sont, quand même, décidés d'y aller, alors même que le président en exercice, à décider de rempiler, pour un quatrième mandat consécutif, qu'ils sachent que les algériens, en général, et les électeurs en particulier, sont blasés de la chose politique, même si, quelque part, ils gardent l'espoir, tout de même, qu'un candidat ou même plusieurs, viendront parler, au moins une fois, à leur intelligence.

Les algériens et les électeurs sont fatigués, à l'aune des élections à venir, des décisions de certains partis politiques dits d'opposition qui sont voués, tout juste, à faire l'écume de l'actualité en cette pré-campagne où les «déclinologues» de tout genre, continuent, vaille que vaille, à saper le moral des algériens.

Qu'ils soient boycotteurs, souteneurs, pour, contre, ou dans l'expectative ou l'opportunisme, tous ces partis restent inaudibles pour la majorité silencieuse, quelque soit le mot d'ordre qu'ils agitent sous son nez.

Si on devait faire le point, au jour d'aujourd'hui, qu'est ce qui se dégage de la scène politique, si ce n'est les trois grandes tendances ci après :

1. les partis majoritaires à l'assemblée nationale et leurs alliés TAJ-MPA-ANR et une trentaine de petits partis soutiennent Abdelaziz Bouteflika, candidat à sa propre succession

2. d'autres partis, de moindres envergures, rejointes par le parti islamiste El Islah de Djahid Younsi, misent sur le candidat " indépendant " Ali Benflis

3. les partis de la mouvance islamiste ont décidé en compagnie du RCD, de boycotter les élections.

Les pronostics vont bon train et tout le monde s'accorde à dire, pour les plus pessimistes, que les jeux sont fais, pour les autres que le futur président de la République ne pourra sortir que du chapeau A ou B.

Et si, pour cette fois-ci, on venait à se tromper sur les intentions de vote des algériens qui ne veulent plus qu'on abuse de leur patience et qu'on leur dicte, une fois encore, leur choix. Certains, dans les états-majors ont parlé de " scrutin gagné d'avance " pour expliquer ou justifier leur retrait de la compétition.

Le candidat Ali Benflis, pour sa part, à l'air d'y croire, tout comme Mouloud Hamrouche qui s'est fait remarqué par un discours des plus abscons que certains ont vite fait d'interpréter comme " un appel du pied à l'armée " ou, une candidature inavouée.

Et si le vote des algériens serait, pour une fois, respecté tel qu'il aurait été exprimé ? Le président de la République ne s'est-il pas engagé en ce sens ? Dans ce cas là, on ne serait pas à l'abri d'une surprise comme celle qui est arrivée en Italie lors des dernières élections législatives gagnées par un illustre inconnu et son parti ; pourtant les démocrates de ce pays, ont passé l'intégralité de la campagne au plus haut des sondages, car ils étaient donnés largement vainqueurs du scrutin.Et voilà que ce Beppe Grillo entre en scène, avec ses cheveux gominés, comique blogueur à ses heures, aussi provocateur que radical ; personne ne le " calculait " comme on dit chez nous.

Son mouvement 5 étoiles avait l'air ridicule, jusqu'à ce qu'il arrive en troisième position dans les urnes. Il a obtenu lors des élections législatives italiennes de février 2013, entre 23 et 25% des suffrages, pour chaque chambre du parlement, avec pour seul programme un slogan : " tous des voleurs, tous des menteurs ".

C'est arrivé en Italie, mais pas seulement, signe que les citoyens du monde ne veulent plus de la politique telle qu'elle a été pratiquée jusque là. Comme en Allemagne tout d'abord ou le " Parti des Pirates " s'appuyant sur une plate-forme, mêlant idées de droite et de gauche, proposait à ses électeurs " un revenu qui serait garanti à tous les citoyens, sans exigence de contre partie ".

Les Pirates ont depuis conquis en mars 2012, le parlement de la Sarre avec 7,4% laissant les libéraux (FDP) sur la touche et, en mai de la même année, celui de Rhénanie du Nord-Westphalie, land le plus peuplé d'Allemagne, avec 7,6% des suffrages et 20 sièges à l'assemblée locale.

En Grèce, le parti " Aube dorée " s'est lancé dans l'aventure, avec une base électorale de 20.000 personnes et totalise, actuellement, 18 sièges au parlement.

L'autre exemple nous vient d'Haïti, où le vainqueur des élections présidentielles de 2011-2012, à l'issue d'une suite de crises, fut un chanteur, Michel Martelley, qui est passé du statut d'aimable plaisantin, à celui de candidat de tous ceux qui étaient remontés contre le gouvernement.

Et la seule constante qui guide tous ces électeurs d'Europe, des Antilles et d'ailleurs, tient de leur écœurement de la politique telle qu'elle leur est proposée, par les partis en place.

Et surtout l'incapacité de ces derniers d'apporter des solutions concrètes aux problèmes posés aux citoyens tels que le chômage, l'absence de logement et de perspectives.

En Algérie, le terrain n'est-il pas favorable à l'émergence de ce type de candidat capable, à travers un immense vote sanction, de " renvoyer à leurs chères études " tous ces vieux briscards de la politique ? Tous ceux qui, en définitive, n'expriment aucune vision du futur de notre pays et ne proposent aucun projet national de société, viable, cohérent, crédible et mobilisateur !

En tous les cas, les ingrédients nécessaires à l'éclosion d'un tel personnage, sont déjà en place:

1) pléthore de candidats à la candidature dont pas mal d'hurluberlus.

2) décor de morosité politique extrême.

3) crise politique (affaire Saâdani/ DRS) économique et sociale.

4) ras-le-bol des électeurs tentés par l'abstention.

5) rejet des partis politiques, dont les chefs passent leur temps à " rétropédaler ".

Ce Beppe Grillo serait, peut-être ce " Mister AB ", prêt à emballer les jeunes, en faire des fans inconditionnels et des votants acquis à sa candidature.

Rappelons pour ceux qui ne le savent pas encore que " Mister AB " chanteur algérien de RAP s'est déclaré candidat à la candidature. Il a déjà le vent en poupe et dispose d'un bagout qui plaît à nos jeunes compatriotes dont il a le langage en commun.

Les embarquer dans son aventure, s'il estime avoir une destinée politique, sera pour lui " un simple jeu de rôle ". Lui le trentenaire saura parler à tous ces électeurs qui lui ressemblent.

Ils sont quelques 22,07 % du corps électoral, à en croire ce qui a été affiché sur le site web du ministère de l'intérieur.

Ils sont répartis comme suit :

tranche des 18-20 ans : 366-843 (1,69%)

tranche des 21-30 ans : 4 198 374 (19,38%)

Il ne lui restera qu'à profiter de l'encéphalogramme plat de notre politique nationale, des scandales à répétition et de l'émiettement des voix qui se reporteront sur Benflis, Hanoun, Touati voire même Hamrouche pour bousculer le favori.

Il pourra surfer sur tout ce magma, pour se tailler un chemin vers El Mouradia.

Pour sa déclaration de politique générale, il aura le choix d'écrire à Saâdani pour manifester son indignation, ou alors, reprendre à son compte, la lettre ouverte du Général Yala.

Maintenant si notre Mister AB, veut se démarquer, totalement des politiciens algériens, il pourra s'inspirer de la démarche de Coluche et faire la déclaration suivante : " j'appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les apprentis, les noirs, les piétons, les chevelus, les fous, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques, à voter pour moi, à s'inscrire dans leurs mairies et à colporter les nouvelles ".

Sa déclaration faite, grâce à son blog et ses tubes engagés, Mister AB n'aura qu'à patienter pour récolter et les souscriptions de ses milliers de fans qui s'expriment sur sa page facebook et les voix qui vont porter sa candidature, auxquelles s'ajouteraient celles des grévistes, des déçus de la dernière tripartite, des chômeurs et de tous " les laisser pour compte ".

C'est l'armée des «rejetionnistes» qui viendront ainsi compléter la sémantique des, «bofistes», «hitistes» et autres «refuzniks ». Notre «Mister AB» pourra alors tout promettre, l'essentiel et qu'il affirme sa volonté «de tout faire péter» ! Voilà ce qui va emballer les masses convaincues, paradoxalement, que le changement viendrait peut-être des fous, des illuminés et non plus des politiciens de carrière.

Beppe Grillo, le vrai, ne proposerait-il pas lors de sa campagne électorale un revenu pour tous, sans contre partie ? Mister AB propose, lui-même, un smig à 50 000 dinars !

Tout ceci pour dire amis lecteurs, que notre Mister AB n'a pas besoin de faire l'effort en matière de programme.

Oui mais, me diriez-vous, et l'électorat ?

Ces gens là ont des habitudes de vote ancrées ; ils ne peuvent pas comme ça d'un simple claquement de doigt, changer d'option ? Et puis il y a le vote imprimé par les zaouïas et les tribus qui votent, en masse, pour le candidat du pouvoir.

Des certitudes, encore des certitudes ! Tout comme en Italie ou en Allemagne, jusqu'à l'avènement de Beppe Grillo et du parti des Pirates, qui étaient traités de bouffons et d'aimables plaisantins.

Et les résultats sont venus rappeler aux sceptiques et autres spécialistes " de la chose électorale ", la réalité.

Il en est ainsi aussi, de l'abstention que les experts de chez-nous s'entêtent, scrutin après scrutin, à ne relever qu'à Alger, Oran, Annaba et en Kabylie quand les partis représentant cette région sont en lice.

Il faut tordre le cou à certaines vérités ou présentées comme telles, comme celle qui nous vient de la France, où il a été démontré à la faveur des élections présidentielles de 2012, que les grandes régions électoralement homogènes s'effacent, comme certaines certitudes : terminé la France de l'Ouest qui vote à droite, celles du Nord et du Sud-ouest qui votent à gauche, le Midi rouge, la Vendée blanche et la Bretagne rose. Même si, faut-il le reconnaitre, un héritage ou une trace de cette géographie électorale demeure comme le vote F.N, localisé principalement dans les zones périurbaines, abritant 15% des français.

Tout ceci pour dire qu'il n'existe plus de bastion électoral figé ou acquis d'avance voire même " d'élection ficelée ", comme on s'y est engagé au plus haut sommet de l'Etat, pour peu qu'on organise des élections ouvertes où même un inconnu pourra tenter sa chance et, pourquoi pas, bousculer les Benflis et consorts.

Et dans ce cas là, l'électorat national, n'aura d'autre choix que de se reposer, une fois encore, sur deux repoussoirs :

Celui du candidat sortant qui va perpétuer le système.

Ou celui du populisme, d'où qu'il vienne.

Le premier, lui proposera un vote-refuge, avec en prime de poursuivre son programme de réformes " dans la continuité et la stabilité ".

Le second lui proposera, à travers un vote sanction, de " tout faire péter ", de sortir le sortant et d'éjecter les personnels en place, sans plus.

De tout cela, il ressortira un malaise politique profond, suivi de l'embarras des électeurs, avec en prime un double discrédit:

- Celui de la politique menée par les partis nationalistes, islamistes, démocrates ou républicains qui ne proposent, en fin de compte, ni sortie de crise, ni perspectives.

- Celui d'un Mister AB, amateur, aventuriste, adepte de la politique spectacle, ne s'appuyant que sur la protestation et l'incantation, en guise de programme.

Deux politiques qui sont, fatalement, en décalage complet avec la réalité vécue par les gens, sur tous les plans.

C'est peut-être ce qui risque de se produire en Algérie :

¨ si on persiste à comptabiliser, à l'avance, les votes des électeurs, croyant les avoir, d'ores et déjà, "mis dans la poche",

¨ ou comme ceux qui pensent, à tort, avoir conditionné ces mêmes électeurs " pour aller à la pêche " le 17 avril prochain et qui, tout comme les premiers, apprendront à leurs dépens qu'ils se sont tromper sur le peuple qui, ce jour là, tiendra peut-être sa revanche.