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Remaniement gouvernemental : qui va endosser «la tunique de Nessus» ?

par Cherif Ali

En décidant d'élever le niveau de l'enquête sur la pénurie de certains produits alimentaires mais aussi des médicaments, le Président Tebboune acte l'échec consommé de certains responsables de l'exécutif gouvernemental. Il a même annoncé qu'un remaniement ministériel est prévu prochainement!

La question liée à la performance de l'action de l'Exécutif a été évoquée par le Président Abdelmadjid Tebboune lors de sa rencontre de ce samedi avec des représentants de la presse nationale sous l'angle de la sanction individuelle, de chaque membre du gouvernement, sur la base de son bilan et de l'exécution rigoureuse des décisions du Conseil des ministres. Cette clarification du chef de l'Etat intervient alors que des rumeurs relayées par certains médias circulent sur un changement imminent à la tête du gouvernement avec le départ du Premier ministre.

Le président de la République a, toutefois, annoncé un changement partiel du gouvernement qui touchera les ministres jugés défaillants. Une manière de signifier que les couacs enregistrés dans certains secteurs d'activités ne sont pas imputables au Premier ministre, encore moins à un manque de pertinence et de réalisme du programme d'action du gouvernement, mais bien à des ministres qui ne mouilleraient pas suffisamment le maillot, comme le voudrait le Président Tebboune. (1)

Ceci étant dit, sur quel gouvernement va s'appuyer Abdelmadjid Tebboune pour commencer à mettre en œuvre ses 54 engagements électoraux?

Au delà des nouvelles personnalités qui doivent composer ce gouvernement idéal, l'Algérie selon les experts, a déjà besoin aussi d'une nouvelle structure gouvernementale au lieu des 39 membres qui la composent actuellement. A savoir se doter de 10 ministères uniquement et de 15 secrétaires d'Etat et ce, afin de réduire les dépenses onéreuses qu'impose l'actuelle lourde machine bureaucratique. Il est par exemple suggéré de créer des super-ministères regroupant plusieurs portefeuilles comme le ministère de l'Economie qui regroupera un secrétariat à l'Industrie et l'investissement et un autre dédié au Commerce au lieu de laisser ces secteurs dans deux ministères différents. Et pourquoi pas aussi un ministère de la Décentralisation et de l'Intérieur!

Pour l'heure et, après plus de deux années rendues difficiles pour cause de Covid, le chef de l'Etat va, selon toute vraisemblance, donner plus de visibilité à l'action de son Exécutif à travers de nouveaux profils plus consistants notamment dans les domaines agricoles, économiques et industriels pour ne citer que ces secteurs. Gouvernement bien entendu sans accointances politiques ; il ne peut en être autrement dès lors que le Président Abdelmadjid Tebboune s'est présenté aux électeurs en tant que candidat indépendant !

Va-t-il par exemple :

1. puiser encore une fois dans le corps des walis pour nommer ses ministres ?

2. faire confiance aux technocrates ?

3. faire une sélection à partir du fichier de la société civile ?

4. s'en remettre aux « rares » partis politiques qui l'auraient soutenu dans sa campagne ?

5. Ou les recruter sur Internet parmi les citoyens de son pays, comme à voulu le tenter Adel Abdel Mahdi, l'ancien Premier ministre irakien ?

S'agissant des walis promus ministres, il faut le rappeler, ils n'ont pas été à la hauteur des attentes, à voir globalement leurs bilans et pour certains les graves dérives dont ils ont été les auteurs !

De là à prétendre que la filière de ces hauts fonctionnaires reste, malgré tout, un vivier de compétences et les affubler du titre de «technocrates», alors qu'ils ne sont que des grands commis de l'Etat qui ont, pour la plupart, «touché à tout», sans être pour autant des experts dans un domaine précis, c'est aller vite en besogne !

Rappelons justement que dès l'annonce du gouvernement actuel, les observateurs se sont précipités à parler d'un «gouvernement de technocrates». Evidemment, ce n'était pas vrai, même si certains ministres, pouvaient s'en revendiquer.

Précisons toutefois que dans un gouvernement de technocrates, ce sont ces derniers qui décident de tout et restent impuissants devant les problèmes de société !

L'idée d'une technocratie demeure pourtant hypothétique, même si des nations ont, par le passé, été considérées comme soumises à une forme de gouvernement d'experts.

Pour fermer la parenthèse, «le phénomène semble aussi facile à expliquer que la théorie de la relativité d'Einstein», expliquait un politologue.

Mais sinon, un gouvernement politique à 100% est-il envisageable pour les années qui viennent?

Même s'il s'évertue à marteler qu'il a été élu en étant candidat indépendant écrivait un chroniqueur, Abdelmadjid Tebboune sera amené, tôt ou tard, à s'entourer de figures et de partis politiques pour mettre en œuvre son programme.

Aussi se bousculent-ils déjà devant sa porte pour lui apporter leur soutien et afficher leur disposition à prendre part au dialogue auquel il a appelé.

Sauf que ce beau monde, déjà trop marqué, rappelle le règne et la méthode Bouteflika !

Mais sinon, opter pour un gouvernement exclusivement politique, une équipe de spécialistes indépendants, ou une formule mixte, c'est-à-dire un cabinet techno-politique appelé à contenter à la fois, si cela est possible, les milieux politiques, les investisseurs et entrepreneurs honnêtes et aussi et surtout les contestataires du «Hirak béni», c'est aussi une autre possibilité qui échoit au président de la République.

Bref, autant de questions qui préoccupent les observateurs de la vie politique, tout comme la désignation du Premier ministre qui reste du ressort exclusif du président de la République, ce qui élimine tout suspense quant à celui qui conduira l'Exécutif, contrairement aux ministres qui composeront son staff.

Justement, qui pourrait être l'homme à qui le Président Abdelmadjid Tebboune confierait les rênes de son exécutif et dont le nom sera dévoilé prochainement (ou pas) ?

Auquel cas, il devrait cumuler l'ensemble des pré-requis comme :

1. une forte personnalité et un esprit indépendant (l'un ne va pas sans l'autre) ;

2. une intégrité morale au-dessus de tout soupçon ;

3. une connaissance intime des questions économiques, sociales et financières ;

4. une grande capacité à mobiliser les ressources humaines auxquelles (il ou elle) devra s'adosser pour engager des réformes de structure indispensables, sans cesse différées depuis 40 ans.

Le Premier ministre, Aymene Benabderrahmane cumulant l'ensemble de ces critères a été le premier choix de Tebboune, jusqu'à présent, même si, une année après cette nomination et sept mois après le premier remaniement ministériel, il est encore difficile de définir l'état des relations entre les deux hommes.

Bien que le Président ait relevé l'existence de points négatifs dans l'action du gouvernement, rien ne dit qu'il ciblait par ses propos le Premier ministre.

Comme rien de ce qu'a affirmé, jusqu'à présent, le chef de l'Etat, ne laisse penser qu'il compte garder son Premier ministre.

La grande question est de savoir s'il restera ? Aujourd'hui l'autre personnalité qui vient à l'esprit et qui réunit toutes les qualités pour permettre à notre pays de traverser, avec le moins d'encombres, les épreuves qui l'attendent et au Président Abdelmadjid Tebboune de concrétiser ses 54 engagements électoraux est indéniablement Ahmed Benbitour.

Rappelons que ce dernier est resté huit mois à peine à la Primature, avant de démissionner, lorsqu'il lui apparut clairement que sa conception de l'Etat et de l'intérêt général était aux antipodes de celle d'un président de la République résolu à détruire ce pays, objectif qu'il a hélas largement atteint.

Abdelmadjid Tebboune en temps que Premier ministre, n'a pas fait long feu lui aussi pour presque les mêmes raisons ce qui a fait dire à nombre d'Algériens qu'il y a, forcément, des atomes crochus entre ces deux hommes politiques.

Beaucoup l'espèrent, croyant dur comme fer que ce binôme mènerait, à coup sûr, le pays à bon port dès lors qu'ils auraient aussi en commun la même vision d'une économie plutôt libérale et aussi la volonté ferme de lutter contre la corruption et de rapatrier, coûte que coûte l'argent détourné par les oligarques véreux et les délinquants «en col blanc » qui étaient au pouvoir !

Des atomes crochus, il en reste aussi entre Tebboune et Benabderrahmane !

Ce dernier n'est pas impressionné par l'ampleur de la tâche, qui ne lui a pas été facilitée par la double crise sanitaire et économique, allant jusqu'à accepter de prendre en charge le ministère des Finances.

Jusqu'à preuve du contraire, il bénéficie d'un privilège rare en ces temps mouvementés, la pleine confiance d'Abdelmadjid Tebboune.

Le dilemme du Président

Choisir un nouveau gouvernement et partant un nouveau Premier ministre, reviendrait pour le président de la République à trancher une épineuse interrogation:

1. S'agit-il de donner plus de poids politique à l'exécutif, au risque de renforcer l'image du Premier ministre et d'en faire éventuellement un potentiel présidentiable ?

2. Ou s'agit-il de ne pas se faire trop d'ombre en maintenant à son poste l'actuel locataire du Palais du Gouvernement ?

Dans ce cas précis, le président de la République vivrait dans une contradiction: car si aucune tête ne dépasse, c'est lui qui porterait tout le poids de la crise qui va s'aggraver, conséquence des impacts de la crise en Ukraine dans le monde entier va en pâtir !

3 Mais s'il nomme quelqu'un pour en porter le poids, il serait au second plan,

Et contrairement à Ahmed Benbitour qui semble-t-il aurait émis par le passé, des exigences pour s'installer au Palais du gouvernement, Aymen Benabderrahmane accepterait de nouveau de porter « La tunique de Nessus » (3), même si sa marge de manœuvre est limitée par la situation économique et financière du pays qui risque de perdurer tant que le baril de pétrole joue au « yoyo» et que la guerre en Ukraine persiste.

Renvois:

(1) Mauvais casting ? Omar Berbiche. El Watan

(2) Un ministère de la Décentralisation et de l'Intérieur pour une meilleure gouvernance locale par Cherif Ali (Le Quotidien d'Oran, le 05/03/2020.

(3) La tunique de Nessus, un cadeau empoisonné, expression qui puiserait ses origines dans la mythologie grecque.