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35ème anniversaire de la mort de Ferhat Abbas: «Un démocrate des lumières et des anticipations»

par Boudjemâa Haichour*

En ces moments mémorables où notre pays venait de donner l'exemple d'un peuple attaché aux valeurs de notre Révolution du 1er Novembre 1954 et les manifestations du 11 Décembre 1960, la marche triomphante vers les grandes espérances d'une République qui a su inscrire en lettres d'or le Mouvement béni du Hirak.

Cette communion du peuple avec son Armée héritière de l'ALN prouve si besoin que dans notre pays il y a des hommes qui veillent au bon grain. Il aura fallu du courage, de l'abnégation et du sens des responsabilités pour remettre l'Algérie dans la cour des grands. Ce 24 décembre 2020, nous commémorons le 35ème anniversaire de la disparition de notre cher Président Ferhat Abbas. Cet illustre érudit qui a su mettre les mots qu'il faut face aux théoriciens du colonialisme. Lorsque pour la première fois, je lisais son «Manuscrit inédit sous forme de Testament politique» rapporté par Charles Robert Ageron dans les cahiers d'Outre-Mer dans la revue de l'année 1994, je notais la pertinence de cet écrit.

Quelques extraits de ce Testament ont été publiés dans les éditions Plon en 1972 par le général Massu dans son livre «La vraie bataille d'Alger ». Ce manuscrit rédigé par Ferhat Abbas en prison au début de 1946 était tombé entre les mains du commandant de prison le lieutenant Lafond de 1941 à 1945 et décédé en 1954.

Sa veuve le remet à Ageron en 1957. Le secret gardé jusqu'à 1972 dans les différents services de renseignement de l'armée. Alors que Ferhat Abbas ne fut jamais jugé, bénéficia de la loi d'amnistie de l'Assemblée nationale constituante le 02 mars 1946. Il fut libéré le 16 mars après onze mois de détention. Tout l'intérêt de ce document réside dans cet Appel qu'il fait à la jeunesse. Défendant son honneur et accusant son arrestation arbitraire.

Mais ce qui l'émeut qu'il écrivit dans ce manuscrit c'est ses souvenirs d'enfance, à la rentrée des collectes des impôts, cette suprême injustice pour les musulmans. C'est ce spectacle de douleur, moi qui fus enfant, raconte-il, j'allais à l'école coranique sans chaussures, une chemise et une gandoura sur le dos semblable à tous les enfants du douar.

Alors les paysans qui ne pouvaient pas payer leurs impôts et s'acquitter de leur contribution sont exposés au soleil avec les mains derrière le dos où les gendarmes leur versaient du petit lait sur leurs têtes nues laissant les mouches se poser et les harceler. Il disait : « il m'est arrivé de voler de l'argent à ma mère pour libérer ces prisonniers. Cela m'attristait et me rendait malheureux ».

Le défunt Président Ferhat Abbas, un grand homme d'Etat et un visionnaire qui aura marqué des générations entières pour l'inscrire dans le panthéon de ceux qui ont donné un sens élevé de notre histoire contemporaine.

Le 24 décembre 1985, alors que les travaux du congrès du Parti FLN s'ouvraient, c'est le défunt Président Chadli Bendjedid qui annonça le décès du Président Ferhat Abbas, me rappelait-il Abdelhalim fils du défunt Ferhat Abbas et qu'une délégation fut chargée de représenter les délégués du congrès conduite par les membres du comité central, MM. Bakhti Nemiche, ministre des Moudjahidine, Abdallah Nouaouria, vice-président de l'Assemblée populaire, Youcef Yaalaoui, secrétaire de l'Organisation nationale des moudjahidine, et le général Mohamed Alleg.

De son vrai nom Bendaoui, Ferhat Abbas el Mekki est né le 24 août 1899 au douar Hjar El Misse Bouafroun dans la commune d'Oudjana (Taher jadis Strasbourg) Jijel.

Son père estimait que le seul héritage qu'il pouvait leur léguer était l'instruction. Tous ses enfants vont réussir à l'école. Ammar va comme son père Saïd ben Ahmed Abbas le remplacer en tant que caïd chez les Béni Affer, Ahmed administrateur, Hamid étudiant en droit à Paris et Mohamed Salah devient agronome à Taher.

D'une grande soif d'apprendre tout ce que la révolution des lumières lui apportera, Ferhat Abbas en fera un «butin de guerre». Son passage à Constantine va le forger en lui donnant une grande ouverture d'esprit. Reçu au baccalauréat, il sera appelé à faire son service militaire de 1921 à 1923 en tant que gestionnaire à l'hôpital de Constantine puis à Jijel. Ferhat Abbas se rend ensuite à l'université d'Alger où il poursuit ses études en pharmacie. Il était dès 1927 président des étudiants d'Afrique du Nord AEMAN. Faisant la jonction entre l'Orient et l'Occident en fréquentant le milieu universitaire, il contribuera par ses écrits dans plusieurs journaux et revues sous le pseudonyme de Kamel Abençérage. Il rejoint la ville de Sétif où il ouvrira son officine de pharmacie.

Ce fils des Béni Amrane, tribu sur les rives de «Oued El Kebir, va s'engager dans le combat politique et fondera son journal l'Entente qui conclut à la fin de son article écrit lors du débarquement des alliés en 1942: «Personne d'ailleurs ne croit à notre émancipation politique. Dans l'émancipation des indigènes, il n'y a pas d'Algérie française durable».

Ferhat Abbas prendra contact avec Robert Murphy représentant du Président américain Roosevelt.

Il lui exposera la question coloniale qui va se concrétiser après dans la Charte de San Francisco relative aux droits des peuples à l'autodétermination et donc la revendication fondamentale de la décolonisation. En 1943 il fut incarcéré à Tabelbala dans le sud avec Sayah Abdelkader. Le 10 février 1943 il rédigea avec le pharmacien de Jijel Mohamed El Hadi Djemame, le Manifeste du Peuple Algérien. Il fonda les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) le 14 mars 1944 à laquelle adhérèrent Cheikh el Ibrahimi et les Oulémas ainsi que Messali Hadj et le PPA/MTLD.

Mis en résidence surveillée dans le sud du Pays lors des massacres du 08 Mai 1945, Ferhat Abbas qui est élu député pour Sétif, démissionnera de l'Assemblée Algérienne en 1947. Il se démarque de la position coloniale par ses écrits dans l'hebdomadaire l'Egalité en 1948.

Après une rencontre secrète avec Abane Ramdane et Ouamrane à Alger par le biais de Amar El Kama et Amara Rachid, me disait son fils Abdelhalim, il annoncera lors d'une conférence de presse tenue le 25 avril 1956 dans la capitale égyptienne son engagement pour le FLN. A l'issue du Congrès de la Soummam il devient membre titulaire du CNRA, puis entre au CCE en 1957. Le 19 septembre 1958 il est choisi comme premier Président du GPRA.

Ferhat Abbas présentait un charisme pouvant séduire l'opinion internationale par son parcours d'homme politique, modéré et maniant l'éloquence du verbe. Il a par son talent dénoué pas mal de conflits de personnes en fin diplomate. On constate que malgré les divergences internes au sein des instances de la Révolution, il s'est dégagé un consensus autour de sa personne.

Par la lucidité de sa démarche il possédait toujours l'argumentaire qu'il faut et n'a pas besoin de mentor. D'ailleurs dès l'annonce du GPRA, Ferhat Abbas saisit l'ONU sur la question du référendum constitutionnel que De Gaulle voulait étendre à l'Algérie. Le 22 septembre l'Assemblée de l'ONU accepta d'inscrire la question algérienne à son ordre du jour.

Le 16 septembre 1959 De Gaulle lança l'idée de l'autodétermination dans son discours à la Nation. Ferhat Abbas dit oui à la seule condition de respecter l'intangibilité de l'unité du territoire contre tout risque de partition. Car la pacification ne pourra pas ramener la paix. Et de conclure que le GPRA est prêt à entrer en pourparlers.

Il sera reconduit avant de laisser place au Président Benyoucef Benkhedda au troisième GPRA. Assez souvent l'histoire est fondée sur les non-dits. Il faut réécrire notre histoire sans occulter les faits même s'ils sont têtus. Il faut léguer aux générations un héritage expurgé de tout mensonge. Il faut rénover les pratiques de gouvernance et les adapter en fonction des évolutions politiques et institutionnelles du pays.

L'émergence d'hommes d'Etat reste tributaire des itinéraires politiques et de leurs intégrités. Seule la démocratie qui peut donner la chance aux élites pour pouvoir amorcer une nouvelle république. C'est donc cette légitimité citoyenne où l'urne sous le contrôle du peuple avec son armée que l'Algérie peut s'arrimer au rivage d'un développement durable et d'une prospérité partagée. En homme politique sage, Ferhat Abbas aurait rêvé de cette Algérie qui vient de vivre un moment historique de son histoire. Il l'a démontré en rejoignant l'EMG lors de la crise GPRA / EMG le groupe de Tlemcen avec le duo Benbella / Boumediene dont il expliquera dans le journal Le Monde son appréciation des faits.

La Révolution est composée de militants en uniformes mais pas des militaires, même si cette position a été controversée par certains qui n'arrivent pas à comprendre le ralliement de ce légaliste. C'est encore une leçon d'histoire que nous avons apprise.

Ferhat Abbas quitte ses fonctions le 15 septembre 1963 après avoir dénoncé la démarche du Président Benbella dans le pouvoir personnel qui l'exclut du FLN et le fait emprisonner à Adrar. Il sera élargi quelques mois avant le 19 juin 1965. Lors de l'élaboration de la Charte nationale, il rédigera en mars 1976 avec Benkhedda Benyoucef, Hocine Lahouel et Mohamed Kheiredine, un Appel au peuple réclamant la démocratisation de la vie politique tout en dénonçant « le pouvoir personnel ». Il sera à nouveau assigné à résidence surveillée jusqu'au 13 juin 1978.

Ferhat Abbas sera libéré par le Président Chadli Bendjeddid au début des années 80 et sera décoré de la médaille de Résistant le 30 octobre 1984. Ferhat Abbas est décédé le 24 décembre 1985 et repose au cimetière d'El Alia au carré des Martyrs.

«DEMAIN SE LEVERA LE JOUR OU L'AUBE D'UNE ERE NOUVELLE»

«FERHAT ABBAS AU CREPUSCULE DE SA VIE»

«FOI DANS LE PASSE ET ESPERANCE DANS L'AVENIR»

Ferhat Abbas est un homme de plume. Un éveilleur d'idées, un homme de conviction et un humaniste ouvert au dialogue et à la controverse politique. Le Testament dont je vais parler au-delà de toutes les hypothèses est une énigme qui n'a pas encore livré ses secrets.

On ne peut entacher la mémoire d'un grand battant qui a consacré sa vie pour l'idéal de son peuple quoi que disent ses détracteurs.

Après ses études coraniques, petit à petit, Ferhat Abbas fait de la langue de Jean-Jacques Rousseau une référence dans ses plaidoiries lorsqu'il s'agit de parler du contrat social. Maniant à merveille la langue française, son style et sa narration l'imposent dans les joutes parlementaires de l'Assemblée Algérienne et du Palais Bourbon. Il fait comprendre au travers de ces interventions le legs de ce que l'Andalousie arabo-berbère a apporté à la renaissance européenne.

En signant Abencérage, Ferhat Abbas affirme aussi sa différence « aux ancêtres les Gaulois ». Il a et gardera son Algérianité avec toute sa dimension humaine et sociologique. Ce natif des Béni Amrane a l'éloquence du verbe inspirée de cette tribu des Koutama qui ont fondé Le Caire et construit l'université d'El Azhar Echarif lors de la conquête de l'Egypte par les Fatimides.

L'Algérie terre de ses ancêtres et de la résistance depuis Massinissa, l'Emir Abdelkader ce chevalier de la Foi comme le décrit Mohamed Chérif Sahli, l'Emir Khaled... etc. Il revendique son antériorité historique et toute sa perception est restée liée à un Islam de progrès. Ce qui constitue tout le fondement spirituel et son axe indestructible.

Comme chez les Soufis, il sait toucher les cœurs autant que les esprits en sublimant le langage dialectal de son peuple. Il est dans la nuit et la lumière, il est dans la plume et il opère par son éloquence et sa finesse. Son appel à un sursaut de résistance, il le perpétue au fur et à mesure de ses combats. Il prend aussitôt de l'ascendance et suscite de fait des adversaires parfois même au sein de ses pairs. Il arrive à dénouer les intrigues pour amorcer les possibles compromis.

Il écrivait dans «Autopsie d'une guerre» : «Pour édifier notre pays, l'union nationale et la participation de tous les citoyens est le meilleur gage du succès». Mais ce qui reste coller à la mémoire collective c'est celles : «J'ai visité les cimetières...» et «La France c'est moi...» le poursuivront toute sa vie malgré les explications qu'il donnera dans le journal l'Entente en février 1936, celle de la Patrie Algérienne et celle de la Nation Algérienne répondant ainsi à Cheikh Benbadis qu'il respecte profondément. Ce dernier a dit que cette Nation Algérienne a bel et bien existé à travers l'histoire de l'humanité.

« On n'est jamais vaincu. Si tu es vaincu, crie: «ce n'esy pas vrai!»

Si la nuit, le mal, la laideur, l'envie, la sottise, te saisissent à la gorge et t'étranglent, raidis-toi; une telle protestation, même muette, finit par trouver son écho, des hommes se souviendront, la mémoire est déjà une victoire de l'esprit sur le temps qui nous enlinceule insensiblement.»

Ferhat ABBAS, l'Entente, N° 69 du 21 avril 1938.

Ferhat Abbas sera désigné par les hommes de Novembre Président du GPRA. Ce fut le choix de la raison de par son aura nationale et internationale. C'est aussi l'admiration que lui portait le peuple pour son humilité et qui sera la consécration de se voir deux fois Président du GPRA et Président de l'Assemblée nationale constituante.

Ferhat Abbas avait contribué à rétablir la vérité qui est une nécessité et un devoir envers l'histoire et les siens. Malgré toutes les épreuves qu'il a endurées, Ferhat Abbas a gardé son sourire paisible jusqu'à ses 80 ans. Lui qui a toujours milité contre l'injustice le dit : « c'est à croire qu'on a toujours tort d'avoir raison ».

Il nous reste de faire de « la Méditerranée un lac de rencontres et de synthèses entre les trois religions où le problème palestinien doit être réglé le plus rapidement possible ».

Il parlera de sa généalogie et précise que lorsque les agents de l'Etat civil de la colonisation commençaient à recenser et donner des noms parfois des plus vulgaires et humiliants à « nous indigènes », le grand-père de Ferhat s'appelait Abbas qui sera choisi au lieu de Bendaoui. Kamel Abencérage est le pseudonyme de Ferhat Abbas.

C'était la signature des articles qu'il signait dans les journaux de l'époque tels El Ikdam de l'Emir Khaled pour lier le rayonnement de l'Andalousie d'Ibn Rochd à celle de la Turquie de Kemal Attatürk, père de la Turquie moderne. Je réalise que ce digne homme de l'Algérie était cette lumière qui éclairait ce chemin d'une longue nuit coloniale des plus inhumaines que l'histoire ait connue. C'est une sorte de « J'accuse » à la manière de Zola.

Son Adieu à l'Algérie et aux siens sera marqué d'une empreinte indélébile dans son livre-Testament « Demain se lèvera le jour », qui est une vision prémonitoire publiée à titre posthume par son fils Abdelhalim de ce que vivra notre peuple dans la tourmente des événements et des traumas post-indépendance.

Né le 24 octobre 1899 à Taher au douar Chahna. Fils de SaId Ben Ahmed et de Maga bent Tahar. Après la révolte d'El Mokrani en 1871, le grand-père est chassé de sa terre natale vers Fedj M'zala et réduit à la condition de petit fellah. C'est en 1890 que son père quitta le douar des Béni Siar pour celui de Chahna qui abritait les Béni Affer.

On fit bâtir des écoles coraniques dans cette mechta et c'est là où sa mère éleva les treize enfants et où nous apprenions le Coran. C'est à dix ans que Ferhat Abbas ira au village dans une école indigène qui venait d'ouvrir ses portes, où il commença à apprendre la langue française. Il quittera l'école primaire en mars 1914 pour rejoindre le lycée Luciani de Skikda grâce à une bourse d'internat qui lui a été attribuée.

Il y resta jusqu'au baccalauréat puis la faculté d'Alger pour y faire les études de pharmacie. Il s'installera comme pharmacien à Sétif où les habitants lui feront confiance et l'adopteront. Il sera leur élu en tant que Conseiller général, puis Conseiller municipal avant d'être délégué financier et député et Conseiller à l'Assemblée Algérienne.

Mais en lisant le manuscrit inédit de Ferhat Abbas publié sur la Revue française d'histoire d'Outre-mer, tome LXXXI N° 303 pp. 181 à 197, présenté par Charles-Robert Ageron en 1994 avec l'autorisation du Service historique de l'Armée de terre en pleine décennie noire, j'avais en ce temps commenté sur le journal An Nasr en arabe et sur Révolution Africaine le contenu de ce Testament, avant qu'il ne soit repris par d'autres auteurs.

Ce Testament rédigé par Ferhat Abbas en 1946 alors qu'il était emprisonné suite aux massacres du Huit Mai 1945 et incarcéré dans la même cellule que Cheikh El Ibrahimi à la prison de Constantine. Il tomba aux mains du lieutenant Lafond, commandant de la prison militaire d'Alger de 1941 à 1845 et décédé en 1954. C'est sa veuve qui le fit remettre en 1957 au général Massu sous forme autogra phiée dont il en publie quelques extraits dans son livre «La vraie bataille d'Alger» dans l'édition Plon en 1972.

Bénéficiant de la loi d'Amnistie votée par l'Assemblée Constituante du 2 Mars 1946, Ferhat Abbas fut libéré le 16 mars 1946. Il en publiera le 1er mai 1946 « UN BREF APPEL A LA JEUNESSE ALGERIENNE ET MUSULMANE » qui reprend la teneur de deux paragraphes de son Testament : le premier « Dernier mot à la Jeunesse musulmane » et le second « Et toi Jeunesse française algérienne où vas-tu ? ». La question qui se pose est-ce que Ferhat Abbas avait gardé une copie dactylographiée de son Testament en prison ? Aucune investigation n'a été faite sur le vrai ou le faux de ce texte.

L'ENIGME DU TESTAMENT POLITIQUE DE FERHAT ABBAS

C'est tout l'intérêt historiographique de ce Testament où Ferhat Abbas déclarait aspirer à la retraite politique et défendre son honneur. On lui a collé la responsabilité des massacres du 8 Mai 1945 de Sétif. D'ailleurs son Testament s'ouvre par une protestation d'innocence où il déclare que les AML et lui-même sont étrangers à ces émeutes.

Dans son Testament Ferhat Abbas manifeste sa foi en faveur de la Démocratie et la Liberté. Il est aussi pour la science et le progrès. Il dira qu'il « est las de la politique... Le cœur s'use ; il faut s'arrêter pour laisse place à des hommes nouveaux, place aux générations montantes ». C'était en 1946 après avoir lutté 25 ans. Et voilà encore sa vision lorsqu'il déclarait « Je ne prophétiserai pas. L'avenir reste à Dieu. Et personne dans le désordre du monde moderne, ne peut guider avec précision l'insondable destin de notre humanité.

UNE ADMIRATION SACRALE A LA CONDITION PAYSANNE ALGERIENNE

Une Révolution s'opère sous nos yeux. Nous sommes sur un volcan. Les laves n'épargnent aucun pays. Il prédira aussi que « le problème capital en Algérie, le seul problème qui se pose, et qui demeure la clé de voûte de la réussite ou de l'échec d'un système de gouvernement, est l'émancipation des paysans.

En reprenant ces dires aujourd'hui lorsqu'il reste environ six mille zones d'ombre que l'indépendance n'a pas eu à leur donner de la lumière et des conditions où les enfants de ces régions continuent, comme se souviendra Ferhat Abbas en écrivant les souvenirs de son enfance pauvre parmi les pauvres : « A douze ans, disait-il, je marchais pieds nus dans le douar sans savoir un seul mot de français... et rares les petits indigènes qui avaient le droit à l'instruction ».

Dans son Testament politique il revient toujours dans son appel à la jeunesse où il rappelait « qu'il allait à l'école coranique sans chaussures, une chemise et une gandoura sur le dos, semblables à tous les enfants du douar et là lorsque le collecteur des impôts venait escorter de gendarmes, de mémoire d'enfant il observait le spectacle douloureux des paysans qui ne pouvaient payer, se voir ligoter les mains derrière le dos sous un soleil torride et qu'on versait du petit lait sur leurs têtes nues harcelées et attirées par les mouches ».

C'était de pauvres khemmas qui ne pouvaient s'acquitter auprès du percepteur d'impôts de leur contribution. Ferhat Abbas écrivait qu'il lui est arrivé « de voler de l'argent à sa mère pour les libérer de ce triste et humiliant spectacle ». Son unique ambition à lui disait-il « est de voir, avant de mourir, le paysan dormir sur un lit avec des draps propres après avoir dîné et lu son journal ». Peut-on dire aujourd'hui que la condition de la paysannerie a changé lorsqu'il existe à ce jour ces milliers de zones d'ombre ?

LA RENCONTRE DES ETUDIANTS ET DES PAYSANS

En républicain inspiré des idéaux de la Révolution de 1789, il persiste et signe qu'on doit faire entrer l'Algérie dans le cycle des temps modernes sans haine de race ni de religion.

A un Etat moderne il faut des lois modernes si elle ne veut pas revenir en arrière et périr. Un peuple vaut par son élan vital, le goût du risque et de l'initiative car le « monde moderne est un vaste atelier, une immense école où s'enseignent et se forgent les idées nouvelles ».

Il ne faut pas croire au miracle, mais à la vertu du travail. La science est la source de toute indépendance. Mais la science sans conscience elle ne peut être que ruine de l'âme. Mais si la science est chose universelle, le développement des cerveaux à travers les générations conversera vers l'harmonie sociale de la pensée et des croyances. C'est la marche vers le bonheur.

«Etudiants? Nous manquons totalement d'ambition et même d'amour propre. aucun de nous ne songe à aller au-delà du chemin parcouru par ses aînés. Aucun ne songe à conquérir la première place. Après le diplôme, c'est l'installation, la routine dans la sécurité et la mort».

Ferhat ABBAS, Mon testament politique, 1946.

BOUMEDIENE ET FERHAT ABBAS ET L'ALLIANCE ETUDIANTS / PAYSANS

Et lorsque les étudiants s'engagèrent au lendemain de l'indépendance dans le volontariat pour la Révolution agraire que la bureaucratie a enlevé toute substance, les comités des jeunes étudiants volontaires à l'appel du Président Boumediene et encadrés par Mohamed Seddik Benyahia, c'était en 1971 la rencontre de l'élite universitaire avec la paysannerie. Ferhat Abbas le présentait dans son Appel Testament de 1946 déjà alors qu'il était prisonnier. Il disait aux jeune que :

« Vous donnerez une âme nouvelle et vous ferez vous aussi une âme nouvelle... Allez vers le fellah avec toute la force de la foi. C'est par-là que vous connaîtrez ses besoins. C'est cette connaissance qui fera de vous de bons conducteurs d'hommes ».

LA RECHERCHE HISTORIQUE ET LA VERACITE DES FAITS

Ferhat Abbas disait que « la politique est avant tout une affaire d'honneur. Il faut savoir tenir ses engagements, faire face à ses promesses, faire taire ses exigences et ses égoïsmes ». C'est ainsi qu'on se hausse au rang de serviteur du peuple.

Mais revenons un peu sur la véracité de ce document « Testament politique » écrit par Ferhat Abbas en 1946 alors qu'il était prisonnier dans les geôles militaires de Constantine.

Mme Leïla Benammar Benmansour dans son ouvrage « Ferhat Abbas l'injustice » que ce testament a tout d'un vrai en même temps tout d'un faux. Charles-Robert Ageron connaît la plume de Ferhat Abbas.

Et le voir écrire qu'il prend sa retraite et qu'il est usé par la politique ressemble en rien, ni au « Jeune Algérien » ni à l'homme du Manifeste des AML ni au Leader de l'UDMA. Ageron sait en tant que chercheur et historien qu'un testament n'a de valeur que s'il est daté et signé. Et Mme Leila Benmansour émet l'hypothèse selon laquelle le testament politique aurait probablement pu être écrit par Ferhat Abbas en prison, mais ce testament n'a été qu' « un subterfuge pour protéger de ses geôliers l'essentiel de ce qu'il écrivait, c'est-à-dire l'Acte de création de l'UDMA ».

Pour conclure on peut toujours avoir l'esprit critique tout en respectant le contexte dans lequel nos dirigeants ont évolué contre l'arsenal de guerre d'une colonisation qui a été l'une des plus meurtrières. Il faut mesurer à juste titre la contribution de chacun dans le vaste mouvement de résistance anticolonial. Je me rappelle avoir échangé avec Abdelhalim fils du défunt Ferhat Abbas, comment il a en tant que 1er Président du GPRA, mené avec cette hauteur de vue d'une responsabilité lourde qui nécessitait beaucoup de perspicacité et de discernement.

Oui l'histoire de notre pays reste à écrire aussi bien dans les grands évènements que dans les moindres détails comme vous le dites. Une écriture de l'histoire qui nous rapproche de la réalité. Mes écrits ont toujours adoptés cette attitude, pour nous toutes contributions, non seulement renseignent sur les dimensions géopolitiques des évènements mais également ce qui en constitue la trame et la substance, c'est-à-dire les acteurs de l'heure. Il y a toujours une part importante de rigueur et à une évaluation raisonnée de l'histoire d'Algérie, érudite, subtile, et critique.

Certaines sources que nous évoquons sont de nature à clarifier. Il faut s'en tenir à un jugement surtout pour une grande personnalité qui seulement, par son itinéraire politique, fut un grand homme d'État, un penseur inspiré et avisé mais aussi l'un des principaux fondateurs du mouvement national.

Nous ne cesserons jamais de rappeler, que chaque étape du combat de Ferhat Abbas, montre qu'il a épousé non seulement les idéaux imprégnant son époque, mais également le réalisme dicté par la conjoncture et cela, loin de toute considération subjective même pas par opportunisme.

A la tête du GPRA en exil, sa mission première n'est pas d'administrer un pays en guerre mais de donner plus d'allant à la lutte de libération et surtout mettre sur pied un interlocuteur de poids avec les autres nations, en un mot une instance représentative !

Ce qui nous ramène à des jugements de valeurs et des interprétations qui peuvent ne pas être partagés par tous. Car en ces temps de guerre le choix est judicieux car Ferhat Abbas en 1958, la décision de créer le GPRA ne relevait pas d'une seule personne mais d'un collège, fût-il le CCE ou les 3B, même si chacun de ses dirigeants avait son propre jugement.

L'essentiel que sa candidature a été retenue eu égard aux nouvelles évolutions de notre Révolution. Quant à la composition des membres du gouvernement, il est libre d'en choisir dans l'esprit de la consultation collégiale. Ceci ne diminue en rien son autorité dans la gouvernance. Ceci répond aussi au dosage des différentes tendances qui structurent l'instance directionnelle de la Révolution.

Ferhat Abbas est crédité de certains talents de chef et de diplomate comme vous le dites. Dans la crise qui a marqué l'ambiance qui a prévalu, évidemment c'est Ferhat Abbas qui a dénoué la situation en convoquant les 10 et 11 juillet 1959 en faisant assister au CNRA les Colonels afin de diluer la puissance des «3B» pour régler le conflit au sommet. Ferhat Abbas avait bel et bien un réel pouvoir ou autorité pour coordonner un gouvernement miné par les luttes de clans et leurs clientélismes dont certains ont voulu le décharger. La réponse est que le 2ème GPRA où le président Ferhat Abbas est au même poste et sera reconduit avec toutes ses prérogatives. Sa pertinence lorsqu'il s'agit des questions de principe, il est intraitable.

La révolution a 66 ans et l'indépendance 58 ans d'âge, les participants à cette glorieuse page de l'histoire de notre pays donnent une certaine idée de leur position. L'historien devra il reproduire les idées fabriquées sur le rôle et la place de chacun des protagonistes ? Quand bien même, de fausses glorioles s'attribuèrent un rôle pivot dans la diplomatie, la politique et le militaire, la vérité historique a finira par les mettre à nu !

Être président du GPRA, me disait Abdelhalim, n'était pas une fin en soi pour Ferhat Abbas, l'essentiel pour lui était de s'armer moralement pour s'affranchir et affranchir son peuple des servitudes coloniales. Ni incolore, ni opportuniste, il exprimait clairement son idéal de liberté. Par ailleurs, notera Abdelhalim le fils de Ferhat Abbas «que la nomination de mon père à la tête du GPRA s'est faite par consensus et à l'unanimité, aucun des «3 B» ne peut se targuer d'en être «le mentor », surtout lorsqu'on connaît les ambitions des uns et des autres ainsi que «leur capacité» dans la gouvernance. Qui mieux que Ferhat Abbas pour expliquer de son vivant et du vivant de l'ensemble des acteurs de l'époque, sa désignation à la tête du GPRA, proclamé le 19 septembre 1958 : «Une réunion du CCE était prévue au Caire, Boussouf m'attendait à l'aéroport. Il m'apprit que le colonel Ouamrane est en Europe pour raison de santé et Lamine Debaghine était en congé de maladie. Le 28 août 1958, nous nous mîmes au travail». Pendant qu'en France et en Algérie, le Général De Gaulle prépare le référendum du 26 septembre 1958, le CCE étudie le dossier de sa transformation en Gouvernement Provisoire de la République Algérienne. Le 9 septembre, il prend la décision de la réaliser. Mehri en avertit Fethi Dib. Le Dr Lamine Debaghine et le colonel Boussouf se rendent au Maroc pour en informer le roi. Krim et Mahmoud Cherif se chargent d'en informer le Président Bourguiba.

Pour la répartition des ministères, Mehri avait préalablement été chargé de procéder à des consultations individuelles auprès de chaque membre du CCE. Personnellement, j'avais indiqué que les quatre formations qui se trouvaient au sein du FLN devraient être représentées : le CRUA, le MTLD, l'UDMA et les Oulémas. Quant à la présidence du Conseil, j'avais proposé qu'elle revienne à Krim ou au Dr Lamine Debaghine. L'un était «historique» et l'autre avait présidé la Délégation Extérieure.

Ces deux candidatures se heurtèrent à deux oppositions. Pour Krim, l'opposition vient de Bentobbal et de Boussouf. Quant au Dr Lamine Debaghine, il fut écarté de la présidence suite au refus manifesté par les détenus de la Santé. Autant dire par Benbella.

C'est dans ces conditions que les frères me désignèrent, à l'unanimité, à la présidence du premier Gouvernement Algérien. »

« Le premier Etat qui reconnut ce gouvernement à l'heure même où j'annonçais sa formation fut la République d'Irak ».

« Je chargeai Mohammed Benyahia, ancien MTLD, fils d'un ami de Djidjelli et Brahim Mezhoudi, membre de l'association des Oulémas, d'assurer la double direction de mon cabinet » Par Ferhat Abbas ? in Autopsie d'une guerre -

Ainsi Ferhat Abbas n'avait aucune prétention pour aucun poste, lorsque son peuple subissait les affres du colonialisme, pour cela il avait la même conception du combat libérateur et de la gestion de la cité qu'un Abane, qu'un Lotfi, qu'un Ben Mhidi, qu'un Ait Ahmed ou qu'un Boudiaf. Ses lieutenants, Francis et Boumendjel, brillants hommes et intègres, c'est lui et seulement lui qui les imposa.

Pensez-vous vraiment que Benkhedda avait plus de fermeté qu'Abbas à la tête du GPRA ! me disait-il ?

«Quant au regretté Krim, en lui attribuant la tentative de renversé Abbas, cela rappel un peu une fable de La Fontaine car «Tout marquis veut avoir des pages ». Songeriez-vous un instant ce que serait un GPRA militaire ? À moins que les services psychologique français eurent à convaincre quelques ambitieux à jouer au «De Gaulle de pacotille » mais ne seront que les pauvres émules d'un Batista ou d'un Nguyen Van Thieu».

Pour l'anecdote, de sa propre bouche : lorsqu'il quitta le GPRA, non par la grâce d'un quelconque « 3 B » mais bel et bien sur les pressions de De Gaulle - il lui reprochera toujours de n'avoir pas voté ses ordonnances et le lui dit - Boussouf a insisté pour qu'il reste à Tunis et avoir la fonction de président d'honneur du GPRA, il préféra se retirer au Maroc et ce malgré l'invitation de Tito pour résider à Belgrade, l'indépendance pointait déjà et les intrigues partisanes de certains centralistes aussi.

Enfin pour clore et rétablir la vérité sur les uns et les autres, on se questionne :

Qu'elle est cette source fiable qui disait que l'on voulait un président malléable et sans attaches révolutionnaires ? Si on visait les colonels, nous sommes tentés de répondre «ceux qui se haïssaient cordialement et dont la mission est d'alimenter l'intérieur en armement?!».

«Avez-vous songé une fois, si l'avion des cinq n'avait pas été détourné, que serait devenue la révolution ? Ce que nous retenons de notre regretté oncle, c'est «les dirigeants, militaires se seraient entretués, les politiques se seraient refugiés dans les pays européens et la révolution aurait pris un autre cours».

En vérité ce que nous souhaitons voir, c'est expliciter les concepts politiques concernant un gouvernement en exil et en guerre pour éviter les errements d'un Yves Courrière, comme dans son roman sur commande.

Ferhat Abbas disait « que seul l'intérêt du peuple algérien est comptable et précieux, sans lui il n'y'aurait eu, ni nation ni Etat et il terminait en disant : « Notre politique ne relève pas du mythe de l'infaillibilité. Une opinion différente de la nôtre, si elle ne nous convertit pas, ne nous gêne pas davantage. Nos croyances n'ont aucun caractère dogmatique ». Il suffit d'interroger l'Histoire de l'Algérie et ce qu'elle a retenu du parcours de Ferhat Abbas, le président du GPRA et le président de la première Constituante de l'Algérie indépendante, pour y trouver la source de la vérité.

Tel est l'itinéraire d'un homme qui a su s'adapter aux différentes situations qui l'ont façonné. L'histoire retiendra et jugera de chaque action et les positions de chacun seront défrichées par les historiens qui ne sont liés à aucune chapelle de nature à fausser le cours des événements. Les martyrs qui ont payé de leur vie seront les témoins devant Dieu le jour du jugement dernier. Il n'y a que la vérité qui compte car l'histoire ne peut-être que celle de la vérité rien que la vérité.

*Chercheur Universitaire-Ancien ministre

Bibliographie :

1- Ferhat Abbas : «Demain se lèvera le jour» Alger-Livres-Editions Alger 2010.

2- Ferhat Abbas : «La nuit coloniale» Alger-Livres-Editions 2011»

3- « Ferhat Abbas : «Autopsie d'une guerre Garnier 1980 et L'indépendance confisquée Edition Flamarion Paris 1984.

4- Leïla Benammar Benmansour «Ferhat Abbas-L'injustice» Livres-Editions Alger 2010.

5- « Leïla Benammar Benmansour: La Crise de l'Eté 1962

6- Ferhat Abbas - Sauver l'Algérie de la congolisation Alger - Livres - Editions Alger 2011.

7- Benkhedda Benyoucef : «La crise de 1962 - L'Algérie à l'indépendance Edit Dahlab Alger 1997.