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Echec scolaire, les enseignants s'évertuent à le fossiliser

par Chaïb Aïssa-Khaled*

Il s'est, par leur grâce, désengagé de sa mission sociétale, (promouvoir la complémentarité des dimensions intellectuelle et culturelle des hommes au profit d'une vie communautaire engagée pour que s'accomplisse le développement durable). Non convaincus, non motivés et non qualifiés, beaucoup d'enseignants en poste, (tous les cycles confondus), se sont investis dans la reproduction de l'inertie. Ils se complaisent dans un paradigme déphasé. Ils ne font plus dans la promotion de la créativité. Faisant de la routine une hygiène de vie, ils n'incitent pas leurs élèves à l'épanouissement.

L'échec scolaire qui mutile la société algérienne, n'est rien d'autre que l'expression de la déliquescence qui macule l'éco le algérienne et que génère la délinquance de la gestion de la mission éducative et la délitescence que subit celle de l'acte pédagogique. Il est devenu, au fil des temps, le produit conjugué de la société civile qui le couve, du pouvoir politico administratif qui l'élève au rang de norme, des parents d'élèves qui acceptent de composer avec, de l'école parallèle qui le cristallise et de l'institution scolaire elle-même parce qu'elle n'est pas parvenue à l'endiguer. L'absence d'objectifs clairs et lisibles, la précarité du processus d'évaluation systémique, formative et sommative et la faillite du système d'orientation que ce dernier sous tend, en sont pour beaucoup. En sus de cela, les Inspecteurs de l'éducation nationale le cautionnent en faisant dans un mutisme qui dit son nom, les Chefs des établissements scolaires le promeuvent par incompétence si ce n'est par désinvolture. Cependant, si les Inspecteurs de l'éducation nationale le cautionnent et si les Chefs d'établissements scolaires le promeuvent, les Enseignants parce que non convaincus sont entrain de le fossiliser. En effet, grand nombre d'enseignants n'ont pas choisi ce métier par intime conviction mais par souci de s'extraire des griffes du chômage. En conséquence, non convaincus, ils ne peuvent être motivés. Non motivés, ils ne peuvent être qualifiés pour pouvoir l'accomplir conformément aux principes de la déontologie. L'échec scolaire qui est entrain de prendre des allures incontrôlables, est devenu une tendance lourde à dissiper.

Par souci de dissiper cette tendance lourde, il sera judicieux de prendre acte de cette vérité lors des futurs recrutements des enseignants. Sur les 41 000 candidats appelés à remplacer les 41 000 enseignants partant en retraite, il y aurait peut être moins de la moitié qui sera titulaire de licences d'enseignement, (mathématiques, physique, chimie, biologie, histoire et géographie, arabe et langues étrangères). Le restant sera un panel d'ingénieurs, de juristes et autres. Ces diplômés formés pour être efficaces dans des chantiers, dans des bureaux d'étude ou dans des laboratoires, ne pourront être rentables dans des salles de classes parce qu'ils ne sont pas formés pour la cause et non formés pour la cause ils risqueraient de ne pas être motivés et on n'aura rien changé au désordre des choses, si ce n'est entretenir des points morts en chaîne. Il est alors grand temps, si on ne veut pas continuer à entretenir des points morts en chaîne, qu'on se limite au recrutement des licences d'enseignement auxquelles on assurera un adjuvant en formation pédagogique et à laquelle lui sera réservé le temps nécessaire et suffisant. Non convaincus, non motivés et non qualifiés, beaucoup d'enseignants en poste, (tous les cycles confondus), ne conscientisent pas l'échec scolaire comme étant l'expression de la fébrilité de la gestion de l'acte pédagogique dont ils sont en charge, comme étant donc le leur et non celui des élèves qui leur sont confiés parce qu'ils n'ont pu enrayer les difficultés de compréhension, de rétention, d'assimilation et d'exploitation des connaissances dispensées, parce qu'ils n'ont pu permettre l'accomplissement du potentiel individuel de chaque élève, (le développement de ses atouts intellectuels et la circonscription de ses faiblesses). Non convaincus, non motivés et non qualifiés, beaucoup d'enseignants en poste, (tous les cycles confondus), ignorent qu'il peut être partiel ou total, comme il peut être permanent ou momentané, n'évaluent pas le préjudice socioéconomique qu'il commet et n'admettent pas que, bien que dramatique, il n'est pas irréversible et qu'il est impératif de lui faire échec. Non convaincus, non motivés et non qualifiés, beaucoup d'enseignants en poste, (tous les cycles confondus), ne se disent pas comment lui faire échec.

Non convaincus, non motivés et non qualifiés, beaucoup d'enseignants en poste, (tous les cycles confondus), ignorent que le perfectionnement des aptitudes individuelles des élèves, se heurte à la conception erronée qu'ils se font de la sociologie scolaire. En matière de psychologie scolaire, ils s'accrochent tantôt à une psychologie de laboratoire, tantôt à une psychologie faite sur le tas. Se référant au subjectif, ils usent de procédés empiriques sans pour autant se douter que l'empirisme et l'apriorisme qu'il sous tend, ne peuvent jamais et en aucun cas éclairer sur l'essentiel et la vérité et iront même jusqu'à les dégrader. En effet, s'ils se limitent à théâtraliser leurs analyses et leurs évaluations et se contentent de les stériliser à coup de fantasmes, s'ils se livrent à de vulgaires appréciations approximatives, s'ils soumettent les aptitudes de leurs élèves à des sélections désordonnées, ils ne pourront concevoir et à élaborer une stratégie-tactique pédagogique pouvant être innovante, ils ne sauront les conduire à prendre connaissances de leurs atouts et de leurs faiblesses. Cette stratégie-tactique n'est rien d'autre qu'une éducation de l'engagement et de la motivation devant le susciter. L'engagement émoussant la résistance aux changements, la motivation incitant les élèves à être sensibles à la souveraineté du progrès. Les deux se conjuguant l'une dans l'autre, leur seront indispensables pour améliorer leur comportement intellectuel.

Non convaincus, non motivés et non qualifiés, beaucoup d'enseignants en poste, (tous les cycles confondus), ne savent pas que le système éducatif et culturel algérien supposé être le lieu où doivent s'opérer l'épanouissement individuel, l'ouverture de la pensée, la structuration de la mentalité scientifique, la promotion de la connaissance, l'élévation à la culture universelle et l'intégration de l'individu à la société humaine, s'est par leur grâce écarté de son objectif cardinal, (former les hommes du monde, ceux nantis de savoirs et d'action, ceux qui ne s'enlisent pas dans leurs préoccupations sans pour autant pouvoir leur trouver des solutions).

Faute de pouvoir développer un apprentissage incitatif, ils se contentent de faire en sorte que les notes chiffrées soient vécues comme une sanction, (qu'elle soit positive ou négative). Par la force des choses, celles-ci sont devenues source d'angoisse et de stress. Elles structurent peut-être l'esprit de compétition, mais elles sont loin d'être un outil qui permet à l'esprit d'orienter ses investigations. Cette évaluation qui n'apprend pas à l'élève à pénétrer à l'intérieur de lui-même pour y cerner ses points forts et les organiser et ses points faibles pour les circonscrire, le discrimine au lieu de l'aider à progresser. La crispation, l'ennui, la frustration et le décrochage ne peuvent être que les effets immédiats de cette désinvolture.

Non convaincus, non motivés et non qualifiés, beaucoup d'enseignants en poste, (tous les cycles confondus), conviennent que l'échec scolaire est une fatalité à laquelle ils ne peuvent que faire des courbettes. Non, il n'est rien de cela. Ils peuvent le prévenir pour peu qu'ils cessent de croupir dans cette léthargie et d'en faire une affectation définitive. Pour peu qu'ils se décident de dispenser un enseignement qui ne poursuivra plus des objectifs disparates et fugaces, mais qui recherchera l'optimum d'ensemble, c'est-à-dire un enseignement qui « jettera » les bases de la formation du citoyen capable de se mouvoir, sans gêne et sans complexe, dans un espace mondial sans cesse actualisé, du citoyen autonome et responsable, de l'individu qui sera l'artisan de son évolution et l'architecte du progrès social et non, comme de coutume, celles, (les bases), de la promotion du « sujet » appelé à se fondre dans cette esprit étriqué qu'il se taillera dans la roche de la dérision.

Si ici et là, on reproche aux enseignants de produire des exclus, ceux et celles qui décrochent mais aussi, ceux et celles qui n'acquièrent pas une formation de qualité, c'est parce qu'ils éprouvent des difficultés à comprendre leur mission parce que ceux qui sont supposés les encadrer, (Les inspecteurs de l'éducation nationale et les Chefs des établissements scolaires), les ont donnés en pâture aux injures de la débrouillardise. Ils ont besoin d'être réanimés parce que l'heure est venue pour eux de promouvoir une société qui sera capable de mobiliser ses aspirations pour qu'elles ne s'effilochent, de vectorialiser ses ambitions pour qu'elles ne tombent en désuétude, de sélectionner ses besoins pour qu'ils ne se transforment en désirs épars et de canaliser ses contraintes pour qu'elles ne l'envahissent.

Cela leur impose de souscrire à une relation pédagogique qui, bien que, tenant compte des différences individuelles, (chaque élève véhiculant ses propres préoccupations et ses propres intérêts), se focalisera sur le développement de l'esprit qui saura raisonner logiquement et juger avec méthode. Cette relation pédagogique s'organisera autour de six apprentissages fondamentaux.

*apprendre à leurs élèves à apprendre en vue de s'accommoder des instruments qui leur permettront la compréhension du monde au sein duquel ils doivent évoluer et pour le bien être duquel, ils oeuvreront ;

*leur apprendre à connaître pour connaître plus et à perpétuer leur capacité à acquérir des connaissances sans cesse actualisées ;

*leur apprendre à bien faire en leur apprenant non seulement à acquérir un savoir-faire+ et un savoir être+ mais aussi à jouer leur rôle modernisateur et fédérateur des bonnes volontés. En acquérant l'aptitude de « bien faire », ils se sentiront utiles à la cité ;

-Savoir faire : consiste à savoir observer, interpréter les données, procéder à des déductions, formuler des prévisions, émettre des hypothèses, classer, communiquer, planifier, combiner.

-Savoir être : mode de penser, d'interpréter et d'agir de mieux en mieux élaboré.

*leur apprendre à vivre avec leurs semblables, à coopérer et à participer avec eux à l'aboutissement de toutes les activités humaines au profit du bien-être social. (L'objectif est de laminer « le rejet de l'autre » en incitant à développer l'intérêt pour la connaissance de l'autre) ;

*leur apprendre à être, à développer une plus grande capacité d'autonomie du jugement méthodique et du raisonnement logique, (composantes de la mentalité scientifique), ce qui renforcera en tout un chacun sa responsabilité personnelle dans le tissu collectif) ;

*leur apprendre à transcender leurs dilemmes de façon lucide et honnête pour que surgissent en eux des femmes et des hommes qui refuseront tout ordre établi susceptible d'entretenir l'indigence culturelle au profit de la promotion de l'illusion et de l'émergence de l'insolite.

A ce titre, il est indiscutable que les enseignants s'obligent à préciser les objectifs et les finalités de leur mission et à les orienter dans l'optique ci-après développée :

*qu'ils sachent que leurs élèves ne peuvent se contenter indéfiniment de puériles initiations, qu'ils aspirent à vivre des instants où l'ardeur du combat pour la réussite empêche tout recul ;

*qu'ils s'assignent pour obligation de veiller à ce que l'éducation qu'ils dispensent ne soit plus traquée par un quelconque népotisme qu'ils risquent de distiller ;

*qu'ils cessent d'entretenir la flamme du préjugé pour ne produire au final qu'une culture chétive n'approchant que timidement le concept de la réflexion et l'avènement du goût, de l'esthétique, de la morale ce qui délestera des générations entières de leur essentiel humain, réduisant de facto leur notion du rationnel à de banales résurrections idéologiques hâtant une prise de conscience hébêtée.

La situation de sortie de crise de l'Algérie a atteint le point où toutes les conditions doivent être réunies pour enclencher le processus et en accélérer la cadence. L'avenir devant devenir de plus en plus visible et de mieux en mieux lisible, il suffit que la volonté de bien faire du citoyen, soit inébranlable. Il est tout à fait clair que nul désormais le droit de se dérober à ses engagements. Il y va de la construction de l'avenir de tout un peuple, ce qui exige de tous les acteurs appelés à y participer et des enseignants en particulier, parce qu'ils doivent en être la force motrice, de s'acquitter de leurs devoirs avec abnégation et conscience, autrement dit remplir leur contrat sans défaillance et avec le maximum de chances de succès.

Les temps ne sont plus au repli et à la pause mais à la conjugaison des efforts. Les temps ne sont plus à l'indétermination et à l'incertitude mais à l'embrayage sur la mondialisation sans gêne et sans complexe. A ce propos l'école algérienne ambitionne à augmenter l'espérance de la vie scolaire, c'est à dire que la déperdition et l'exclusion scolaires ne doivent plus avoir droit de cité et à dispenser une formation, (éducation et instruction), de qualité, celle qui permet à ceux à qui elle s'adresse d'acquérir des compétences opérationnelles pour pouvoir affronter une concurrence accrue, tant durant leur scolarité que sur le marché de l'emploi après celle-ci. En clair, la qualité de l'enseignement dépendra désormais de ce que représentent, en termes de savoir et d'aptitudes, les diverses formations dans les diverses filières d'étude et les différents diplômes auxquels elles aboutissent.

Pour augmenter l'espérance de la vie scolaire, il importe donc aux enseignants de s'assigner des objectifs réalistes et non plus des buts informels et illusoires pour lesquels, beaucoup d'entre ceux qui les encadrent, s'encoconnant dans un fonctionnariat stérile, nourrissent farouchement la propension et le secret. Pour ce faire, ils devront désormais s'ériger en un authentique moteur de réaménagement social.

1) Ils dispenseront alors une éducation et une instruction qui :

*soient continuellement interpellées aux plans de la signification, de la finalité et de l'actualité des concepts qu'elles véhiculent ;

*ne se confinent plus dans le statut d'un apprentissage disparate, mais se conjugueront dans un apprentissage qui interpellera la pensée et l'action pour leur signifier d'associer la compréhension des concepts et la maitrise de leurs utilités pratiques ;

*initient l'esprit à ne plus se laisser aller sur la pente d'une imagination féconde en subtilités superflues, à traduire les connaissances qu'il acquerra au moyen du processus de recréation, (par la redécouverte), en culture de nécessité+ et à s'élever des notions confuses vers des notions claires, vers des notions déterminées, des notions déterminées vers des notions distinctes

+Culture de nécessité : capital de savoir créatif de savoir et de savoir être.

Structurant de la sorte la mentalité scientifique, (raisonnement logique et jugement méthodique), l'éducation et l'instruction contribueront à l'accomplissement du mieux être escompté.

2) Ils assureront aux jeunes une orientation conforme à leurs profils psycho-intellectuel et psycho mental, par souci d'améliorer leur état d'équilibre, (les inciter à réaliser la synergie entre leurs épanouissements cognitif, psychologique, intellectuel et mental en leur apportant des réponses franches à leurs interrogations.

3) Ils s'ouvriront sur l'universel et sur le sens de la vie auquel préside la modernité.

4) Ils veilleront à ce que leurs méthodes et procédés d'enseignement ne génèrent cet intellectualisme en total déphasage avec la révolution culturelle et scientifique qui anime le monde.

Pour s'engager, cependant, dans la lutte contre l'insignifiance et le confusionnisme qui empêchent le système technico-économico-socio-culturel de prendre de l'essor et de gagner en envergure, il leur suffit d'admettre que :

*le savoir occupe désormais une place inégalée dans l'évolution des rapports entre les nations et que la croissance civilisationnelle et la prospérité économique et sociale ne sont plus, (et c'est une évidence établie), subordonnées à la possession des richesses fussent-elles des plus stratégiques ;

*l'explosion vertigineuse des sciences et des technologies et l'accélération exponentielle de leur actualisation ont permis l'émergence et la refondation continue de la société humaine pour en faire une société humaine de savoir et d'action.

Ils leur suffit d'admettre par conséquent que parmi les défis auxquels ils doivent faire face, celui de l'éducation, de l'instruction et de la culture est le plus difficile et le plus complexe, mais aussi le plus chargé d'espérance et le plus passionnant à relever parce qu'il détermine à la fois, l'avenir des générations futures, l'évolution et l'équilibre harmonieux de la société et le développement économique et technologique de la cité. En conclusion, je dois dire que si jusque-là les enseignants, faute de conviction, de motivation et de qualification n'ont pu définir, clarifier et engager une stratégie d'enseignement qui s'investira courageusement dans la lutte contre « le créténisme » qui a prévalu et qui prévaut aujourd'hui encore et qui privilégiera les actions porteuses d'intérêts sur les actions marginales et stériles générées des années durant par le discours-carotte des uns, par le discours-passion des autres et par le discours rotatoire de tous, c'est parce qu'ils n'ont pu développer une cohérence dans la mise en interaction des activités d'éducation et d'instruction et dans les procédures d'évaluation, ( qu'elle soit systémique, formative ou sommative). C'est surtout parce qu'ils n'ont pu permettre aux élèves qui leur sont confiés de jouer un réel pouvoir au sein de l'école.

*Directeur départemental de l'éducation - Professeur-Chercheur INRE - Ecrivain ?Auteur de 12 ouvrages