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Résistances : pour la liberté et l'honneur

par Belkacem Ahcene-Djaballah

«LES SENTIERS DE L'HONNEUR. Dans le mouvement de libération nationale en Haute Kabylie : du Ppa au Ffs». Témoignage de Messaoud Oulamara (recueilli par Aumer U Lamara). Koukou Editions, 319 pages, 800 dinars, Alger 2013.

Heureusement que ce livre, achevé en 1991 (6 années pour le mettre en forme), d'abord publié en version tamazight en 2007, a été traduit et édité en français (en 2013). Calculez le temps mis à enfanter une (bonne et sérieuse) œuvre littéraire dans notre pays.

On en apprend des choses sur les évènements... et les gens, grâce à Messaoud Oulamara qui a décrit, presque dans ses moindres détails, toute sa vie militante et combattante... jusqu'en 1963 ! 65 même, refusant les honneurs et revenant à son métier d'armurier... car, il ne pardonnait pas au pouvoir «d'avoir fait couler le sang de nouveau avant que le sang des combattants de la guerre d'indépendance n'ait séché». Il a même fait 8 mois de prison (août 64 à mars 65), «sans jugement, sans raison».

On y apprend donc que Ahmed Messali (comprendre Messali Hadj !), accompagné alors de Messaoud Boukadoum et Mohammed Khider, les nouveaux députés Mtld, a animé, le mardi 11 mars 1947, jour de marché, à Michelet (appellation coloniale de Ain El Hammam), un rassemblement populaire «monstre»... avec une phrase ? clé (en arabe dialectal... avec taduction immédiate par Si Djilani) : «Sachez que l'indépendance, vous ne l'aurez qu'avec votre sang !». Pour lui, très satisfait de sa tournée... «à Michelet, ça dépasse l'imagination».

Qu'une «insurrection armée» devait commencer le 23 mai 1945 à quatre heures du matin... et la Kabylie (qui avait décidé de ne pas manifester le 8 mai 1945) était toute prête au soulèvement. Mais, contre-ordre le 22 vers 5 heures de l'après-midi. En fait, il y avait divergences au sein même du Comité central du PPA... le responsable du contre-ordre étant Messali en personne (selon Bennay Ouali qui avait assisté à la réunion d'après 23).

Il avait, aussi, servi de guide à Che Guevara en juillet 63. Il voulait voir, de ses yeux, les conséquences de la guerre en Haute Kabylie et savoir comment était menée la guerre de libération nationale.

Messaoud At Ammar (Oulamara) est décédé le 29 octobre 2001 avec trois éclats de roquette dans la tête reçus en août 60.

Avis : Passionnant. On est assez vite emporté par la vitesse du récit... et le ton de vérité... toute la vérité. Comme si vous y étiez... La littérature historique, bien écrite, lisible, et franche, même si elle dérange, est celle qui connaît le plus de succés.

Extraits : «C'était doublement insupportable de mourir (ndlr : durant la 2è guerre mondiale) pour une nation qui opprime la sienne» (p 41), «Au début des années quarante, en pleine guerre mondiale, vouloir libérer l'Algérie était perçu par beaucoup comme étant du domaine de l'impossible. Les militants nationalistes que nous étions étaient alors considérés au mieux comme des naifs, au pire comme des inconscients «(p 64), «Au moment où nous courrions par monts et par vaux pour préparer la lutte qui nous libérerait de la domination coloniale, où des militants avaient vendu qui sa chèvre, qui sa brebis pour s'acheter un fusil, les Ouléma revendiquaient «etterbiya wa el ttâlim» (l'éducation et l'instruction)» ou bien «l'arabe et l'islam».

Comme si c'était la connaissance des règles des ablutions qui libérerait les enfants d'Algérie de la colonisation » (p 111), «Nos dirigeants n'ont pas laissé le temps aux Algériens d'apprécier la liberté nouvelle, pour exprimer leur joie. Le conflit naissant est une souillure pour notre révolution et un briseur de rêve. Le sang des martyrs n'a pas encore séché que nos responsables s'étripent pour le pouvoir» (p. 285)

Au coeur des maquis en Kabylie. Mon combat pour l'indépendance de l'Algérie. Tome 1 : 1948-1962. Mémoires de Abdelhafidh Yaha (récit recueilli par Hamid Arab). Inas Editions, 315 pages, 900 dinars, Alger 2011 (Editions Riveneuve, 2012).

Il est né à Takhlidjt Nath Atsou, le village où Fadhma n'Soumeur avait rempli sa dernière mission de résistance. Lui, touché par le virus de la rébellion, et pour continuer la longue chaîne de résistance, il s'investit très jeune dans le mouvement national. Scoutisme, émigration... et enfin, les armes à la main, il combat, en wilaya III, s.a.n.s q.u.i.t.t .e.r l.e t.e.r.r.i.t.o.i.r.e n.a.t.i.o.n.a.l. Qui dit mieux, qui dit plus ?

Il a tout vu, il a tout connu de la guerre de libération nationale. Ainsi, il a rencontré ou croisé au maquis les plus grands (Abane, Ben M'Hidi, Bougara, Amirouche, Mellah, Cheikh Amar, Mohand Oulhadj, Krim, Ouamrane, Mohammedi Said, Said Babouche...) durant les moments les plus forts de la guerre.... Il a côtoyé, aidé ou encouragé...les étudiants devenus maquisards, des combattants Berbères marocains, tous tombés au champ d'honneur pour l'Algérie, des anciens d'Indochine déserteurs avec armes et bagages («grands connaisseurs de l'art de la guerre» mais, «oubliés par l'histoire officielle»), des «patriotes des lignes arrières», des harkis repentis et collaborant avec l'ALN.... Il s'est révolté contre les dérapages de la «bleuite» («une paranoïa du complot unique» , durant «toute une éternité», qui a mené à des «tortures abominables» pour extorquer des «aveux»et à des éliminations de centaines de braves), il a subi moult ratissages de l'armée coloniale , dont la fameuse opération Jumelles (année 58 et début 59), il a participé et échappé à mille et une embuscades et autres accrochages... Il a vécu les derniers soupirs de la colonisation... les lendemains du 19 mars ,avec la découverte de réalités sociales difficiles... et , aussi, hélas, les luttes pour le pouvoir central, avec d'autres victimes. Si Elhafidh ? Résistant, rebelle, amer, mais toujours humain ! Avec toujours, au cœur, la cause d'une Algérie libre. Un combat non terminé. Car il y aura un autre maquis et un exil. Toute une autre histoire. A suivre!

Avis : Trop de détails, par souci de l'auteur de ne rien oublier et de tout dire. Sur les faits. Sur les hommes. Sorte de Verbatim d'une résistance. Mais, les mémoires des (anciens) moudjahidine se lisent toujours sans regret quelle que soit leur orientation. Au minimum, elles nous éclairent sur le passé de bien des combattants et autres dirigeants ainsi que sur les forces et faiblesses de notre peuple. L'histoire bien nue ! Dommage que nos «éléphants» ne veuillent plus lire (sur leur passé) et que les jeunes ne sachent pas lire.

Extraits : «D'une résistance à l'autre, si l'homme libre est celui qui met sa vie en péril à chaque fois que c'est nécessaire, qui la confronte sans hésitation à la mort, je peux avancer que nous étions des hommes libres «(p 13),

 «En dépit de ce qu'on a tendance à faire croire aujourd'hui : «le peuple s'est levé comme un seul homme pour combattre le colonialisme», (...) nous avons éprouvé d'énormes difficultés à mettre en place les réseaux de confiance (...). Beaucoup hésitaient à épouser notre cause...» (p 38), «A certains esprits jaloux et aigris qui n'hésitent pas à traiter la Kabylie de région séparatiste à chaque fois qu'elle élève la voix contre les régimes autoritaires et successifs qui ont pris en charge le destin de l'Algérie, je peux affirmer que sans le sacrifice du colonel Ali Mellah et de ses centaines d'hommes, un pan inestimable de notre chère Algérie, je veux dire le Sahara, aurait échappé peut-être à la Révolution avec les conséquences que je n'ose pas imaginer» (p 89), «La langue française a été (...) notre outil de communication pour la rédaction des tracts, des rapports et des déclarations publiques. Le kabyle et l'arabe étaient, en revanche, utilisés dans nos discours devant la population» (p 249)

UN DEMI-SIECLE DE COMBAT. Mémoires d'un chef d'état-major algérien. Ouvrage mémoriel du Colonel Tahar Zbiri. Ech Chourouk Information & Edition, 445 pages, Alger 2012

Chose promise, chose dûe... par le colonel. Après les «Souvenirs de guerre» de Tahar Zbiri, on a le récit des ses «mésaventures» d'après-guerre. Homme fort (militaire grand baroudeur, pardi ! et, surtout, ayant supporté le «clan» dit d'Oujda ou «groupe de Tlemcen), mais maillon faible du nouveau système politique. D'abord avec Ahmed Ben Bella, puis avec Houari Boumediène, dont il ne supportait pas (ou plus), dit-il, les dérives autocratiques... et les faveurs ou les positions hiérarchiques favorables attribuées surtout aux officiers «déserteurs de l'armée française» (exemple : avec Boumediène, le Sg du Mdn, Abdelkader Chabou, avait la délégation de signature des décrets de nomination des officiers ainsi que ceux relatifs à leur mutation et à leur avancement alors que le chef d'état-major, T. Zbiri, en l'occurrence, avait besoin de sa signature pour tout équipement ou approvisionnement destiné à l'armée).Tout cela (le «gel» du Conseil de la Révolution étant le goutte faisant déborder le vase) n'allait pas manquer de mal finir avec un «mouvement (de rebéllion)» en décembre 1967... puis le retour au maquis, puis l'exil... jusqu'en décembre 1979 ( décisions de grâce par Chadli Bendjedid, de Ahmed Bella et de Tahar Zbiri). Retour au pays seulement en novembre 1980. Le reste est une autre histoire... Zeroual puis Bouteflika l'ayant fait membre (du tiers présidentiel) du Conseil de la Nation.

Avis : A lire... Beaucoup de révélations... mais, faites attention en tournant les pages, en raison de la très mauvaise reliure.

Extraits : «Tout ce que je lui (A. Ben Bella) reprochais, c'était son autoritarisme, si bien qu'il se considérait comme le second fondateur de l'Etat algérien après l'Emir Abdelkader» (p 141)