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Tout n'est pas l'affaire de tous !

par El Yazid Dib

Je n'irais pas jusqu'à dire que « la lâcheté tend à projeter sur les autres la responsabilité qu'on refuse. » Mais la subtilité maniée par certains orateurs en poste frise l'ironie que l'on accorde à ses charges publiques.

Ils fustigent le grand nombre et zappent l'unité qui les enivre. Ils pensent rendre service au lieu de rendre compte.

On a tendance à ne pas faire croire que quelqu'un est responsable de quelque chose.

L'on ne parle plus de personne ni d'institution encore moins de gestion dans une gabegie. Quand l'on dilue une matière dans une autre on ne peut obtenir un facteur de multiplication du délayage. L'amalgame diffuse le brouhaha et crée de l'irresponsabilité. Nos responsables veulent endosser, à défaut de réussite dans leur secteur, la responsabilité au peuple entier. L'on ne se suffit plus à cibler un, deux ou trois auteurs ou fauteurs, mais l'on tache à ce que cette masse confusément populaire, ce tout entier et total soit le mieux adapté à porter le chapeau. Le tourisme est l'affaire du pourtour et de la proximité. La sécurité est l'affaire de tous.

L'un affirme que la violence est l'affaire de tous quand l'autre égalise en disant la même chose. L'environnement étant une affaire d'hygiène, il est sans doute l'affaire de tous. La propreté partage communément ses déchets d'un voisin à un autre et renvoie l'éboueur à responsabiliser les gens. Elle fait noyer les détritus de l'un dans l'anonymat de l'autre et ainsi il n'y a personne derrière ce jet. Qui de l'homme ou de la nature engendre les produits fécaux ? Qui de ceux-ci est apte à relever l'identité du coupable ? Personne ! Ce " mon nom est personne " trouvez-le ! Pendez-le haut et court !

Non messieurs, rien n'est l'affaire de tous. Mais de personnes bien définies, légalement nommées. La sécurité est l'affaire de spécialistes, la violence aussi. Les poings et leurs coups légaux ne sont pas l'apanage de tout citoyen. La pédagogie, la sociologie, la psychologie sociale, la psychanalyse de groupe ne sont pas un transport en commun accessible à tous. Personne ne peut prétendre à s'élever en outre en une école ouverte sur la rue ou installée en deux mi-temps dans un stade. C'est au responsable de bien vouloir intégrer comme éthique, le seul devoir pour lequel il est désigné. C'est dans sa sarcelle morale qu'échoit pour le dynamiser l'obligation de mener comme un bon père les termes de la gouvernance qui justifient son existence institutionnelle. Sinon? s'il bifurque le tout sur l'intégralité d'autrui ; son mérite n'est qu'un privilège d'enrichissement de fonctions immoral. Le peuple n'a pas besoin de volontarisme, ni de bénévolat. Sa préoccupation majeure semble un souci mineur chez ses semblants protecteurs. On a vu des ministres fiévreux dire la relativité comme un intermède politique. Ils prennent leurs bureaux pour le pays. Leur secteur, disent-ils ne vit pas une solitude, il s'imbrique dans la maille organisationnelle et se répand sur la géographie citoyenne. La responsabilité absolue est dans le sachet de lait qui se fait désirer par un enfant allaité par assistance et non pas dans un commerce irrégulier ou dans une agriculture asséchée. La fièvre aphteuse est une contagion frontalière et contrebandière. Le fellah maudit par ses bêtes est indemnisé par la générosité des puits de pétrole de ses concitoyens.

Si les magasins étaient fermés les jours de fêtes, la faute est au citoyen qui avait mal manifesté le moment de son besoin. Ou encore l'énergie qui s'absentait d'un four boulanger, privé d'une farine qui ne débarque pas parce qu'un bateau est en rade et que les services portuaires vacants pour cause d'intempérie due à un mauvais esprit provoqué par la malédiction des saints patrons sont en grève illimitée. Trouvez dans cette chaine logistique du commerce un responsable digne de l'être ! Le pain est l'affaire de tous nous dira-t-il. L'électricité, le sparadrap, le coiffeur, le tramway également. Rendre compte n'est en ces temps qu'une parole à sens unique. Un jeu qui ne se hasarde qu'entre petits et petits face à un enjeu de grands. Seul le " responsable " s'arroge l'imagination et son exécution de responsabiliser, charger tous les autres. Et c'est injustement dans cette cible facile et toute désignée, car placide et non concernée que le ridicule s'évertue à s'accomplir.

Chaque mission est une affaire de professionnels. Un savoir et une contrainte. Elle doit être l'origine d'une conséquence. Si crise y est, si pénurie persiste, si violence subsiste, si bonheur se désiste et si mal résiste, c'est que par évidence?il y a une cause?un nom?un responsable. L'envers d'un monde où les fonctions ne sont plus des nuits blanches et ne font plus pousser des poils rebelles. En fait qu'elle donc cette " affaire " qui ne dépend de personne sauf de son titulaire ? L'intérêt et l'avantage. Mais les affaires qui sont sensées être naturellement " l'affaire " de tous sont effeuillées au jour le jour. Le projet d'avenir, la joie de vivre, la sensation du citoyen complet, pris telle une envie printanière mal consommée seraient " l'affaire " d'un paternalisme constitutionnel encore en vie.