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Ukraine : ce grand pays malade de l'Europe de l'Est

par Kamel Kacher *

Les quelques réflexions émises sur la situation politique en Ukraine remontent à 2006. Des sensations relatives aux sentiments perçus et vécus sur place en temps réel comme témoin physique et oculaire pendant la fameuse « révolution orange » de 2004/2005, mouvement populaire absolument pacifique d'il y a dix ans, sur la fameuse place Maïdan et qui a vu la déferlante populaire comme aujourd'hui, mais sans bain de sang.

Les 22 années passées en Ukraine, depuis l'époque soviétique des années 80 et jusqu'à 2005, ne me permettent pas d'être assez objectif, puisque j'aime ce beau pays énormément, dont le territoire est encore plus grand que celui de la France, et je ne lui souhaite que du bonheur.

Les protagonistes et les acteurs d'aujourd'hui sont presque les mêmes d'il y a dix années, les « pro-européens » et les « pro-russes », plus exactement ceux du Centre-Ouest avec fief Kiev, la capitale, et ceux du Sud-Est avec Donetsk comme épicentre, sans oublier la presqu'ile de Crimée ou vit une minorité autochtone musulmane, les Tatars.

Quant aux acteurs politiques, parmi les anciens de l'épopée orange, on retrouve les partisans d'Ianoukovitch, le président élu et ceux d'Iulia Timochenko, l'ex premier ministre emprisonnée et d'autres acteurs politiques moins connus. Parmi les nouveaux, le plus connu est Vitaly Klichko, ancien champion du monde de boxe, avec son parti « Udar », qui veut dire le coup.

Pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui, il faut revenir un peu en arrière, en 2004 plus exactement, ou l'actuel président, Ianoukovitch, du clan de l'Est, candidat du système à la présidentielle 2004 et pro-russe, voulait usurpait la victoire au 2é tour à l'autre candidat de la coalition orange, Yushenko. La place Maïdan a dit non à la supercherie et il a fallu l'intervention, comme aujourd'hui, d'émissaires d'Europe et des Etats Unis pour trouver une issue en organisant un troisième tour. Le candidat orange a gagné, mais le pays est entré de plein fouet dans une situation de pourrissement politique et de marasme économique. « Le pays, stupéfait, regardait médusé les règlements de compte entre la nouvelle et l'ancienne oligarchie.

La saison de la chasse aux sorcières était ouverte officiellement1 », j'écrivais à l'époque déjà. Dés 2006, le candidat malheureux Ianoukovitch prend sa petite revanche en gagnant les élections législatives, avec son parti des régions, en devenant par ailleurs premier ministre.

Aux présidentielles de 2010, il fait plus, en gagnant la magistrature suprême pour 5 ans, et ce qui s'est passé en 2005 se répéta, sauf que maintenant les pro-russes chassent les pro-européens des rouages de l'Etat, et la première à tomber est Iulia Timochenko, qui a été mise en prison.

« Ces deux Ukraines doivent entrer en confrontation. Les élections ont été une réaction de l'électeur ukrainien déçu de ne pas avoir vu se matérialiser les espoirs nés lors de la «révolution orange». En dépit de leurs promesses généreuses, ses leaders n'ont pas réussi à relever tant soit peu le niveau de vie de la population ou à museler la corruption effrénée. Le pillage économique à grande échelle s'est poursuivi, seuls les clans mafieux s'y livrant n'étaient plus les mêmes.2 » était mentionné dans une autre analyse.

L'Ukraine Centre-Ouest, pro-européenne, attendait l'occasion politique propice et une nouvelle chance de prendre sa énième revanche sur l'Ukraine Sud-Est, pro-russe, sur fond de crise socio-économique aigue. Elle fut donnée à la fin Novembre 2013 par le président Ianoukovitch lui-même, à une année de fin de mandat, prévu en 2015, en refusant d'entériner, à Vilnius (Lituanie), l'accord de partenariat ave l'UE et d'aller solliciter une aide financière chez la grande sœur, la fédération de Russie de Poutine. C'était la goute qui a fait déborder le vase.

L'extrême droite ukrainienne n'en demander pas plus pour entrer en scène et manipuler les masses de la place Maïdan, dont la majorité ne voulait revendiquer, pacifiquement, que l'amélioration de la situation socio-économique du pays et moins de corruption dans les rouages de l'Etat. Mais cette fois çi, il y a eu effusion de sang regrettable, alors que la majorité de la population ukrainienne est de tempérament pacifique.

La situation en Ukraine est extrêmement dangereuse et instable. D'abords, il y a risque de guerre civile et puis risque de scission réelle du pays, en deux parties distinctes.

La partie la plus riche et la plus industrialisée, avec des usines métallurgiques et d'armement, deux centrales nucléaires, un accès exclusif à la mer noire et la presqu'ile de Crimée, qui a un potentiel touristique énorme, ou se trouve sur son territoire la fameuse base navale de Sevastopol, louée à la marine russe, et comme seule frontière la Russie, se trouve dans le Sud-Est, avec 12 régions, slavophiles, prônant allégeance à l'église orthodoxe russe et utilisant le russe comme première langue.

L'autre partie, celle de la place Maïdan 2014, avec 13 régions sur les 25 qui forment l'Ukraine, et comme capitale Kiev, celle du Centre-Ouest, est plus portée sur l'agriculture, l'agroalimentaire et les industries légères, moins industrialisée et plus pauvre, et dont sa partie Ouest est xénophobe, avec Lviv comme fief séculaire et traditionnel de l'extrême droite, depuis l'époque de la Rech Pospolita(l'empire polonais du 16é siècle) et du 3éme Reich Nazi à ce jour, avec un nationalisme primaire consistant à ne parler que l'ukrainien. Sur le plan religieux, il est fait référence à l'église orthodoxe grecque et à l'église catholique romaine.

La partie Centre-Ouest, qui a pris le pouvoir à Kiev est exigüe, n'ayant aucune issue maritime, avec des frontières terrestres, coincées entre la Pologne, la Biélorussie, la Slovaquie, la Hongrie, la Moldavie et la Roumanie, est traversé par le gazoduc en provenance de Russie qui fournit les grands pays de l'UE.

En cas de scission, la partie Centre-Ouest, « pro-européenne », subira une asphyxie énergétique, une crise financière et économique insolvables et ce n'est pas les donneurs de leçons de l'Union Européenne et des Etats Unis, ni le FMI avec ses conditionnalités draconiennes, qui viendront à la rescousse, avec une aide financière dérisoire et humiliante, comme s'est déjà passé auparavant. Elle ne recevra, comme par le passé que des promesses européennes et américaines sans lendemain.

L'Ukraine, unie, dans sa diversité, a tous les atouts pour réussir. Elle a les hommes et les femmes, les terres, les plus fertiles d'Europe, le savoir faire et les potentialités économiques pour s'en sortir toute seule. L'Ukraine doit murir et construire un vrai Etat et combattre les deux principaux maux qui la taraudent depuis son indépendance en 1991 : la question identitaire et la mainmise de l'oligarchie, qui se traduit par une corruption endémique et qui existent dans les deux camps.

1. Cf. QO, Divagations d'un universitaire algérien, du 12/04/2006

2. Cf. QO, Elections parlementaires ukrainiennes 2006, du 09/04/2006

* Ancien Président de l'Association des Algériens en Ukraine. Phd aeronautical sciences.