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Guerre, trêve et escarmouches

par Abed Charef

Petite trêve au sommet. Différents cercles du pouvoir font bloc pour réélire le président Bouteflika, mais ce n'est que partie remise.

Trêve armée dans le sérail. Après les passes d'armes de février, qui ont révélé un sérieux conflit au cœur du pouvoir, une trêve semble avoir été conclue. Elle a eu pour résultat un accord pour reconduire le compromis en vigueur depuis quinze ans ; un compromis bâti autour du président Abdelaziz Bouteflika, reconduit pour un nouveau bail. Le général Toufik Mediène, réputé réservé sur ce choix, a été contraint de l'accepter, après avoir échoué à présenter une alternative susceptible de satisfaire l'ensemble des cercles du pouvoir.

Mais ce n'est qu'une trêve, ce n'est pas la fin de la guerre. Les escarmouches peuvent donc continuer. Et elles n'ont pas manqué. Ainsi, en est-il de cette perquisition musclée, menée par des gendarmes au siège de la chaine Atlas TV, réputée proche d'un célèbre général du DRS. Dans un climat aussi tendu, une telle opération apparait tout de suite comme une provocation, destinée à marquer des points, face à un adversaire à qui on ne veut visiblement pas laisser le temps de se retourner. La trêve ne sera donc qu'une parenthèse, pas un cessez-le-feu définitif.

Mais quand une guerre d'usure se déroule dans les médias, cela fait désordre. Et le choix de la cible, Atlas TV, semble en l'occurrence particulièrement maladroit. Car aussitôt les gendarmes sur place, les réseaux sociaux se sont enflammés. La société civile s'est emparée de l'évènement, les partis ont pris le relais, et c'est le raz-de-marée. Les animateurs de la chaine Atlas TV, dramatisant délibérément la situation, ont appelé le peuple algérien à la solidarité, et se sont mis sous sa protection. Ils avaient un rôle à jouer, presque en direct. Une aubaine, dont ils ont largement tiré profit, ce qui leur a valu un remarquable élan de sympathie.

Cette affaire se terminera-t-elle devant les tribunaux, comme l'affirment les gendarmes, dûment munis d'un mandat de perquisition quand ils se sont présentés devant les locaux de la chaine ? Ou bien sera-t-elle réglée de manière plus classique, à l'algérienne, selon le rapport de forces du moment, aujourd'hui favorable aux groupes qui gravitent autour du président Bouteflika ? Les pronostics sont ouverts. Le public compte les points, et tente de d'anticiper, pour savoir en faveur de qui va pencher la balance.

Mais il y a peu à attendre de la justice. L'avocat Khaled Bourayou a déclaré, mardi, que la justice est « totalement soumise à l'exécutif (?) elle peut même régler des comptes». Est-ce le cas avec l'affaire Atlas TV? S'agit-il d'une affaire de règlements de comptes dont la chaine Atlas est une victime collatérale ? Aux yeux de l'opinion, la chose est évidente. Dans ce cas, l'affaire connaitra forcément de nouveaux rebondissements. Elle risque de passionner les Algériens, en raison des enjeux et des acteurs en présence.

PERSONNE NE S'EN SORTIRA INDEMNE

Mais c'est aussi une affaire qui montre la décrépitude des institutions et des mœurs politiques, ainsi que l'urgence de sortir de ce modèle de gestion absurde. Et éviter de se retrouver avec cette image dramatique pour l'image du pays, ou ce qu'il en reste : des gendarmes investissant les locaux d'une chaine de télévision.

Personne ne sortira indemne de cette histoire. Même pas le vainqueur. Justice et gendarmerie sont les premières à laisser des plumes, mais tout le monde se trouve sous pression : le gendarme, sommé d'obéir, mais qui ne sait pas s'il est dans la légalité ; le procureur, contraint de délivrer des ordres de réquisition dont le contenu ne se justifie pas; le ministre, qui subit des luttes d'influence échappant à son autorité ; et le journaliste, objet d'une lutte de clans et d'appareils à laquelle certains participent, mais à laquelle d'autres ne comprennent rien.

Pour les hommes et les cercles du pouvoir, il s'agit là de péripéties sans importance. De petits incidents de parcours. Mais pour le pays, c'est la dérive qui continue. Les institutions ne servent plus à protéger la loi, mais à protéger les groupes et les individus. Le citoyen, quant à lui, subit cette situation, dans la révolte, l'impuissance ou la résignation. Mais malgré cette pression énorme, le citoyen s'accroche. Il tâtonne, il cherche. Il est prêt à s'accrocher à toute idée de sortie de crise. Même si les tenants du pouvoir veulent précisément le convaincre qu'il n'y a pas d'alternative, que ça se passera comme ça et pas autrement.

Pourtant, il y a une solution simple : bâtir un système politique où les conflits sont résolus selon la loi, et où les règles d'accès et d'exercice du pouvoir sont régies par la constitution et la loi. Comment un pays de l'envergure de l'Algérie n'arrive-t-il pas à admettre une chose aussi simple ?