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La Croatie, 28ème adhérent d'une Union européenne très, très morose

par Pierre Morville

L'UE incapable de résoudre ses problèmes, va passer de 27 à 28 Etats membres, demain à 36, peut-être après-demain à 42. Beaucoup de monde, peu de solutions.

Le 1er juillet prochain, l'Union européenne va accueillir un nouvel état-membre : la Croatie va devenir le 28ème état adhérent à l'Union européenne. C'est une ancienne république de la Fédération socialiste yougoslave. Situé dans les Balkans, le pays, en forme de fer à cheval, longe pour une partie la Mer adriatique, la côte dalmate étant l'une des plus belles de la Méditerranée : 1750 km de plages et de criques constellés par 1185 îles et îlots. Le tout avec de superbes ports comme Pula, Zadar, Split et la plus belle cité balkanique d'entre toutes, Dubrovnik. Quant aux amoureux de la nature, selon le Guide du Routard, «ils seront comblés. Les parcs naturels intacts regorgent d'une faune que l'on croyait réservée aux lointaines contrées : plus de 400 ours dans les forêts montagneuses, chamois, mouflons, chats sauvages, loups et lynx à profusion?». On comprend que le tourisme est une activité importante du pays.

Rattaché dès le XIIème siècle au Royaume de Hongrie puis à l'Autriche-Hongrie. La semi-vassalité souvent mal supportée, aboutit à une 1ère Fédération Yougoslave indépendante en 1918, à la fin de la 1ère Guerre mondiale. Le pays fut envahi par les forces italiennes et allemandes en 1941. Un «Etat indépendant de Croatie» fut créé en 1941 qui collabora avec les forces occupantes. Des mouvements de résistance apparurent très vite dans toute la Yougoslavie, qui furent fédérés par le dirigeant communiste Josip Tito, lui-même originaire de Croatie. Les Yougoslaves réussirent à se libérer seuls de l'occupant allemand mais au prix de 600 à 700 000 morts.

En 1945, est constituée la République fédérale de Yougoslavie, dirigé jusqu'à sa mort par Tito, en 1980. La République socialiste de Croatie est, avec la Serbie, l'un des principaux pays de l'ensemble fédéral.

Après la chute du Mur de Berlin qui vient symboliquement sonner la désagrégation de l'empire soviétique, le gouvernement croate déclare l'indépendance du pays en 1991, ce que le pouvoir serbe refusa. S'ensuivit une longue et violente guerre civile dans les Balkans qui ne s'acheva qu'avec le conflit du Kosovo. Pour ce qui concerne la Croatie, la guerre dura jusqu'en 1995. La Croatie remporta militairement son indépendance. En Août 1995, les forces croates conquirent la République serbe de Krajina, une région croate dont la très grande majorité des habitants étaient serbes, forçant à un exil condamnable la plupart des ressortissants. La reconstruction du pays favorisa un rapprochement avec l'Union européenne. Le 22 janvier 2012, un referendum organisé en Croatie ouvre la voie à l'intégration dans l'Union européenne. Il faut noter toutefois que le scrutin ne passionna pas les Croates puisque l'on comptat 56% d'abstentionnistes.

Que va compter la Croatie dans l'ensemble européen ?

Pierre Verluise, directeur de recherche à l'IRIS, vient de consacrer un ouvrage «Géopolitique des frontières européennes. Elargir, jusqu'où ?», et plusieurs articles sur la question de l'adhésion de la Croatie à l'UE. Le diagnostic est plutôt balancé. La superficie de la Croatie est de 56 542 Km : elle ne représente que 1, 26% de la surface l'Union européenne à 28 membres. Mais sa modestie de taille ne peut rendre contestable l'adhésion d'un pays à l'évidence européen et le Luxembourg est bien plus minuscule. Pierre Verluise rappelle à ce propos que l'ensemble Union européenne qui s'étend sur 4,5 millions de km2 est qui n'est pas à proprement parler un «pays» se trouve au septième rang des ensembles géographiques les plus vastes avec en tête la Russie (17 millions de Km2), suivi du Canada (9,9 millions de Km2), de la Chine (9,5) et des Etats-Unis (9,3) qui précèdent le Brésil (8,5) et l'Australie (7,7). A titre informatif, la surface de l'Algérie est de 2 381 741 km² soit quatre fois la France ou la moitié de l'UE.

Avec l'adhésion de la Croatie, ses 4,4 millions d'habitants viendront s'ajouter aux 503 millions des populations qui constituent l'Union européenne à 27 ; l'UE à 28 se situera loin derrière l'Inde (pays le plus peuplé du monde) et de la Chine (2ème) mais compter plus d'habitants que les Etats-Unis (3ème), l'Indonésie (4ème), le Brésil (5ème) ou le Pakistan (6ème).

Mais c'est davantage dans le domaine économique que l'intégration de la Croatie est quelque peu problématique : «le poids économique relatif de la Croatie est inférieur à son apport en territoire et en population, note le chercheur de l'IRIS, avec un produit intérieur brut prévu en 2013 de 4435 millions d'Euros, la Croatie représentera 0,33% de l'UE 28. Le niveau des Croates est inférieur de loin à la moyenne des niveaux de vie des 27 autres états membre, d'un indice 64 sur une base 100 pour l'ensemble de l'UE. Le chômage est supérieur à la moyenne de l'UE : en 2012, le chômage affectait 10,5% de la population européenne (12,2% en avril 2013), il touchait à lépoque 15,9% de la population croate. L'état de l'économie de ce pays n'est pas bon. Après des années de forte croissance entre 2003 et 2006, la Croatie présentée à l'époque comme l'une des plus avancées de la zone Danube-Balkans, plonge dans le récession depuis 2008, avec une chute de -7% en 2009.

Favoriser rapidement une homogénéisation des niveaux de vie dans l'ensemble de l'Europe avait été un objectif ambitieux et humaniste de la fondation de l'Union européenne. Cela devait passer par un enrichissement des pays les plus démunis de l'ensemble européen, situés notamment au Sud et à l'Est de l'Europe. Mais la crise de 2007/2008 qui frappa l'ensemble de l'économie mondiale à largement affaibli les contributions communes des plus riches vers les plus pauvres et aiguisé les égoïsmes nationaux. L'affaire se complique encore par trois facteurs aggravants :

- en 2004, l'Union européenne procéda à un vaste élargissement, avec l'adhésion de dix pays nouveaux situés pour l'essentiel à l'Est de l'Europe. Problème, ces dix pays pesaient à peine 5% du PIB de l'UE mais 16% de sa population. L'intégration en période de croissance n'était pas facile, elle est très difficile quand l'économie stagne.

- Le fonctionnement de l'UE repose sur un principe apparemment très démocratique : un pays (quel que soit son poids) = une voix. Dans les faits, l'UE se découpe entre une zone Euro qui regroupe la plupart des pays les plus riches? et les autres. Les politiques menées dans l'ensemble européen sont largement le fait des trois nations les plus puissantes, Allemagne, France, Angleterre.

- La Commission européenne, la Banque Centrale européenne continuent, malgré une crise dont on ne voit pas l'issue, à être dictées dans leurs décisions par des croyances mêlant de l'hyper-libéralisme, notamment en matière financière, un culte absolu dans les vertus de l'austérité budgétaire et salariale en période de difficultés, ce qui interdit tout retour à la croissance, et un dogme de la lutte contre l'inflation alors que l'ensemble européen est menacé par une chute des prix. Au résultat, 25% des jeunes européens de moins de 25 ans sont au chômage et pour cette «génération perdue», le chômage frappe 62,5% des jeunes en Grèce, 56,4% en Espagne, 42,5% au Portugal et 45% en Italie, soit environ un jeune de l'Europe méditerranéenne sur deux.

D'autres élargissements en cours.

Avec un départ possible

L'Union sera à 28 états membres le 1er juillet 2013 mais d'autres candidats attendent pour former une UE 36 ou plus. Quels sont les candidats officiels ?

Dans la région balkanique, on comptera République de Macédoine (2, 1 million d'habitants), le Monténégro (600 000 h.), la Serbie (7,3 millions d'h.). Il existe également dans cette grande région, des candidats potentiels : l'Albanie (3,3 millions d'habitants), la Bosnie-Herzégovine (3,7 millions d'h.), le Kosovo dont la déclaration d'indépendance est contestée par au moins cinq membres de l'UE.

Ajoutons que d'autres pays sont déjà plus ou moins officieusement «candidats à la candidature» à l'UE, dont la Moldavie voire la Géorgie. Certains pays membres de l'UE ajouteraient volontiers à l'UE-36 les six pays du partenariat oriental : Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine.

Reste le cas de la Turquie qui avait fait une 1er demande dès 1964 et a réitéré sa demande en 2005. Elle compte 74 millions d'habitants. Mais malgré une croissance économique forte et reconnue, les négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE semblent, elles, dans l'impasse : aucun chapitre n'a été ouvert de 2010 à 2012. Un mystère communautaire de plus?

«Nous pourrions arriver à une UER-42» note Pierre Verluise qui constate également que «l'Union européenne reste attractive pour les pays pauvres de l'Europe, comme le montrent les élargissements de 2004, 2007 et 20013 mais devient «répulsive» pour des pays riches comme la Norvège, la Suisse ou même l'Islande». Ce petit pays officiellement candidat, a élu en avril 2013, un gouvernement très hostile à l'adhésion.

Mais si beaucoup veulent entrer, certains veulent éventuellement sortir de l'UE ! Le parti conservateur du Premier ministre britannique, David Cameron, a présenté en avril un projet de loi sur un referendum concernant la place du Royaume-Uni dans l'Union européenne (UE), précisant la question qui sera posée et la date limite de 2017 pour l'organiser. «Pensez-vous que le Royaume-Uni devrait rester un membre de l'Union européenne ?» est le libellé de la question qui devrait apparaître sur les bulletins de vote, selon le projet de loi. Celui-ci précise également que le referendum doit être organisé avant le 31 décembre 2017. Le projet est d'ores et déjà vraisemblablement voué à l'échec en raison de l'opposition des travaillistes et des libéraux-démocrates, membres de la coalition gouvernementale et europhiles déclarés. Il existe néanmoins un courant europhobe important dans l'opinion publique anglaise qui s'est accru avec les difficultés liées à la crise économique qui secoue actuellement le vieux Continent.

Bye-Bye, Londres ?

La classe politique anglaise s'est toujours un peu méfiée d'une construction économique et politique d'une Europe qui viserait à une sorte de fédéralisme supranational. Elle est restée favorable à un «Marché commun» qui favorise la libre-circulation des capitaux et des marchandises avec des contraintes minimales. L'Angleterre est jalouse de son indépendance nationale et de son amitié privilégiée avec les Etats-Unis. Elle a fortement encouragé l'adhésion de nouveaux états-membres, le nombre croissant interdisant ou limitant, selon elle, toute expression d'une forte volonté européenne commune. Convaincu des mérites de la globalisation, Londres a fait depuis longtemps le pari que son développement passerait surtout par la croissance de la City londonienne, 1ère place financière du monde.

«Mais c'est aussi la City qui a inventé tous les outils complexes de spéculation qui a fait sa fortune et entraîné la crise actuelle» : le propos en substance e été tenu ce week-end sur RFI par un europhile très convaincu et un social-démocrate très réformiste, Michel Rocard. Cet ancien 1er Ministre français se décrit comme : «Un Européen optimiste sur le long terme, mais navré de la mauvaise passe où nous sommes». Il est inquiet : «si la crise rebondit, elle sera quatre à fois supérieure à celle que nous avons vécu en 2006/2008». Ses solutions ? Arrêter l'obsession du remboursement rapide des dettes, contrôler plus fortement la financiarisation internationale en obligeant les banques à choisir entre la gestion courante et l'activité spéculative, créer des agences de notation publiques tout en contrôlant très fortement les paradis fiscaux. La «vraie» Union européenne se réduit selon lui, du fait de la crise aujourd'hui à la zone Euro à laquelle n'appartient pas l'Angleterre «les Anglais ont choisi qu'ils ne nous aimaient pas : salut les Anglais !», conclut-il en appelant de ses vœux un départ de l'Angleterre de l'UE. Ouille-ouille-ouille !