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La vérité est descendue sur les faits à Tibhirine

par Abdelkader Leklek

La représentation de la dimension temps dans tous les ordres, de toutes les religions, n'est pas perçue à l'aune du cadran horaire, ni mesurée avec l'assurance du méridien de Greenwich. Elle ignore autant la logique du Temps Universel Cordonné. C'est normal car tous ces calculs relèvent du temporel.

Ce temps à entendement humain, tantôt déterminé, tantôt indéfini, et souvent linéaire. Parfois en spirale et quelquefois cyclique, est pour eux dérisoire, malgré sa commodité. Les hommes et les femmes de ces ordres n'obéissent pas à ces asservissements. La vie est pour eux infinie et se trouver sur terre n'est qu'une escale. L'essentielle et la déterminante, c'est l'autre étape. Celle du salut de l'âme, pour la première moitié de l'humanité. Et celle de la métempsycose pour l'autre moitié. Dans la nuit du 22 au 23 mars 1996 le temps à l'abbaye de notre dame de l'Atlas, à Tibhirine, non loin de Médéa, s'était figé. Mais depuis, des questionnements par milliers sont demeurés en suspend. Fallait-il attendre 17 ans, et la diffusion par la chaîne France 3, le jeudi 23 mai 2013, d'un documentaire, réalisé par Malik Aït Aoudia et Séverine Labat, qui fait suite au film grand prix du jury au festival de Cannes 2010 : ?' des hommes et des dieux'', pour lever le lourd voile qui couvrait de tout son poids et toute son opacité, les mystères d'un drame à forte charge émotionnelle, qui porta un coup au moral de tous les hommes et les femmes de paix de par le monde? Deux grands pays l'Algérie et le France étaient pour diverses raisons, concernées au premier chef. Cependant comme les voix du seigneur, mais aussi celles de la politique sont impénétrables, cette affaire fut beaucoup plus instrumentalisée au profit d'intérêts idéologiques, au détriment d'une réponse claire à un drame humain, et cela des deux cotés de la méditerranée par une foule de gens malintentionnés. Le nuancier dans la palette des interférences était tellement étendu, qu'il partait des seconds couteaux pour aboutir à la plus haute marche de la hiérarchie dans l'institutionnel en france. Et qu'en Algérie la parcimonie de communication avait laissé des espaces d'ingérences aussi largement ouverts, qu'ils pouvaient donner l'occasion à une faune de communicants,ceux qui déjà occupaient l'espace,ceux qui arrivaient et fourbissaient leurs armes,mais aussi ceux en voie de disparition. Et en la matière l'occupation des positions face à ceux qui scrutent l'horizon à la recherche du moindre indice apaisant, c'est-à-dire l'opinion publique lambda d'une part. Et de l'autre, les laudateurs et les prosélytes de l'ordre nouveau.

Qui eux, en prédateurs alléchés par l'odeur de la proie affaiblie, quand vous résistez, ils campent en cercle, comme technique de harcèlement, au final tueur. Et dès que vous reculez ils avancent pour conquérir, et pour forcément massacrer. Sur cette affaire, cela s'est fait au dépend de la vie d'hommes pieux. Oui l'un d'entre eux, frère Luc, le moine médecin, disait :«la peur c'est le manque de foi. La foi transforme l'angoisse en confiance. Ma présence ici n'est pas nécessaire, mais elle est utile». Il fut pendant 50 ans, 1946/1996, médecin du dispensaire du monastère ouvert à tous, où il a toujours soigné n'importe qui se présentait à lui, sans chercher à savoir qui était derrière l'homme souffrant. Dit-on de lui. Il aurait, durant la guerre de libération, soigné des moudjahidine de l'historique wilaya IV.

 Comme il a soigné également plus tard, les terroristes du GIA. Ici l'analogie concerne seulement l'attitude du moine envers la souffrance des hommes, et rien d'autre. Ce serait de la part du chroniqueur, réducteur pour les premiers cités, et beaucoup de considération imméritée, pour les seconds. Oser le comparatif ici est un non sens.

Ce sont ces hordes djihadistes qui ont reconnu de vive voix, à travers le documentaire, l'assassinat des moines veilleurs de l'Atlas. Et qui durant 17 ans, faute de réponses avaient rendu moralement coupables une quantité d'algériens, dans cette quête inapaisée, à la recherche de la vérité. La partie française qui avait choisi de jouer solo, s'était faite prendre comme une apprentie sorcière, à son propre collet. Elle n'en finira pas de se débattre en polluant l'atmosphère, tout autour, et pour tous. Cela avait commencé par les exploits d'un ancien de la DGSE. L'étrange, le bizarre, le trouble et surprenant personnage, devenu préfet du Var, Jean Charles Marchiani, plus célèbre pour avoir facilité des relations entre marchands de canons, notamment l'affaire Angola gate, qu'autre chose. Il se fit le relais entre l'ambassade de France à Alger et ceux du GIA, d'un coté. Et de l'autre par l'intermédiaire de l'ancien ministre de l'intérieur qui ne l'était plus à l'époque des faits, Charles Pasqua,corse comme lui, entre les terroristes et les hautes sphères du pouvoir en France, notamment la présidence de la république,en la personne de Jacques Chirac. Fort de sa notoriété, pour avoir servi dans la libération des otages français retenus par le Hizbollah au Liban. Et que la France avait également par son entremise, réussi à récupérer deux de ses militaires pilotant un mirage 2000, abattus au dessus de la Bosnie le 30 Août 1995. Il représentait, aux yeux des décideurs de la droite française au pouvoir, l'homme de toutes les situations entremêlées où il fallait libérer des otages français. Mais cette fois-ci, ces derniers n'avaient pas dans leur assurance vu venir le choc, de là où ils s'attendaient le moins, sinon pas du tout. Le clash s'est produit à l'intérieur même de la maison de ces décideurs. Selon Charles Pasqua, furieux d'avoir été doublé, le premier ministre d'alors, Alain Juppé, avait très mal réagi. Il s'en ouvrit au président Jacques Chirac, qui fit le mort, affirmant qu'il n'était pas au courant d'une telle initiative, alors qu'il avait donné son aval pour que Machiani traite cette affaire. En effet et toujours selon Charles Pasqua, Chirac lui aurait dit :«s'il a les contacts nécessaires qu'il s'en occupe». Juppé fit alors cette déclaration, qui mine de rien allait décider du sort fatal des moines de Tibhirine. Il annonça à la ville et au monde, ceci :«je ne sais pas ce que fait Machiani en Algérie. Il n'est chargé d'aucune mission officielle par le gouvernement». Dès lors l'expert français libérateur d'otages devient aux yeux de tous les protagonistes de l'affaire, un commissionnaire disqualifié. En défendant son ego de cette façon pour le moins ostentatoire et incompréhensible, dans de pareilles circonstances, Juppé avait-il mesuré, qu'il avait selon son comportement, scellé l'avenir des moines et quasiment signé leur arrêt de mort ? Mais pareillement, le plus provoquant dans cette affaire, c'est le silence des autorités françaises disposant de toutes ces informations indiquant au moins un début de preuves sur les assassins des moines, laissant ainsi, le terrain libre à la manifestation de toutes sortes d'extravagances. Des élucubrations cérébrales d'un Mourad D'hina, du sergent Tigha, de Habib Souaïdia et autres Samraoui, à la recherche du moindre indice fantaisiste d'information, pour l'exploiter jusqu'au ridicule que puisse permettre l'absurdité humaine. Aux contorsions mentales de l'alambiqué, abscond et complexe Robert Ménard, en passant par les triviales trouvailles émanant de soit disant, spécialistes français des questions de sécurité, d'espionnage et de contre espionnage.

Le premier d'entre ces cocardiers à se révéler au public, fut le général François Buchwalter. Après une longue période de dormance, pour un professionnel du renseignement, qui plus est, était à l'époque des faits, aux commandes de l'antenne de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure -DGSE-, à l'ambassade de France à Alger. Et qu'à ce même poste avancé, il avait de surcroît, reçu en 1996, l'envoyé des djihadistes, porteur de la cassette audio, contenant la preuve de vie des 7 moines trappistes. Il se réveillera le 25 juin 2009, pour déclarer dans le bureau du juge d'instruction Trévic, au pole anti-terroriste à Paris, que :« C'était un ami. Quelques jours après les obsèques des moines, il m'a fait part d'une confidence de son frère. Son frère commandait l'une des deux escadrilles d'hélicoptères affectées à la 1èrerégion militaire dont le siège était à Blida. Son frère pilotait l'un des deux hélicoptères lors d'une mission dans l'Atlas blidéen, entre Blida et Médéa. C'était donc une zone vidée et les hélicoptères ont vu un bivouac. Comme cette zone était vidée, ça ne pouvait être qu'un groupe armé. Ils ont donc tiré sur le bivouac. Ils se sont ensuite posés, ce qui était assez courageux car il y aurait pu y avoir des survivants. Ils ont pris des risques. Une fois posés, ils ont découvert qu'ils avaient tiré notamment sur les moines. Les corps des moines étaient criblés de balles». D'où, cet haut gradé tenait-il cette probabilité, qui sent jusqu'à s'y méprendre, une forte odeur d'une vérité accusatrice, proclamée sous le ton de la confidence ? Je suis sûr que l'officier des renseignements français, connaît bien la fable, de l'homme qui a vu l'homme, qui a vu l'homme, qui a vu l'ours. Ou bien est-il victime d'une déformation professionnelle, accentuée par le poids des années et beaucoup de fiascos ? Quant à la sincérité de ses allégations, il ne peut pas, d'un coté, recevoir en secret l'émissaire du GIA, et de l'autre, donner un témoignage qu'il prétend authentique et non soupçonnable. Un autre, et non moindre généralissime français, Philippe Rondot, le maître espion, puisque lui-même saint-cyrien, et fils de général également espion, atteint de graphomanie, n'excluait pas, dans ses carnets de bord, une éventuelle implication des services algériens dans l'assassinat des moines. Alors à tous ces messieurs, mettez de l'eau, pour les uns de leur l'ben et pour les autres dans leur vin. Car au final ce sont ces fumeuses théories qui avaient donné naissance à la fameuse question : qui tue qui ? Et autant ce questionnement semblant d'énigme, parait-il sibyllin, autant il engageait au moment de l'interrogation un pays, l'Algérie, et des êtres qui doivent être identifiés. Des lieux localisés en coordonnées Lambert, des causes, c'est-à-dire, un pourquoi qui pourrait générer d'autres pourquoi, jusqu'à éventuellement être, comme le chroniqueur convaincu par le documentaire de Malik Aït Aoudia et Séverine Labat. Egalement un temps, quand est-ce ? Ici la réponse a été apportée, par les instigateurs de l'assassinat eux-mêmes. Et enfin un ordre, l'historique. Dans le documentaire, il n' y a pas le moindre anachronisme dans le déroulement des faits. Toutefois toutes ces dimensions longtemps restées dans l'ombre, avaient donné l'occasion à une faune de margoulins bigarrés de nous faire la leçon, quant à l'accueil, le respect et l'aide que nous aurions dû apporter aux moines de l'Atlas.

A ce sujet la sincérité du témoignage du wali de Médéa au moment des faits, monsieur Fatmi Rachid, me suffit. Car l'acharnement d'un Robert Ménard, soutenant opiniâtrement cette thèse, qui a souvent fait référence, périclite et son auteur avec elle. Aux dernières nouvelles, s'infirmant et se décomposant au propre comme au figurer, le promoteur en chef du kitukisme, a épousé les théories du front national pour briguer un mandant électif d'édile à Béziers, dans le sud ouest français. Le roi de Reporter Sans Frontière, ce soit disant défenseur de la liberté de la presse et de la liberté d'expression, est désormais nu. Et si nous continuons de respecter la liberté, les idées, les philosophies et les choix de tout un chacun, dont ceux aussi de l'ami de l'émir du Qatar, le grand argentier financeur des printemps arabes, qu'est Robert Ménard, il n'en demeure pas moins, que tout un chacun également doit se humer et sentir avant de jeter l'opprobre sur les autres qui ne lui auront rien demandé. On n'a aucune légitimité à défendre les nobles principes des humanités et de l'humanisme, quand on se permet de pactiser avec des fascisants du Front National des Le Pen, père et fille, et là je reste poli. Quand dans son pamphlet,« vive l'Algérie française», édité en 2012, chez Mordicus, une maison que dirige sa femme, Ménard, le natif d'Oran, disait :« Assez des mensonges sur le bilan de la colonisation, largement positif en termes d'infrastructures, de santé, d'agriculture ou d'éducation, n'en déplaise à nos directeurs de conscience. Assez de ces historiens qui ne parlent que des membres du FLN torturés mais si peu de ceux qui ont été torturés par le FLN, des victimes de l'OAS mais jamais des milliers de pieds-noirs disparus. Assez de ces pétitionnaires professionnels toujours prêts à se mobiliser pour des sans-papiers mais avares de leur signature dès qu'il s'agit des harkis.

Assez de cette presse qui continue de faire l'éloge des porteurs de valises mais s'offusque du transfert des cendres du général Bigeard aux Invalides. Bref, assez de cette perpétuelle repentance. Alors, oui, vive l'Algérie française !». Ici il rejoint les ténors de l'UMP, laudateurs du rôle positif de la colonisation française en Algérie, et Alain Juppé notamment, qui fourvoyé et perdu par son ego, avait abandonné les moines de l'Atlas à leurs assassins, nous intimait à un moment d'irréflexion, dans ses extravagances, l'ordre d'arrêter de ressasser l'histoire. Moralité, on aura beau essayé de cacher sa propre nature, elle refait toujours surface.

Quant à nous, il nous suffit dès lors, en être humains normaux de faire dans la sérénité le deuil du aux moines de Tibhirine, en communion avec les leurs, sous la vérité éclatante qui est venue par le truchement d'un courageux documentaire leur rendre justice, même à titre posthume.