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Entre hier et aujourd'hui : Le développement en question !

par Abdelkader KHELIL*

Si science sans conscience, comme disait Rabelais, n'est que ruine de l'âme, ne peut-on pas dire aussi du développement qu'il n'est qu'actions répétitives d'équipement et de rééquipement à impact aléatoire, lorsqu'il n'est perçu que sous le seul angle de la dépense publique !

Oui, si le développement n'était que de la dépense publique, tous les Emirats du Golfe et l'Arabie Saoudite qui ont pour habitude de faire dans le prestige et dans l'achat de tout ce qui est cher aux autres, y compris la tour Eiffel, si la France était disposée à la vendre, seraient déjà bien avant nous et de bien d'autres, des pays développés ! Pour ce qui nous concerne, il faut dire que si malgré les investissements colossaux consentis par l'Etat tout au long de la décennie écoulée l'on soit encore parmi les pays en développement, selon le PNUD, avec un indice moyen, de développement humain (IDH) de 0.754, qui classe l'Algérie au104éme rang sur un total de 156 pays, dans cette catégorie du « peut mieux faire », après la Tunisie qui arrive à la 98éme place et avant le Maroc qui occupe le 123éme rang, c'est que quelque part, des ressorts ont du mal fonctionner ! A noter que cet indice qui prend en compte : l'espérance de vie, le niveau d'instruction et le bien être social, varie de 0 à 1, selon le degré de développement atteint par chacun des pays. Il est considéré comme élevé à partir de 0.8. Dans le cas de notre pays, la position jugée moyenne, contraste quelque peu, avec cette 38éme place qu'il occupe sur la base d'un classement de 183 pays, selon le produit intérieur brut par habitant (PIB). Néanmoins, cet indicateur qui donne une idée de la richesse de la population ne permet pas, de déterminer l'état de développement, qui ne peut en effet, se limiter qu'à l'accroissement des revenus, parce que n'intégrant pas, la question de la pauvreté ! Oui, par rapport à tout cela, l'on peut aisément comprendre, qu'au regard des frustrations sociales cumulées à la suite de plusieurs décennies d'hésitations et de tergiversations, quant aux choix les mieux à mêmes de mettre notre pays sur la voie du travail productif générateur de nouvelles richesses, les pouvoirs publics soient mis dans l'obligation de dépenser sans compter, en termes de projets de première nécessité. Il est vrai, que cette manière d'agir, trouve son origine dans cet environnement social fortement marqué par des turbulences qui mettent en danger la cohésion sociale et l'ordre public. C'est pourquoi, l'on doit considérer cette dépense publique, au demeurant sans effet significatif sur la croissance, comme malheureusement justifiée dans le contexte social d'aujourd'hui, puisqu'étant le prix à payer pour atténuer les difficultés quotidiennes de la population, pour calmer les esprits et pour éviter bien souvent l'irréparable à notre pays. Mais jusqu'à quand, les pouvoirs publics devront continuer à agir de la sorte, dans le propre style des sapeurs pompiers !

NECESSITE D'UN PLAN DE REHABILITATION DES METIERS

Il en est de même pour les formules de soutien à l'emploi suggérées aux jeunes, qui ne sauraient être considérées comme des solutions durables, de nature à dissiper leurs inquiétudes ! Si l'on est dans ce cas de figure d'une jeunesse perturbée, désœuvrée et en plein questionnement par rapport à son devenir, c'est parce que l'on n'a pas été en mesure d'expliquer sans démagogie ni détour, qu'il n'y a pour les jeunes, de chances de pouvoir accéder un jour à un travail durable, que s'ils sont disposés à apprendre convenablement un métier ! Si cela n'a pas été dit clairement, c'est qu'en réalité, la formation dans les différents corps de métiers n'a pas bénéficié de toute l'attention voulue, alors qu'elle aurait été une solution idoine à la résorption de la déperdition scolaire tout au moins ! Ceci souligne fortement, l'interdépendance du couple éducation- formation, qui doit évoluer au sein d'une synergie d'actions, dans un même esprit de réformes, orientées cette fois-ci sur la recherche de la qualité et de l'excellence et non, sur la massification, qui ne peut que faire grossir le contingent des exclus de notre système scolaire. Aussi, il importe de dire, que sans le lancement d'un véritable plan pluriannuel de relance du secteur de la formation professionnelle, similaire à celui des ressources en eau, qui a permis d'enregistrer de réels progrès dans la couverture des besoins de la population en eau potable, à la faveur du lancement de grands travaux hydrauliques, il est à craindre que nous soyons dans l'obligation de faire davantage recours à de la main d'œuvre étrangère, non seulement pour les projets publics et privés, que pour nos besoins domestiques de tous les jours. Ce plan de réhabilitation des savoirs-faires manuels des arts et métiers, dans la pure tradition des CAP et BTS, cette expérience jadis réussie, serait à décliner dans ses volets : orientation scolaire, recherche d'une meilleure attractivité pour les jeunes à partir de l'instauration d'un présalaire, formation des formateurs et ouverture la plus large possible à la coopération. Déjà aujourd'hui, l'on ne trouve que très difficilement des ouvriers pour la récolte de la pomme de terre, ce tubercule qui fait l'essentiel de nos menus et pour pêcher la sardine, cette protéine du pauvre, dont la reproduction est mise en péril, à cause de cette pratique de pêche à la dynamite, devenue chose courante, au mépris des lois de la République ! Il est bien évident que dans ce cas, la conséquence en est, une spéculation sur les prix de produits de première nécessité, cette autre source d'inquiétude pour les pouvoirs publics, puisqu'étant de nature à attiser la grogne populaire.

LE DEVELOPPEMENT DANS LA VOLONTE DU COMPTER SUR SOI

Dans cette configuration d'une société qui a perdu le sens de la mesure, il importe de dire, que ni la pression exercée par la population devenue à tord ou à raison trop exigeante, ni la façon d'y apporter les réponses à ses préoccupations, ne peuvent conduire de la sorte, à un authentique développement, à même de garantir le bien être aux citoyens et l'émancipation de notre société ! Cette attitude, faite d'action et de réaction fortement marquée par une atmosphère empreinte de méfiance et de doute, ne permet pas d'avancer dans le sens du traitement définitif des questions posées, qui exigent une mobilisation sans exclusive de toutes les compétences, une clairvoyance dans la recherche d'un consensus et de la sérénité, dans une atmosphère marquée par la civilité ! Dans ce cas, la manière d'agir des pouvoirs publics, souvent après coup, prend la signification de ce calmant qu'on administre à un malade pour parer au plus pressé, dés lors que ne disposant pas de suffisamment de temps pour procéder à une échographie, ou tout autre intervention, afin de déterminer avec plus de précisions, les raisons profondes de sa douleur, de son angoisse et de sa détresse ! Mais c'est quoi au juste le développement, s'il n'est pas que de la dépense publique, dans bien des cas réalisée dans la précipitation et dans l'improvisation ! En réalité, le développement correspond à une transformation de la société, faite de progrès sur le plan des mentalités et d'amélioration dans la qualité de vie. Il a pour fondements, cette capacité à scruter l'horizon et à anticiper l'évolution de la société. Il est aussi, cette lucidité dans les choix stratégiques les mieux à mêmes de préserver les intérêts des générations futures. C'est également, cet état d'esprit totalement baigné dans la recherche de l'excellence et cette prédisposition au travail productif, certainement pas celui des trabendistes de l'import import du made in china, des bazars d'Istanbul et de Dubaï ! Un développement bien pensé requiert en outre, un mode de gouvernance approprié, une capacité de négociation avec les différents partenaires, notamment les collectivités locales et la société civile, autour d'objectifs sociaux, dans un climat marqué par la civilité. Oui, cela fait trop de choses à la fois ! Trop d'efforts à déployer pour des gens comme nous, qui ont perdu le sens des relations qui régissent les rapports humains et l'esprit du travail bien accompli, pour avoir été trop choyé, voire gâté par l'Etat providence ! C'est parce que notre pays continent n'a aucune commune mesure avec ses Emirats du golfe, pas plus grands en superficie, que nos Dairas de Sig, d'Ouled Mimoun ou de Cheraga, alors que riches à l'extrême, que nous sommes pour notre part, dans l'obligation de réunir toutes les conditions nécessaires à l'amorce d'un authentique développement, qui puisse restaurer l'égalité des chances, en tout lieu de notre vaste territoire ! Ceci d'autant plus, qu'on doit trouver dans les plus brefs délais possibles, une alternative de substitution à cette rente, qui entretient notre paresse collective et pour éviter que nous soyons à chaque fois obligés d'agir dans la précipitation, qui prend bien souvent, une forme de gaspillage, à défaut d'anticipation ! Réfléchir convenablement sur les objectifs de nos différents programmes, sur la manière d'assurer l'efficience des projets et les conditions de leur faisabilité, c'est se prémunir des effets collatéraux des actions mal inspirées, qui coûtent chères à la collectivité nationale et perturbent l'évolution de notre société. Oui, le développement est sans aucun doute une affaire de savoir et de culture, dans la mesure où il requiert une dose appréciable de civilité dans les relations humaines entre partenaires et une prédisposition citoyenne. Juste pour l'exemple, chez les Islandais, ces descendants des Vikings, ces férus de la lecture et de l'histoire des sagas de leurs ancêtres, l'appréciation du degré de développement se mesure, non pas en critères qui font référence à la mercuriale des fruits et légumes et à tout ce qui a trait au tube digestif, mais en ratio écrivain pour nombre d'habitants ! N'est-ce pas là le stade suprême, de ce qu'il convient d'appeler, le développement, dans toute la plénitude du bien être des citoyens !

Cet exemple d'un pays développé au sens propre du terme, n'est pris qu'à titre indicatif pour situer tout le retard que nous avons sur les autres ! Pour dire aussi, que le développe ne saurait donc se mesurer en enveloppes financières octroyées aux collectivités et en crédits consommés ! Il ne saurait aussi, être cette pratique de réalisation « clé en main » de projets, aussi grands soient-ils, exécutés par le seul recours à une main d'œuvre étrangère, peu disposée à transmettre son savoir-faire ! Force est de constater, que si face aux défis du développement, l'on soit bien démuni, c'est cette embellie financière qui en est la cause, pour avoir attisé notre paresse, de surcroît couplée à une capacité de consommation hors normes ! C'est ce leurre d'un « pays riche », qui nous a fait perdre de vue l'essentiel, à savoir, que le travail est la seule vraie et unique richesse pérenne. Faut-il s'en convaincre définitivement, il n'y a que la volonté du compter sur soi, après avoir maitrisé les métiers et technologies nouvelles, qui mène au développement durable et à la prospérité partagée, ces objectifs de toute politique convenablement réfléchie !

DECLINAISON D'OBJECTIFS A HAUTEUR DES AMBITIONS D'UN PAYS PIVOT

Mais comment cela serait-il possible, quand on a mis entre parenthèse tout le segment de la veille stratégique, raison d'être de ce Ministère de la planification, qu'on a fini par dissoudre alors qu'outil indispensable pour les travaux de cohérence, de conjoncture économique, de prospective et d'audit social ! Comment est-ce possible de concevoir une dynamique de développement à hauteur de nos ambitions d'un pays pivot qui compte dans son espace régional tout au moins, statut auquel l'Algérie peut prétendre de par ces atouts multiples et sans flatterie de la part de ses courtisans, pour peu que soit reconsidérée la question du développement, à partir de la déclinaison d'objectifs à hauteur de cet enjeu stratégique, qui sous- tend bien évidemment, de nouveaux instruments et outils ! Mais de quoi disposons-nous comme moyens, pour faire face aux enjeux du présent et du futur, après avoir procédé à l'émiettement de nos grosses entreprises de réalisation et de nos sociétés de production, qui furent de la sorte dissoutes, après avoir perdu leur efficacité ! Si l'on est dans la situation présente, dans l'incapacité de réaliser par nous-mêmes nos différents programmes de logements et de grands travaux, c'est que tout porte à croire, que notre avenir est déjà dans notre passé ! Dans ce passé pas si lointain, ou nos intérêts se conjuguaient au général et non au particulier comme aujourd'hui, après la contagion de l'esprit néolibéral suggéré par le FMI et la banque mondiale, qui à fini par détruire tout ce qu'on avait de meilleur, à savoir : nos centres de réflexion, notre outil d'études et de réalisation, notre système de régulation, nos offices de grands travaux de mise en valeur et de génie rural, notre système coopératif de proximité paysanne, et bien d'autres organismes et entreprises, aussi utiles que nécessaires ! C'est vrai qu'en cette époque, qui évoque en nous bien d'agréables souvenirs, l'on savait faire bien des choses ! Comme par exemple, construire dans les normes parasismiques, ce que tout un chacun a du constaté, à l'occasion du séisme de Boumerdés, ou les bâtiments de cette époque furent les moins touchés !

On savait aussi, produire et exporter des fruits et légumes de qualité, vers le marché mythique de Rungis dans la région parisien, même si ce n'était qu'en petites quantités ! L'essentiel est que la volonté y était, comme pour se comparer aux autres ! On a même réussi le montage du véhicule R4 de RENAULT à Belcourt, le tracteur Cirta à Constantine et la moissonneuse batteuse à Sidi Bel Abbès, mais pas seulement ! Les diplômes de nos universités et grandes écoles étaient reconnus à l'étranger ! En ces années là, les activités sportives, artistiques et culturelles étaient débordantes ! Nos productions cinématographiques et théâtrales étaient primées à l'étranger ! Notre football était à l'apogée de sa gloire ! Lakhdar Belloumi, Rabah Madjer et tous les autres, étaient des repères et des symboles de réussite pour nos jeunes ! De nos jours, il n'y a plus cela ! Le trabendisme et l'esprit de la « chkara » sont les seules références qui indiquent aux jeunes la voie du gain facile, ou l'argent mal acquis n'est plus compté, mais pesé ! Oui, dans le contexte actuel de notre société qui à perdu le sens des valeurs, il est bien triste de dire, que les acquis d'hier sont des rêves non encore accessibles, pour la jeunesse d'aujourd'hui ! Par rapport à ces années de « gloire », l'on s'aperçoit aujourd'hui, que malgré l'effort considérable consenti en matière de maillage infrastructurel de notre territoire (barrages, usines de dessalement de l'eau de mer, tronçons routiers et autoroutiers, voies de chemin de fer, lignes de métro et de tramways, fibre optique, centrales électriques?), l'on ne peut pas dire que nous soyons plus avancés ! Il est vrai, que tous ces grands équipements ont forgé les avantages comparatifs de notre territoire et l'attractivité de sa partie Nord ! Mais force est de constater, que cela a fortement favorisé l'exode à partir des régions intérieures, qui ceux sont dévitalisées, malgré les soutiens apportés par l'Etat au monde rural. Encore faut-il préciser, que ces soutiens ont plus profité à une caste d'entrepreneurs et à des initiés aux pratiques distributives, souvent sans lien direct avec l'agriculture et ce qu'elle représente comme technicité et comme relation charnelle à la terre ! Dans tout cela, la petite paysannerie n'a que très peu profité de l'aide de l'Etat ! Face à la forte littoralisation des activités et du peuplement de la partie Nord, qui prend aujourd'hui la signification d'un risque majeur, il n'y a que l'action volontariste de l'aménagement du territoire, dans sa déclinaison en grands projets à l'échelle notamment, des régions Hauts-Plateaux et du Sud, au titre d'une première priorité et de réponse aux aspirations légitimes de la population, qui est de nature à ressusciter l'espoir auprès de nos concitoyens ! C'est à partir de là, qu'ils finiront par se réconcilier avec eux mêmes et avec leur territoire et que sera donné un sens aux principes de l'égalité des chances, à l'unité nationale et à l'intégrité territoriale ! Saurions-nous être à hauteur de ce défi, qui interpelle toutes les bonnes volontés, afin d'agir dans un même élan, qui est celui de la sauvegarde d'une Nation en danger !

* Professeur