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L'impossible quatrième mandat

par Abed Charef



C'est parti. L'idée d'un quatrième mandat pour le président Bouteflika est lancée. Mais le moment est particulièrement défavorable, avec l'accumulation des affaires dans un climat délétère.

Le troisième mandat de de M. Abdelaziz Bouteflika au poste de président de la république prend fin dans un an. Et, déjà, le pays s'agite, autour d'unenjeu central : le quatrième mandat. Lesuns veulent préparer le terrain pour permettre au chef de l'Etat de «poursuivre son œuvre» à la tête du pays, pendant que d'autres veulent à tout prix l'en empêcher, pensant que le pays a déjà perdu trop de temps.

Le signal a été donné par un mystérieux article de presse, dans lequel un tout aussi mystérieux personnage, se présentant comme un «proche» de M. Bouteflika, affirmait que le chef l'Etat serait disposé à rempiler pour un quatrième mandat. Certes, M. Bouteflika ne serait pas très enthousiaste, mais il serait disposé à se sacrifier pour le bien du pays, confiait l'homme qui murmure aux oreilles des journalistes. C'était suffisant pour pousser des opposants, dont un candidat déclaré aux élections présidentielles, M. Ahmed Benbitour, à lancer une opération destinée à empêcher le chef de l'Etat de rester au pouvoir.Pas question de quatrième mandat pour un président dont la présence gèle, de fait, la vie politique et économique du pays, disent-ils.

Mais au-delà de cette agitation, s'impose à l'Algérie une autre réalité : un quatrième mandat de M. Abdelaziz Bouteflika est devenu impossible. Cela ne veut pas dire que l'hypothèse soit exclue, et qu'il faille l'écarter totalement. Bien au contraire. Le maintien de M. Abdelaziz Bouteflika reste une hypothèse plausible, qui a de nombreux partisans, et beaucoup y trouveraient leur compte. Au sein du pouvoir, c'est une hypothèse de travail prise au sérieux.

 Mais un quatrième mandant est impossible dans le sens où il serait ingérable. Il créerait dans le pays une situation intenable. Le pouvoir peut l'imposer, mais ce serait trop risqué, face à une société en ébullition. Un quatrième mandat signifierait que le pouvoir s'engage dans ce qu'un analyste a qualifié de «guerre psychologique contre les Algériens». Il ouvrirait trop de fronts, avec trop d'incertitudes, en prenant un risque inutile, alors que le pouvoir a la possibilité d'engager en douceur un virage mieux adapté, y compris pour le pouvoir lui-même.

Un quatrième mandat signifierait aussi qu'on balaie d'un revers de la main le «printemps arabe» et ses effets. Il y a deux ans, faut-il le rappeler, trois chefs d'Etat étaient balayés par un vent de révolte. Zine El-Abidine Ben Ali, Hosni Moubarak et Maammar Kadhafi, incapables de sentir le monde nouveau qui est en train d'émerger, pensaient garder indéfiniment le pouvoir et envisageaient de le transmettre de manière héréditaire. Ils ont fini dans le drame ou la honte. Ou les deux. Un quatrième, Bachar El-Assad, qui a hérité du pouvoir, a mené son pays à la destruction.

Il n'est guère utile de se demander, ici, s'il s'agissait de vraies révoltes, si elles vont aboutir à de vrais changements, si ellesétaient manipulées, et quel rôle y ont joué le Qatar ou les Etats-Unis. Ce sont les faits qui s'imposent, et ces faits montrent que des pays, incapables de s'adapter, l'ont payé très cher.

Dans la foulée de ce printemps arabe, une idée s'était imposée en Algérie : l'Algérie ne pouvait plus envisager que le président Bouteflika se maintienne indéfiniment au pouvoir.Pourtant, le pouvoir a plié, il a fait le dos rond, il a laissé passer la tempête, en distribuant de l'argent, puis il a peu à peu relevé la tête, et envisage de nouveau la possibilité de maintenir M. Bouteflika pour un quatrième mandat. Comme s'il ne s'était tien passé ! Certes, l'idée n'est pas affirmée de manière tranchée, mais elle est suggérée, répétée, avec de plus en plus d'insistance, jusqu'à ce que l'opinion se familiarise avec cette hypothèse, et s'y résigne, à défaut d'y adhérer.

Cette démarche insidieuse ne peut toutefois occulter le réel, qui interdit certains choix. D'abord, le pays n'est plus géré. Il a dépassé le stade de la mauvaise gestion ; il en est au stade de la non gestion. C'est un pays où le Conseil des ministres ne se réunit plus, un pays qui fait 2.6% de croissance alors qu'il a la demande et les financements pour en faire huit. Et c'est aussi un pays où les institutions meurent, les unes après les autres, dans une indifférence générale.

A cet immobilisme, s'ajoute un climat politique particulièrement délétère, qui domine en cette fin de règne de M. Bouteflika. Ce n'est pas de la propagande, mais un simple constat : jamais le pays n'a connu un climat aussi malsain. On ne parle plus que de corruption, de vol, de coups tordus, de détournements et de gaspillage. Les valeurs positives dont les gens ont été fiers il y a peu -travail, sacrifice, service du pays- sont devenues totalement décalées. Parler de quatrième mandat dans un tel climat relève de la provocation.

Il est difficile de maintenir une telle inefficacité dans la gestion, dans un climat aussi lourd, alors que l'environnement régional du pays est en pleine mutation. Aucune frontière n'est sûre. Tiguentourine a rappelé la vulnérabilité d'un pays géré de manière aussi archaïque. Mali, Tunisie, Libye, Sahara Occidental, frontière fermée avec le Maroc, tout est à redessiner. L'état de de santé de M. Bouteflika question délicate s'il en est, est un handicap sérieux sur ces terrains.

Enfin, un autre élément devrait contribuer à exclure un quatrième mandat et pousser le pouvoir à tenter une sortie honorable : la génération de novembre est en train de tirer sa révérence. Dans quel état laissera-t-elle le pays ? Pour elle, 2014 sera la dernière occasion pour finir en beauté. Soit elle prend le virage, remet le pays sur rails, et lui permet de repartir ; soit elle consacre définitivement son échec post-indépendance. Cela n'effacera pas son mérite immense, mais si elle n'a pas un ultime sursaut, elle risque de sortir par la petite porte, après avoir fait une entrée fracassante dans l'histoire.

A-t-elle gardé la grandeur nécessaire pour sentir le poids d'un tel enjeu politique et moral ? Réponse dans un an.