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Un wali qui part en silence

par El Yazid Dib

Je viens de savoir très tardivement qu'un ancien wali est décédé. Feu Gouhmaz Mohamed Lakhdar dit Hafedh. Cette mort n'est plus maintenant une information capitale. Car l'homme n'a plus de bureau, ni de décisions fructueuses à signer. Il est, enfin il était à sa mort un citoyen. Ordinaire.

Brave, courtois et très aimable, Hafedh gardait toujours ce punch du aux nobles fonctions qu'il avait eues à exercer. Veillant à la sauvegarde de son panache, l'homme énarque des premières heures qu'il était, s'expédiait contre vents et marées à avoir en affichage permanent ce sourire et cette prédisposition à vouloir se moudre dans la société, tel un poisson dans l'eau. Il n'a pas quitté Sétif une fois ayant quitté le pouvoir. Il ne s'est pas exilé sur les hauteurs d'Alger ou auprès d'entreprises étrangères. Il était là, dans la rue de Constantine, dans ses cafés, dans ses kiosques à journaux fréquentant les quelques amis rares qui continuaient à consommer ensemble la douceur et le malheur des jours. Beau, éternellement élégant Hafedh, malgré une dizaine d'années de mise en marge n'avait pu quand bien même son oisiveté fonctionnelle se laisser aller vers la renonciation et la résignation. L'obligation de réserve qu'il qualifiait de « seconde nature » n'avait pu à son tour lui octroyer la liberté de dire, de gueuler ou de héler. Pourtant il avait dans la tête le monsieur. C'est son tempérament naturel de sérénité, qui croit-on comprendre est devenu un moteur de vie et d'existence. Ces dix dernières années l'ancien Wali les consommait dans la lecture du fait national et international. A la dernière rencontre avec le chroniqueur, le 12.12.12 (chiffre ou date magique ?) autour d'un café populaire situé en face de la Mouhafadha du FLN (une autre coïncidence magique) le défunt dissertait avec habileté et sans aigreur la situation politiquement générale du pays. Il en faisait de même pour l'économie internationale et l'émergence du bloc des BRIC. La nature est ainsi faite. Quelque soit l'apparat que l'on porte, l'uniforme que l'on endosse ou le poste que l'on exerce, l'essence profondément humaine finira un jour, le temps d'une pause ou d'une collation d'adieu ; par redécouvrir sa véritable espèce. La faiblesse. Dans tous ses sens nobles et positifs.

L'homme du fait d'une activité quelconque tend à produire une copie de son être en vue de paraitre ce que peuvent croire ses vis-à-vis. Dans son temps, le temps coule à flot sans qu'il puisse à intermittence s'en rendre compte. Epris par cette idylle fonctionnelle, cherchant à chaque coup le comment fabriquer une image qui n'en est pas authentiquement sienne, l'homme-lige, héros d'un mandat, acteur principal s'oublie vite et se perpétue à croire à la durée du rôle. Une fois : pour une raison ou une autre, positive ou négative ; le rideau tombe, qu'il fend sous une émotion capable de le déshabiller le laissant se voir dans toute sa nudité d'homme sentimental, sensible et périssable.

Le mouvement des Walis aura à entrainer, lors de réceptions de bienvenue et/ou d'adieu, beaucoup de pleurs, d'aigreurs et de regrets. Ce seront des instants pleins de silence plaintif et de soupirs sans cris. Pour une dernière fois, l'amabilité et la sincère courtoisie, se dispenseraient des usages d'un protocole certes recommandé, mais contraignant et inutile. Justement, c'est ce lourd protocole auquel, l'homme se soumet ou tient à y soumettre les autres, qui dans de pareils moments fout le camp et brise les cadenas de toute chasteté. Mais une fois out totalement le système, que restera-t-il de ces ex-Walis ? A leur mort personne ne s'en fait de soucis. Hormis leurs proches, ils sont un simple nom inscrit sur un permis d'inhumer des plus ordinaires. A la mort de leurs proches, seuls les proches y sont. Ainsi il existe des funérailles et des funérailles. En poste ils sont courtisés. En dehors ils se mettent le monde contre leurs maux.

Ce Wali, cessant ses fonctions de Wali à Khenchela, par décret président du 23 aout 2000 n'avait pas encore fait les frais de ce jour fatidique du 21 août 1999. Le Président avait alors, comme un couperet, émis la sentence de «mettre fin à la dépravation et à la désinvolture». Il serait pris comme une garantie de donner un autre souffle à la dynamique exigée par le score du 08 avril de la même année le ramenant au sommet de la nation. 16 d'entre eux, soit plus d'un tiers du corps des Walis étaient déclarés interdits désormais de tout emploi dans la fonction publique. Ce redéploiement semblait alors commencer par les visages grincheux et émaciés qu'affichaient certains commis en exercice. Et aussi par les frottements de mains d'autres candidats pressentis pourvoir ces mêmes postes Quel que soit le titulaire imposé, positionné ou installé dans la faveur de ce zénith de pouvoir, les ferveurs et les affres du métier avions-nous consigné à l'époque feront que cette «promotion» finira par devenir, à la longue, une procédure douce et habituelle de mise en otage volontaire. Au fur et à mesure de la progression de son plan de carrière, le fonctionnaire «promouvable» ira, sans gêne et avec beaucoup d'efforts, vers les actions devant lui permettre de se constituer «prisonnier» dans la geôle du système. Car à ce niveau de responsabilité l'on ne peut se permettre une gestion à l'humeur ou selon des attributs d'affinités ou d'inimitiés.

Le citoyen persévère à s'accrocher à une haute image et affiche continuellement à l'égard du Wali, une issue protectrice contre les déviations et le mépris qu'il subit par l'agression incivique du service public. Les égouts, la saleté et l'insalubrité des lieux publics, croit-il sont toujours de l'attribution du Wali. Mais en fait il n'est lui aussi qu'une somme de sentiments. Quoi, une personne des plus humaines.

Contenue dans une âme et un corps, la personne subit à la fois les foudres dues à son apparence et le déchirement tacite et interne. Face à la gloire subsiste la déchéance, face à la charge subsiste l'oubli et face à l'empire demeurent les ruines. Un décret peut flétrir la jouissance d'une nomination, seule la réjouissance de la conscience peut se nommer éternellement. Hafedh est parti dans une tranquillité de conscience, certainement amère, mais laisse une mémoire, à la sienne remplie de sagesse et de politesse. Heureusement pour le corps préfectoral, heureusement pour les bonnes valeurs sociales, il existe encore des hommes reconnaissants, sachant rendre le mérite, faisant ainsi plus de foi dans la foi que dans la chaise. Le Wali de Sétif, Zoukh Abdelkader en sait valablement quelques choses. L'on apprendra qu'il n'a jamais omis d'inviter feu Gouhmaz lors de cérémonies nationales ou locales. Qu'il a tout le temps eu des rapports cordiaux avec tous les cadres autochtones. D'ailleurs la rencontre du 12.12.12 rappelée ci-dessus ayant permis à votre serviteur de rencontrer le défunt, s'est déroulée suite à l'investiture du nouveau P.apc de Sétif. Il en est de même pour les deux Walis me dit-on qui ont assisté à l'enterrement le lundi 1 avril courant. Ceux de Mila et de BBA. Hakimi l'ancien ministre serait aussi du lot. Les autres et leur hiérarchie, certainement le papier entêté et doré cadré 21/27 en a fait guise de sincères condoléances et batati batata?. Un Wali évincé et c'est pareil pour tout fonctionnaire nivelé à toutes les hautes ou moins fonctions supérieures c'est comme un fruit de qui l'on tire la sève, puis c'est tout. C'est l'usure des parois de sa carrière, la descente aux enfers de ses appuis qui lui feront dire, mais en bout de chemin, que cela ne valait pas la peine! Perdu dans les méandres du rien et du vide, le haut cadre remercié, est chasse par le clan et pourchassé, éternellement, par les actions qu'il aurait prises avec ou sans intime conviction.

Avoir plus de vingt ans en qualité de Wali n'est pas une prouesse professionnelle mais presque un partage du pouvoir divin (cherk billah) avions-nous aussi consigné quelque part. Certains ont vu passer des présidents, des chefs de gouvernement et autant de ministres. Ils sont les témoins, parfois des acteurs volontaires ou involontaires de tous les scrutins, du plus scandaleux au plus authentique et transparent. Ils sont les comptables macabres de toutes les atrocités terroristes, des émeutes et de la rébellion sporadique. Certains ont eu à en compatir personnellement. Blessés, isolés, seuls dans leur intimité, ils auraient vu tristement la blancheur des nuits longues, quoique allongés dans un confort résidentiel calfeutré. D'autres par contre, n'avaient de cette lutte pour la survie de la république que le stylo et la permanence des escortes et des gardes rapprochées pour évaluer de telles situations.

De l'avis de ces amis et collaborateurs, le défunt est privilégié de recueillir l'unanimité des témoignages affirmant sa grande modestie et sa haute aptitude intellectuelle. Il fut le principal initiateur du projet alors innovant vers les années 70/80 tendant à mette sur pied l'Entreprise des Travaux d'Impression de la Wilaya de Sétif. Il en fut son Directeur Général. Le temps avec l'aide d'une hiérarchie directe alors à l'écoute et faisant dans la promotion de jeunes compétences y voyant là dedans une nouvelle énergie, Hachemi Djiar Wali à l'époque à Boumerdes le propulsa comme secrétaire général. Bejaia le connut également en tant que tel. Il n'en fut jamais déçu. De là, feu Gouhmaz entama sa carrière de Wali. L'on saura, aléas temporels et conjoncturels qu'il a goûté de succulents moments et vécu de fâcheux événements. Il est parti comme un poisson d'avril, en ce début d'avril. Comme un humour éphémère. Il n'est plus idoine de dire, après un limogeage ou une déposition, qu'à la fonction publique nous appartenons et à elle nous y reviendrons, mais plus sagement et raisonnablement clamer qu'à Dieu, lui seul nous appartenons et à lui seul nous y reviendrons. Amen et prions pour l'absent. Repose en paix Monsieur le Wali.