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Peine de mort, marche et protestation

par El Yazid Dib

Le citoyen est absent du débat. Mails proteste et marche. On discute à sa place par avis officiel ou personnel. De tas de choses, sur sa tête comme la peine de mort se livrent chaque jour.

Le pays est en proie à une fièvre qui, alternative du nord au sud et vice versa, tend à se répandre aux quatre coins cardinaux. La protestation gagne du terrain mais sans grand succès. L'Etat en face de la plus simple marche oppose une démonstration de force, et envers une importante ; il offre des concessions. Le paradoxe c'est qu'il est impossible de pouvoir rallier les deux. Une de tenue ici est vite éteinte par l'autre qui se tient ailleurs. La généralisation demeure au stade d'une rêverie. Ceux dont l'intérêt de la voir révolution nationale ne s'affichent pas, car ils ne font que dans la récupération. Le rapt, puis l'odieux assassinat des enfants de Constantine, créant une psychose d'envergure nationale n'ont pas aussi été médiatisés pour rien. Pourtant il ne s'agissait pas là d'un premier crime commis à l'égard d'enfants kidnappés. La région kabyle en a connu plusieurs. Certes la douleur et la consternation étaient au maximum, la peur et l'insécurité à leur dure épreuve. Voilà que la peine de mort devient intempestivement un sujet politique controversé. Et son application une revendication d'urgence. L'on a vu de l'enthousiasme prendre le dessus et gagner les lèvres les plus sereines. De sommités allaient dans la tendance du jour et se laissant aller dans l'ardeur du moment. L'essentiel aurait été dans un débat toujours fermé au sujet de cette notion de justice sociale. Capital qu'il est, ce thème s'il intéresse tout le monde doit être, pédagogiquement au centre d'un débat de professionnels. Criminologues, oulémas, socio-psychologues, juristes et jury populaire. On ne peut se permettre de jouer avec la mort et la vie des gens. Qui ôte la vie d'autrui, la sienne est entre les mains de sa société. Dans un contrat social prédéfini. La peine de mort est un précepte coranique. Quant à son exécution, elle dépend du juge de l'application des peines. Elle n'est pas censée être un problème politique, elle n'est que juridique.

Il n'y aura pas de révolution à faire par le peuple. Ce dernier n'existe plus en tant que masse homogène, dense et sociétaire. Emietté par la vie et l'aléa, il est poussé à se ranger rapidement dans le fait actuel. Celui qui dit que tout le monde trouve son compte. L'Etat de droit semble n'arranger personne. Comme ce p'tit vendeur fortuit rencontré dans un souk, qui affirmait au chroniqueur à son interrogation : que bien sur il est pour un Etat de droit. Juste à lui répondre, dans ce cas, que dans un Etat de droit « tu devras être immatriculé au registre de commerce, tu devras avoir un local propre, tu veilleras à l'hygiène, tu payeras tes impôts, tu accrocheras obligatoirement une enseigne lumineuse, tu déclareras tes employés, tu cotiseras, tu sponsoriseras les clubs, etc? il m'interrompt promptement pour me lâcher : Ya hadj ! khaliha kima rahi (laisse-la comme elle est). C'est cette sensation précaire qui justifie l'état des lieux. C'est cet abandon populaire à aller vers l'organisation sociale qui corrobore le maintien de la situation. L'on ne fait pas un Etat de droit par la force. Ce sera à lui d'utiliser la force pour se faire respecter. Peut-on l'imposer à une population qui reste uniquement au stade du vœu et du souhait ? Cet Etat est une construction d'ensemble. Il peut toutefois provenir d'un sursaut national, pourvu que des pré-requis soient disponibles et garantis. L'adhésion, la participation citoyenne, la conviction d'utilité, le respect mutuel et la concession réciproque en seront les principaux.

La lutte des classes n'est maintenant qu'une vague histoire de théorie. D'habitude et à travers les annales de la chronologie c'est au peuple que revient la foi génésiaque à toute révolution. Le changement dans sa décantation de soulèvement ne saura en ces jours parvenir des profondeurs du peuple. Comme l'histoire, parfois l'actualité est plus têtue et ne se désabuse de rien en voulant se faire vivre dans un dénuement total. L'émeute est comme un vent sournois. Il va dans toutes les directions. Fou et affolé, il est là pour détruire, mais aussi pour mûrir la moisson. Le cyclone, phénomène naturel est aussi un dérèglement volontaire ou involontaire de la nature. Un caprice qui coûte cher. Les députés élus fraichement ne vont pas causer des nausées au pouvoir. Ils se limiteront le temps d'un apprentissage de goûter aux mets de la pêcherie, d'affuter un peu leur nœud de cravates et surtout développer leurs espoirs résidentiels. C'est à eux qu'échoit le débat à susciter sur le devenir du pays, la politique de l'emploi, l'équilibre nord-sud, la peine de mort et autres décisions d'avenir.

Ce vent d'inquiétude sociale, ces marches répétitives, ses grèves itératives, ces rassemblements traduiraient, à les voir dans les yeux des gens ou dans leur lourd quotidien, une certaine densité de soucis et un mal-vie controversé. L'assemblée nationale est élue mais ne peut fonctionner légitimement selon les frondeurs. Les institutions opèrent, mangent des budgets mais manquent d'efficacité. Le fisc établit des rôles mais n'engraisse pas les caisses. Les écoles fonctionnent mais produisent les émeutiers et érigent les cours des grèves en modèles à suivre. Nos universités handicapent l'intelligence. Il nous suffit en somme de bien regarder l'état économique de nos différentes classes sociales, de visionner lentement le planning politique de nos dirigeants et d'écouter régulièrement les râlements de nos cadres ; pour qu'on puisse se dire en face et avec courage des vérités pas bonnes d'être des vérités à dire.

Que resterait-il à la politique si elle ne pouvait s'exercer que dans une obéissance virginale au son d'une cadence avilissante?

La mutation de l'exercice politique d'un salon ténébreux vers un studio éclairé, ramènerait toutefois quelques brins de lueurs. Le débat est une culture de haute civilisation. Il permet à tous d'éclairer tous.

Pour les manifestations sporadiques d'ici et d'ailleurs, les marcheurs et les contestataires brandissent en filigrane l'inégalité qui fissure et départage les compartiments de la nation. La distribution des richesses nationales selon une équité est un slogan des plus anciens. Se déambuler dans les artères huppées du grand Alger, ou se pavaner l'instant d'une curiosité dans les lotissements élevés dans les régions lucratives du pays, permet à l'esprit imbu de socialisme et trahi aux chartes marxistes rédigées jadis, de dire que le monde s'est fait dans un autre monde. Il persiste davantage à se faire dans un monde plus cruel et plus rapace. Ce qui était hier un terrain vague est maintenant une grosse marque étrangère, des locaux féconds et trop signalés. Il suffit d'une réserve foncière, d'une agence de même type, d'une officine notariale pour que l'aisance budgétaire éclipse la moisissure de la classe pauvre et démunie qui vous a vu naitre. Dans ces hauteurs le mètre carré se voit à chaque mercuriale pousser des moustaches. Le pouvoir n'a pas besoin de cliniques mais de leurs propriétaires, pris pour des pourvoyeurs de frais de séjour ailleurs. Sa santé à lui n'est pas gratuite au sens hospitalier et public de l'admission. Elle se soigne en extra-territorialité. La fortune est passée par l'indigence pour se rendre visible et visqueuse à l'œil du jour. Les hasards nantis et les aubaines chanceuses se font ici, mais se conçoivent ailleurs, dans les profondeurs des contrées lointaines.

Les banques ne sont pas toutes à l'identique du traitement et des concessions des avantages et privilèges boursiers. On ramasse ici, on dépense ailleurs. Les classes crient leur existence et s'accrochent comme une lumière aux yeux des non-voyants. Elles sont une exposition étalée recto-verso à tous les passants. L'épanouissement parait s'accomplir à la portée du moins grand nombre. L'audace assistée allait dans la complaisance des interstices réglementaires perpétrer sa percée dans la virginité libérale que l'on faisait subitement désirer par un pays non encore prêt à la donner. L'ouverture économique ne s'est faite qu'à l'égard d'une rondelle sociale préparée au préalable à la prise de décision exerçant ainsi une pression dynamique sur l'ensemble des segments composant la pyramide nationale. Les fils d'un tel et d'un tel, le beau frère d'un autre font noircir les unes de journaux. Ceci s'est fait également dans un tournant favorisé par une conjoncture minée par l'imposture de nouveaux réseaux fichés sournoisement dans le circuit public, qui au détour procréait un secteur libre et personnel. La situation cuirassait la roublardise et excitait la fourberie pour prendre place aux premières loges des premiers à s'asseoir dans les sièges commodes de la facilité financière.

Par ailleurs s'aventurer dans les allées qui n'existent pas mais s'imaginent se poursuivre dans les favelas, ces baraques à construction illicite ou ces terrains encore plus nus que l'infortune des gens qui les rend en cité maladroite et ghettoïsée ne convainc personne sur l'angélisme égalitaire claironné à coup de satrape et de programmes dit RHP. Cette foule qui y vit, classe innommable, malencontreuse arrive quand bien même à constituer un bon plan de charge pour les voraces appendices avoisinant la première. Elle aussi tient à « trouver son compte » dans cette situation. Ils y trouvent un excellent moyen de recyclage et un filtre de traitement légalisé des marchés publics et autres bons de dépenses du trésor. Ici la boue est un luxe quand l'hiver est sec. La chaleur une ambiance quand l'été s'absente et fait la saison buissonnière. Ici dans ces villes adultérines, l'urbanisme est une autre loi de complaisance et de complicité. L'eau comme l'électricité forment un acte probant de bonne propriété. Le fait accompli imposé par une agglomération sans nom ni identifiant s'est accumulé au fil des misères alternatives et s'offre comme un plan de régularisation qu'une loi de 2008 en vient pour confirmer la naissance non déclarée. Ces crèches mal futées reçoivent à la pénombre la lassitude des bras et des muscles qui le jour, pour quelques dinars troués se dépensent dans l'indifférence des villes pour finir par marbre, dalles de sol et jacuzzi l'opulence de ceux qui se croient être de la première classe.  

Ainsi se constitue un conglomérat d'intérêts intimes baignant dans une légalité à heurts mineurs. Un petit LSP, un lot marginal, une bagnole, un crédit de consommation, un emploi dit supérieur, un logement de fonction, une gratuité de frais, des gratifications en nature, que demander au bon Dieu, pour quelqu'un qui ne rêvait que de survivance ? Ce conditionnement matériel va se cristalliser dans une métamorphose inespérée et qui arrive en bout de chaine à bloquer toute idée réflexive à la précarité mentale vécue et obstruer tout canal vers la prise de conscience. Ces gens là, sont en plein de « tout le monde trouve son compte ». L'autre frange de la société, la plus démunie reste dans l'expectative de voir des horizons meilleurs. L'augmentation des salaires, l'Ansej et autres discours de satisfaction sont les pires réponses à un état calme, paraissant serein mais sournois et miné.

La bataille qui ronge la base est plus atroce que celle qui corrode les parois du sommet. Ici bas, on se blesse, on se pique, on se lèse. Là haut, on meurt. Mais la mort, l'immolation, le suicide ne se sentent qu'aux bas étages.