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Livres : une Casbah... plusieurs médinas !

par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

Ça discute ferme autour de la Casbah d'Alger et malgré les projets gouvernementaux, assez ambitieux, après des décennies d'abandon, laisse planer énormément de scepticisme. Que de promesses et de discours et ce plans...alors que les maisons s'effondrent l'une après l'autre, avec, parfois, pour des besoins (légitimes? mais interminables) de logement autre et ailleurs, des actes provoqués. On revoit le même scénario ailleurs, à Constantine, à Annaba, à Oran, à Bougie, à Dellys... sauf à Tlemcen qui a bien profité, ce me semble, de l'«année de la culture islamique». Au plaisir des yeux et au bien-être des esprits? et au bonheur du touriste et des commerçants ! La problématique demeure entière cependant, bien exposée par les membres de la Fondation Casbah qui ont poussé à la création d'une «Fédération nationale des vieilles médinas» : Que veut-on en faire exactement des ces vieilles villes, de ces médinas. Des centres de rayonnement historique, culturel et touristique ou des centres de re-re-recasement ? Des vieilles villes retapées, relookées, «tirées» (comme la peau du visage et on connaît la suite des opérations de ce genre sur l'être humain), «liftées» ou des médinas racontant un pan de l'Histoire du pays et de la ville ? Il ne me semble pas que le choix ait été fait.

LA CASBAH ET SES PETITS YAOULED.

Un roman historique de Mohamed Lamhene . Thala Editions. Alger 2007. 126 pages, 250 dinars

Je l'avais entendu, un jour à la Radio (Chaîne 3) alors, qu'interviewé, il racontait sa vie de «Yaouled», de jeune collégien dont le père s'était exilé pour ne (presque ) plus revenir au pays, de fonctionnaire des Ptt, du racisme pied-noir, des amitiés sincères, de militant de la cause nationale, du football qu'il aimait, des camps de concentration qu'il a traversés, de l'Indépendance, des amis perdus ou retrouvés. C'était tout simplement super ! On revivait avec lui, en direct, toute une vie?sans se soucier des embouteillages et sans «zapper».

 Je l'ai rencontré quelques jours plus tard, à travers un livre. En le feuilletant dans une librairie. Un livre de souvenirs qui remonte le temps de manière prenante. Il raconte la Casbah, ses habitants, ses enfants, les fameux «Yaouleds», qui, pour survivre, exerçaient des petits métiers (cireurs, vendeurs de journaux, porteurs ;..), futurs héros, ses maisons, ses ruelles, sa convivialité, sa propreté, ses joies communes, ses côtés obscurs aussi, sa force durant la guerre de libération nationale.

C'est écrit simplement, dans une langue que l'on ne retrouve, hélas, plus que chez la «vieille «école». Fluide, limpide, concise, claire,...sans fioritures. 126 pages qui se lisent vite mais dont chaque phrase a une signification précise.

Avis : Un livre qui devrait avoir sa place dans la liste des titres à conseiller aux jeunes collégiens et lycéens. Peut-être des «morceaux choisis». Certes pour apprendre le bon et le vrai français mais aussi et surtout pour connaître l'âme de la Casbah, le cœur de leur pays.

Phrases à méditer : Il n'y en a pas. Sauf qu'il faudrait lire, en fin d'ouvrage, le court poème dédié à son grand amour... l'Algérie... avec ces deux derniers vers... «Algérie, pays bien-aimé / Tu pourrais être un vrai paradis sur terre». C'est bien dit. C'est tout dire.

DANS LA CASBAH.

Un document historique de Lucienne Favre avec une préface et une postface de Djaffar Lesbet. Editions Alternatives urbaines. Alger 2012. 256 pages, 600 dinars

C'est une dame, une européenne de la «bonne société» algéroise, qui a écrit beaucoup de livres (dont deux pièces de théâtre) sur l'Algérie entre 1925 et 1948. Elle est morte à Paris en mars 1958. Elle a été «découverte» (sur le tard, en 2000) par le sociologue Djaffar Lesbet (qui a été un «yaouled») qui a «sorti» de l'anonymat ce livre paru d'abord en 1933 puis revu et augmenté en 1937 et en 1949 (éditions Grasset puis D'halluin).

Revu et augmenté, car la Casbah, être vivant (40 000 habitants vers les années 1930 sur 42 hectares et des maisons conçues pour en abriter trois fois moins, ceci pour la seule médina), a évolué au fil du temps...: «Elle s'est métamorphosée et refermée surtout?».

L'auteur, selon le préfacier, vivant en Algérie, «voulait surtout s'adresser (par ses romans-tranches de vie) au lectorat de la France d'outre-mer, mal informée et/ou abusée par les discours lénifiants des bienfaits de la colonisation». Elle a mis à mal les images du film, «Pépé le Moko», avec Jean Gabin, montrant une Casbah «mystérieuse, inquiétante, dépaysante, érotique, exotique? mais tellement fascinante et fertilisante en préjugés». Elle a voulu «être un contrepoids, un témoin loyal, une passeuse de cris». C'est ce dernier rôle qui est le plus intéressant pour nous. Derrière la réalité décrite, avec des mots simples mais forts, sans commentaire, sans descriptions exotiques, que l'on sent sincères, la «réalité vraie» que recherchent toujours les sociologues. Malgré un léger ton paternaliste et, au détour d'une description, un tantinet raciste (exemple, à propos de tout petits, petits larcins commis par une femme de ménage : «La razzia est dans le sang des tous les africains, de toutes les africaines»), il y a donc la «réalité de la réalité» au sein d'une vieille ville pas si accueillante ou fraternelle que ça.

La brutalité régnait en maître et régissait les rapports entre dominants et dominés. Car, la Casbah n'était pas, alors, habité exclusivement par les musulmans et les habitants étaient de diverses origines, dans une «effroyable promiscuité» : «Fatma», «Yaouleds», proxénètes, maisons dites de «tolérance» (les bordels) côtoyant les maisons dites «honnêtes», mordus de foot et de boxe, «pêcheurs» de tous bords, touristes en mal de sensations fortes, artistes «éperdus», bars toujours pleins et cafés maures toujours bruyants...

Le tout dans une certaine misère matérielle et morale. La Guerre de libération nationale a entraîné, par la suite, «une nouvelle redistribution des rôles et introduit une autre hiérarchie sociale»? Après l'Indépendance, les «natifs» sont partis, emportant dans leur déménagement «l'histoire de ces lieux chargés - malgré tout - de traditions citadines?». Le reste, on le voit? sur pièces... ou, plutôt, à partir de ce qui en reste comme ruines et décombres... et souvenirs mythifiés.

Avis : A lire pour avoir une vision équilibrée de la vieille ville. Ici, une vision coloniale de la Casbah, mais une vision empreinte, en beaucoup de pages, d'humanité, n'ayant rien à voir avec les «orientalistes approximatifs». On en sort, cependant, avec une Casbah qui n'a rien à voir avec celle style «carte postale» que nous décrivent les casbadjis nostalgiques.

Phrase à méditer : «Tout est contraste dans la Casbah. Et, contrairement à la manière occidentale, c'est toujours l'envers du décor qui est le plus orné, le plus pur, le plus propre» (p.39)

CINQUANTENAIRE DE L'ALGERIE INDEPENDANTE.

Itinéraires et visages en devenir. Revue (semestrielle) Réflexions et Perspectives. Université Alger 2. Juin 2012. 501 pages, 500 dinars

Plusieurs études écrites par d'éminents universitaires et chercheurs... sur la disparité fonctionnelle de l'Enseignement, sur les Langues chahutées, sur le Passé, sur la Culture rurbaine, sur la Littérature et le poids des mots, sur la Force des images, sur l'Avenir... avec un axe important sur «la Ville, baromètre de la crise» ; quatre études de Slimane Medhar, Said Belguidoum, Melyssa Haffaf et Madani Safar Zitoun. La dernière est consacrée aux «interventions publiques sur l'espace urbain à Alger : du bon usage de l'utopie contre la fragmentation de l'espace» (p 127 à 161). On y apprend, ainsi, que la Casbah d'Alger, la «ville indigène», n'a été sauvée de la démolition totale que grâce à «l'attitude magnanime de Louis Napoléon Bonaparte»

Avis : Les décideurs et les technocrates devraient, souvent, s'intéresser beaucoup plus aux travaux des universitaires ?chercheurs et aux revues scientifiques (encore rares) laborieusement éditées t encore mal diffusées. Ils y trouveraient matière à re-penser (ou de mieux «restaurer») leurs projets. Mais, de lire, en ont-ils le temps ?.

Phrase à méditer : «Le dilemme algérien: des utopies urbaines «parasitées» par le réel ?» (P 159)