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Solidarité nationale, devoir de partage dans la dignité

par Farouk Zahi

Une petite poste de quartier bondée, juste en face d'un hôtel «4 étoiles» dont la clientèle huppée observe avec curiosité la cohue. Ils étaient là, dès le lever du jour espérant percevoir la maigre obole mensuelle de 3000 DA.  

Vieilles personnes pour la plupart, elles percevront dans l'humiliation l'indemnité forfaitaire de solidarité (AFS) ; en attendant, elles s'assiéront à même le parquet, parce qu'il n'y pas de bancs dans la salle d'attente. A l'énoncé de leur nom, elles se précipiteront pour recevoir d'une main agitée les quelques billets souillés. Elles ont eu de la chance, il y avait de la liquidité monétaire et ce n'est pas tout le monde qui remerciera d'une voix chevrotante la «largesse» du guichetier. Le stock argentier s'est déjà épuisé et il faudrait repasser le surlendemain ; les chances de réapprovisionnement en billets ne seront guère meilleures que celles des jours précédents. Cette situation qui n'a que trop duré, ne semble pas aller à son terme à telle enseigne que les usagers s'en sont accommodés. Ceci rappelle étrangement les années «Souk El Fellah» où l'arrivée de la tomate concentrée était annoncée comme on annonçait la pluie aux anciens.

Avions cargos de l'armée, un ministre et son staff pour livrer des denrées alimentaire et des effets de couchage à des populations du sud du pays. Jusque là, rien d'exceptionnel s'il s'est agi du haut Commissariat aux refugiés (HCR); mais ce n'était, malheureusement, pas le cas. Ce qui semble être une opération de solidarité, ne serait moins rien qu'une opération de charme qui sème le doute dans l'esprit de l'observateur. Où sont donc passés les circuits traditionnels caritatifs : Croissant rouge et ONG pour qu'un membre du gouvernement qui n'a pas que çà à faire pour mobiliser autour d'une opération qui aurait pu être, sereinement, menée sans tambours ni trompettes? L'indélicatesse, même si l'intention est généreuse, a été d'entourer l'action d'un tapage médiatique que les propres bénéficiaires de ces dons ont, probablement, mal appréciés. Le téléspectateur qui a suivi ces opérations de bout en bout, restait perplexe quant à la portée d'une telle démarche et les raisons qui l'ont motivée. A première vue, l'habitude aidant, ce genre d'opération n'était destinée qu'en cas de catastrophes ou calamités naturelles. Dans ce genre de situations, l'entraide est généralement destinée à tout le monde, nantis compris. Par contre quand celle-ci est ciblée, elle ne fait qu'ajouter au dépit social plus de stigmatisation. Et l'on se demandera alors, si ces populations marginalisées par la précarité sont bien intégrées dans un processus de soutien social bien pensé. Qui a empêché jusqu'ici les collectivités, notamment, l'Assemblée populaire de wilaya de mobiliser les fonds nécessaires pour venir en aide aux communes pour l'acquisition de moyens roulants et autres produits alimentaires ? N'existe-il plus de comité local de solidarité pour attendre une manne ministérielle qui n'est, en fin de compte, qu'une dépense publique parmi tant d'autres ? Un département ministériel censé élaborer une politique sociale, doit passer la main aux prolongements locaux de la collectivité nationale pour des réponses immédiates aux sollicitations pressantes. Un wali qui n'est pas capable d'acquérir ce que ramène un ministre dans sa besace est disqualifié aux yeux du commun des administrés. Le crédit ne peut être qu'à ce prix. Le vieil adage ne dit-il pas et à juste titre : «Les gens de la Mecque, connaissent mieux que quiconque ses ravinements» ? Jusqu'à quand devra-t-on attendre tout du centre décisionnel ? Des âmes charitables existent bel et bien dans ce pays, il suffirait probablement d'orienter dans le bon sens et à bon escient ces donateurs qui ne demandent qu'à être sollicités. La dernière œuvre de cette prédisposition à partager a été celle de cette superbe mosquée qui a couté la somme de 50.000.000 DA sur les fonds propres de son promoteur. Antinomique, ce jet d'eau réalisé par une important Chef lieu de wilaya du Centre ayant couté la bagatelle de 60.000.000 DA et dont les eaux ont verdi par manque d'entretien. Le superflus est entrain, inexorablement, de prendre le pas sur le nécessaire vital.

 Il est loisible aux communes, même déshéritées, d'organiser au bénéfice des démunis des collectes d'effets et de denrées alimentaires excédentaires dans les foyers matériellement à l'abri. Il suffirait, simplement, que le Service social communal dégage une aire couverte pour l'entreposage. Qui mieux que ce service, pourrait tenir le fichier des franges de population vulnérable agir au plus vite et discrètement ? Il peut être aussi envisagé, la mise à disposition de la commune de quelques unités d'habitat grevées d'affectation spéciale au seul bénéfice de familles sinistrées. Les écoles et autres solutions de rechange ne feront que prolonger les sursis de la déchéance.

L'autre cohorte à qui on déroule «le tapis rouge» le 14 mars de chaque année, est cette population de près de 2.000.000 d'handicapés sensoriels et moteurs. La langue arabe riche en euphémismes les désigne sous le vocable de personnes aux besoins spécifiques. Qu'ont-ils de spécifiques ces besoins que tout le monde exprime, si ce n'est un toit, un banc d'école, de quoi se nourrir et éventuellement des soins ? Lors d'une récente émission consacrée par la chaine 3 à cette catégorie de personnes, l'appel pathétique d'une mère de deux enfants invalides moteurs cérébraux (IMC) n'a laissé, sans nul doute, aucun des auditeurs indifférent. Le cri de détresse de gens qui souffrent et que nous côtoyons sans les voir, nous rend de plus en plus coupables de l'ostracisme dans lequel ils sont placés. Un bureaucrate juché sur son piédestal d'ivoire, estime que les non- voyants postulants à un concours de recrutement à une fonction publique ne peuvent bénéficier d'aucun privilège. Ils sont considérés comme des personnes valides. Si tel est le cas, il leur est donc permis l'accès à tous les emplois et quelque soit leur nature ? Diminués physiquement, leur prise en charge matérielle ne peut être que problématique. La mère des enfants IMC, déjà malade elle-même, dit ne plus pouvoir s'acquitter des ses devoirs maternels et de nursing. Elle ne dort que peut et ne peut compenser le déficit physique qu'elle subie en silence. Les services communaux lui ont intimé l'ordre de refermer l'accès extérieur de son logement situé, par chance, au rez de chaussée de l'immeuble qu'elle habite. La petite courette aménagée lui permettait de faire prendre un bol d'air à ses enfants ternis par le confinement. Les textes législatifs et réglementaires ne prévoient-ils pas des logis, des accès et des transports adaptés ? A propos de ces derniers, une louable initiative vient d'être prise par l'ETUSA (Transports algérois) qui vient d'acquérir huit(8) véhicules spéciaux pour faciliter la mobilité des personnes invalides. Malheureusement, cette hirondelle ne fera jamais le printemps, tant que les autres régions du pays en restent dépourvues. L'indemnité allouée mensuellement à chacun des frères IMC, n'arrive même pas, selon la mère, à couvrir leurs besoins en couches. Cette déchéance sociale résignée au sort qui la frappe, est, généralement, rendue silencieuse par le tabou ou par la réserve. La seule main tendue de l'entourage familial ou du voisinage, peut dans une très large mesure, atténuer quelque peu les contrecoups de la perdition psychologique. Les prêches religieux hebdomadaires devraient consacrer plus de sermons, à la solidarité de proximité que de tenir des discours surannés d'arrière garde.