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Quatre scénarios pour une fiction

par Abed Charef

L'Algérie préparerait des initiatives majeures, dit-on. Avec différents scénarios, très élaborés. Etat des lieux.

L'histoire est en cours. Mais elle a quatre variantes, qu'on peut agencer selon son choix. C'est donc une fiction, et chacun a le droit de choisir le scénario qui lui convient. Premier scénario : le président Abdelaziz Bouteflika veut engager de profondes réformes politiques. Faisant un constat lucide de la situation du pays, il en est arrivé à la nécessité de mener le changement, devenu inévitable. Comme les autres éléments importants des cercles du pouvoir, il pense qu'il doit mener le changement, sinon, il sera emporté par une déferlante qui menace le pays.

Il en arrive finalement à lancer de premières initiatives pour lancer ces grands chantiers qui vont marquer l'Algérie. Il convoque à cet effet les responsables des principales institutions du pays, dont les présidents des deux chambres, celui du conseil constitutionnel ainsi que le chef du gouvernement. Les rencontres durent de longues heures, et permettent aux différents partenaires d'exposer au chef de l'Etat des propositions destinées à changer la donne politique dans le pays.

Deuxième scénario : le président Abdelaziz Bouteflika se rend compte de l'impasse à laquelle a mené sa politique. La politique de réconciliation menée avec les anciens éradicateurs se termine en queue de poisson, la démarche économique est un fiasco, et la rue menace d'exploser à chaque instant. Le chef de l'Etat décide donc de changer de cap, et de s'appuyer sur de nouveaux partenaires politiques.

Il retourne à sa famille politique naturelle, le groupe de San Egidio. La tentation est d'autant plus grande que Abdelhamid Mehri a lancé une initiative proposant une nouvelle démarche de sortie de crise, et Hocine Aït-Ahmed a appuyé le projet de M. Mehri, dans lequel il trouve de larges convergences avec sa propre démarche. Il l'a d'ailleurs fait savoir dans une lettre adressée à M. Mehri et rendue publique par le FFS.

Troisième scénario : dans la suite de cette initiative de M. Bouteflika, les éradicateurs se rebiffent. Ils font bloc, et le font savoir. Il n'est pas question que M. Bouteflika les sacrifie pour s'appuyer sur le groupe de San Egidio. Nous sommes, là, et nous comptons y rester. Et si changement il doit y avoir, il se fera avec nous, selon le calendrier que nous fixons, disent-ils.

Le message est destiné au chef de l'Etat, mais il sert aussi à discréditer MM. Mehri et Aït-Ahmed, qui sont accusés de vouloir sauver la mise à M. Bouteflika. La preuve est offerte par MM. Mehri et Mustapha Bouchachi, président de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l'Homme et proche de Aït-Ahmed. Tous deux ont déclaré que le départ de M. Bouteflika n'est pas une condition indispensable pour organiser le changement. Ils ont même soutenu que le chef de l'état est l'un des interlocuteurs de la transition.

A l'inverse, les anciens éradicateurs veulent, et exigent même, le départ du chef de l'Etat tout de suite. Ils organisent d'ailleurs chaque samedi des marches populaires pour le faire tomber. Le système tremble?

Quatrième scénario : la rue arabe gronde. Les dictateurs tombent, l'un après l'autre. A cela s'ajoute une forte pression internationale exercée sur l'Algérie, notamment de la part des Etats-Unis. Ceux-ci ont délégué un émissaire de haut rang, William Burns, qui a apporté une «feuille de route» du changement qu'il faut opérer.

En parallèle, des personnes proches du pouvoir indiquent que trois anciens présidents, MM. Ahmed Ben Bella, Chadli Bendjedid et Ali Kafi, ont rendu visite au chef de l'Etat pour attirer son attention sur la nécessité d'engager rapidement des réformes. Celles-ci sont devenues d'autant plus urgentes que les émeutes de janvier ont révélé le profond malaise qui traverse la société algérienne et confirme les menaces qui pèsent sur la stabilité du pays.

Dans la foulée, la présidence de la République laisse filtrer des informations sur des décisions imminentes, et M. Bouteflika évoque publiquement des réformes dans un message rendu public à l'occasion du 19 mars. C'est donc la conjonction de facteurs internes et externes qui a finalement convaincu le pouvoir d'aller vers des changements, et chacun est désormais appelé à se positionner ou à se placer dans la perspective d'une redistribution de cartes qui ne saurait tarder.

Ceci concerne les scénarios. Ils sont suffisamment séduisants pour étayer l'idée d'initiatives majeures pour engager des réformes imminentes. Il y a cependant une petite réserve : ces scénarios relèvent de la pure fiction, car il n'y a aucun projet de réforme en vue. Aucun document n'a été rendu public. Aucune personnalité citée comme partie prenante n'a confirmé avoir participé à la moindre rencontre. Celles qui se sont exprimées publiquement, comme MM. Mehri et Kafi, ont tout démenti. De plus, rien dans les scénarios évoqués ne colle avec la démarche ni avec le tempérament de M. Bouteflika. Enfin, il suffit de voir comment le pouvoir tente de se sortir de l'impasse actuelle, pour se convaincre qu'il est innocent de toute idée de réforme.