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Classements dignes d'un cancre

par Abed Charef

Si l'Algérie était une équipe de football, elle serait dans la zone de relégation. Le capitaine de l'équipe gouvernementale devrait se poser des questions.

C'est devenu un rituel. A chaque publication d'un classement international sur les performances économiques, politiques et sociales, l'Algérie enregistre un recul, d'une dizaine de places en moyenne. Qu'il s'agisse du climat des affaires, des performances des entreprises, de l'investissement étranger, de la corruption, ou de la rentabilité de l'investissement, tous les indicateurs indiquent la même évolution : l'Algérie régresse. Et plus ses réserves de change augmentent, plus la régression s'accentue.

 La Banque mondiale a confirmé cette tendance, dans une étude consacrée au climat des affaires et à la création d'entreprises. Dans son classement 2010, publié cette semaine, la Banque mondiale relègue l'Algérie à la 148ème place sur 183 pays étudiés. En 2009, l'Algérie se classait à 141ème place, soit une perte de sept points.

 Dans le domaine de l'emploi, l'Algérie régresse de cinq places, pour se classer 122ème. Elle perd encore quatre places dans le domaine de l'obtention du crédit, pour atterrir à la 135ème place. Même si, dans le domaine de la protection des investisseurs, l'Algérie reste en-dessous de la centième place, elle perd des points, passant de la 70ème à la 73ème place.

 Plus grave encore, ces chiffres ne tiennent pas compte des mesures introduites par la loi de finances complémentaire 2009, et reconduites dans la loi de finances 2010. Ces fameuses mesures du Premier ministre Ahmed Ouyahia avaient instauré de nouvelles restrictions, qui ont rendu encore plus difficiles l'environnement économique et menacent de reléguer l'Algérie dans les profondeurs du prochain classement.

 Dans le domaine de l'attractivité fiscale, l'Algérie pointe à une peu glorieuse 168ème place. Selon les critères retenus pour une étude menée par les cabinets Pricewaterhouse Coopers et Landwell & Associés, pour le compte de la Banque mondiale, l'Algérie est 15ème sur quinze pays arabes étudiés, et 37ème en Afrique ! Sur certains points précis, le classement de l'Algérie est ridicule. Elle est au 114ème rang pour le paiement des impôts, au 161ème rang pour le temps de traitement des déclarations d'impôts, et au 168ème rang pour l'ampleur de la pression fiscale globale. L'Algérie contredit ainsi ce qui est en vigueur dans les pays disposant d'une forte rente pétrolière : ceux-ci font preuve d'un certain laxisme fiscal, qu'on retrouve certes en Algérie, mais l'économie ne tire guère profit de ce laxisme car elle est handicapée par la bureaucratie, les procédures et la corruption.

 En matière de facilitation du commerce extérieur, l'Algérie a été classée à la 112ème place sur une liste comportant 121 pays, selon un rapport du Forum économique mondial. Le rapport notait que seuls cinq pays africains - Burundi, Nigeria, Zimbabwe, Côte d'Ivoire et Tchad - connaissent une situation plus difficile que celle de l'Algérie, qui a pourtant signé un accord d'association avec l'Union européenne et aspire à adhérer à l'OMC! Même si les taxes douanières elles-mêmes ne sont pas particulièrement lourdes, les procédures sont, elles, si complexes qu'elles rejettent l'Algérie à la 115ème place. Ce classement a été, lui aussi, établi sans tenir compte de la loi de finances complémentaire, avec ses fameuses taxes et l'abrogation des avantages concédés dans le cadre de la zone arabe de libre échange.

 Avec un bilan aussi faible, les autres acteurs de l'activité économique ne pouvaient faire bonne figure. Le système bancaire pointe au 134ème rang mondial, malgré les affirmations répétées du délégué de l'Association bancaire (ABEF), Abderrahmane Benkhalfa. Selon le World Economic Forum's Global Competitiveness, l'Algérie se classe moins bien que la Libye, le Lesotho, la Kirghizie et le Timor-Oriental. Les banques algériennes sont organisées d'après un modèle archaïque et leur service à la clientèle est encore très en retard par rapport aux pays modernes. Mais sur ce point, il n'est guère nécessaire de recourir à une institution spécialisée pour s'en rendre compte : il suffit de vouloir payer n'importe quel produit ou service par chèque pour constater qu'une part importante de l'économie algérienne demeure gérée en dehors des institutions financières. L'arrivée des banques étrangères n'a pas encore eu l'effet modernisateur escompté.

 La faiblesse du système bancaire favorise la circulation de l'argent dans les réseaux parallèles. Et sur ce terrain, l'Algérie est en bonne place. Elle est classée troisième en Afrique en matière de flux financiers illicites, avec un des transferts qui se sont élevé à 25,7 milliards de dollars entre 1970 et 2008. Selon Global Financial Integrity, en Afrique, seuls le Nigeria et l'Egypte devancent l'Algérie sur ce terrain. Enfin, dans le domaine de la corruption, la sonnette d'alarme a été tirée depuis longtemps. L'Algérie est classée à la 111ème place en 2009, alors qu'elle était 92ème en 2008. Et le plus dur est à venir : le plus récent classement a été établi avant que n'éclatent les scandales de l'autoroute et de Sonatrach !

Heureusement que certains classements n'existent pas encore, on n'ont pas été rendus publics. Autrement l'Algérie se classerait parmi les pays les plus (ou les moins) performants, selon la manière d'aborder la question. Où se classerait l'Algérie s'il fallait calculer le nombre de barrages de contrôle par kilomètre, le nombre d'heures perdues dans les embouteillages, le nombre d'entraineurs de football limogés chaque saison ou le nombre de joueurs pressentis pour rejoindre l'équipe nationale?