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De la social-démocratie européenne comme genre difficile

par Pierre Morville

On assiste à un recul général des partis socialistes et sociaux-démocrates européens. Retour sur une crise peu compréhensible

Le Parti socialiste français est depuis longtemps «parti» en vrille. On assiste inlassablement à l'affrontement des «ego». «Moi, je», «Moi, je», «Moi, je»... Ceux de la vieille génération qui veulent encore survivre et les «jeunes» (les Manuel Valls, Moscovici, Peillon, Montebourg et d'autres encore), d'abord trentenaires, puis quadragénaires, aujourd'hui quinquagénaires qui aimeraient bien, enfin, exister.

 Dans les têtes d'affiche, Ségolène Royale, ex-candidate à la présidentielle a une très, très haute opinion d'elle-même, un autodiagnostic qui n'est confirmé que dans son entourage proche ; Martine Aubry tente de diriger le navire comme Premier secrétaire, tout en restant fermement accrochée à ses mandats locaux, maire de Lille et patronne de la plus puissante fédération ; Dominique Strauss-Kahn s'est réfugié à la tête du FMI ; François Hollande (ex-Mr Royale) a bêtement abandonné la direction du Parti socialiste. Laurent Fabius, le meilleur orateur de cette formation, doute de lui-même et de son avenir.

 Au résultat ? Du bruit, du bruit, du bruit...

 Le Parti socialiste français ne sait plus depuis trois ans être un parti d'opposition. Il ne rassure pas non plus les Français sur sa capacité à être un parti de gouvernement.

 Il semble tétaniser par le phénomène Sarkozy.

 Le Nicolas est habile bateleur. Il ne manque pas d'idées mais il a beaucoup plus d'échecs que de réussites. Mais il a du génie à changer tous les jours de registre. Cela fait oublier les conneries de la veille.

 Le PS est chaque matin comme la poule sur l'autoroute qui cherche à se faire écraser. Comme la poule est obstinée, elle y réussit souvent.

 La dernière invention de nos fameuses social-démocraties française a consisté à proposer simultanément une alliance avec le Centre-droit (le Modem de François Bayrou), les Bobos écologistes dirigés par Daniel Cohn-Bendit, tout en organisant des «primaires» (comme l'âge du même nom) pour que ce soit leurs alliés de circonstance qui choisissent leur candidat à la Présidentielle.

C'est ça la modernité !

Epoustouflant, non ?



Social-démocratie : une appellation d'origine européenne contrôlée

La social-démocratie. L'appellation est intrinsèquement européenne.

 Social(e)-démocratie ? Une telle appellation n'existe sur aucun autre continent. Ecoutons Wikipedia : «Initialement, la social-démocratie est une appellation du mouvement socialiste international, et en particulier de la IIe Internationale fondée en 1889 à l'initiative notamment de Friedrich Engels. Il s'agit donc à la base d'un mouvement marxiste.

 Des débats apparaissent au sein de la social-démocratie à la fin du XIXe siècle, puisque certains - notamment Edouard Bernstein - proposent une révision du marxisme afin de s'orienter vers le réformisme. Ils sont battus au congrès d'Erfurt de 1899, le dirigeant du SPD August Bebel déclarant : «Je ne tolérerai pas qu'on brise la colonne vertébrale de la social-démocratie, qu'on remplace son principe : la lutte de classe contre les classes possédantes et contre le pouvoir d'État, par une tactique boiteuse et par la poursuite exclusive de buts soi-disant pratiques», et Rosa Luxemburg consacrera un ouvrage, Réforme sociale ou révolution ?, à combattre ce courant. Mais malgré cette défaite immédiate, ils ont posé les fondations de ce qui sera à partir du XXe siècle le courant social-démocrate.

 La IIe internationale, suite à différentes refondations, est devenue l'internationale socialiste, et a progressivement abandonné une partie de ses références exclusives au marxisme ; elle regroupe les partis sociaux-démocrates au sens actuel du terme».

Dès les années 20, la social-démocratie s'est opposée au courant communiste, alors triomphant, en réaffirmant la nécessité du pluralisme politique, de l'efficience du cadre démocratique et en s'inspirant après la crise des années 30, du Keynésianisme, alliant les vertus de l'initiative privée dans un marché contrôlé et où le contrôle de l'Etat est le meilleur des outils de régulation.

Dans les faits, en Europe et notamment dans les pays scandinaves et en Allemagne, la «socialisation» de l'économie est frappante : en règle générale, la somme cumulée des budgets d'Etat et ceux de la protection sociale (toutes sommes agrégées) est égale voire supérieure à la capitalisation boursière.

Dans le climat de la Guerre froide, qui voit s'opposer brutalement, deux modèles antagoniques de société, le règne de la «libre entreprise» contre le communisme archaïque et répressif, le modèle social démocrate est apparu comme extrêmement vertueux, soucieux du développement des individus comme du bien commun.

Les socialistes ne résistent pas à la chute du Mur de Berlin

Pourtant, comme le remarque un expert du Parti socialiste, après l'âge d'or des années 1970-1980, incarné par Willy Brandt, Olof Palme et Bruno Kreisky, elle n'a pas su tirer profit de la chute du mur de Berlin. «Entre les partis sociaux-démocrates, il y a eu (et il y a encore) des différences de culture et de structure, liées aux réalités nationales, mais leur histoire a été largement commune. Ils sont nés avec et par l'entrecroisement de deux dynamiques politiques : d'une part, la lutte pour le suffrage universel, la démocratie politique, qui en fait des partis démocrates (républicain en France), d'autre part, la critique du capitalisme, de ses injustices et de son irrationalité, qui en a fait initialement des partis ouvriers, d'inspiration marxiste pour la plupart sur le continent - le travaillisme présentant une idéologie composite de tradition religieuse, imprégnée de syndicalisme, avant tout réformiste», poursuit cet expert, «L'idée de base de la social-démocratie moderne fut que la nationalisation des moyens de production et d'échange n'était pas nécessaire pour combattre l'irrationalité et l'injustice du capitalisme. Les gouvernements qui voulaient lutter contre les inégalités, tout en menant des politiques économiques efficaces, pouvaient mettre en oeuvre des politiques anticycliques pour maîtriser les fluctuations du marché, stimuler les investissements, développer la protection sociale, accroître le niveau d'éducation...».



Comment résister

à l'individualisme que l'on a promu ?

L'autre dimension de la culture sociale-démocrate a porté sur les avantages d'une société non conflictuelle. La social-démocratie européenne a estimé, souvent à juste raison «que la méthode de résolution des conflits devait passer par le compromis, et a donc mis en oeuvre des procédures de négociation entre les différents acteurs de la société» : Etat, entrepreneurs, syndicats, acteurs divers de la société civile, élus locaux... Dans les faits, le système social-démocrate fonctionne plutôt bien, jusque dans les années 80/90.

 Toutes les analyses statistiques ont montré que les plus faibles inégalités de revenus, la protection sociale la plus développée, les meilleurs équilibres entre l'emploi, les investissements et les salaires, ont été le fait de pays où la social-démocratie a exercé durablement le pouvoir - sans même parler de la comparaison avec les pays communistes encore existant. Toutefois, à la fin des années 70, trois éléments combinés ont fait voler en éclats cette situation «vertueuse et apaisée».

- Avec l'élection de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, c'est l'irruption dans le monde anglo-saxon, d'une contre-offensive idéologique d'un libéralisme outrancier et surtout «anti-étatique» : «L'Etat, c'est le problème, pas la solution», phrase-clé du succès de Reagan.

- La montée formidable du capitalisme financier contre le capitalisme industriel, la levée des barrières douanières et fiscales, la circulation de plus en plus rapide des capitaux sur la planète, tout processus désigné aujourd'hui sous l'appellation «globalisation» ou «mondialisation» qui ont généré la possibilité d'une énorme réserve de liquidités, disponibles immédiatement, certes au bénéfice de quelques-uns, mais qui a généré la croissance mondiale de ces dernières années.

- La victoire définitive du «Monde libre» contre l'empire soviétique qui a laissé croire à beaucoup, notamment dans les partis sociaux-démocrates européen de l'avènement partout dans le monde d'une réelle démocratie sociale planétaire.



«La fin de l'Europe rose»

Dans la fin des années 90, l'Union européenne a compté onze gouvernements sociaux-démocrates, travaillistes et socialistes sur quinze, et l'on parlait d'une «Europe rose». Depuis, tout le courant social-démocrate est rentré dans une crise d'une rare intensité. «Comment expliquer cette situation ?, s'interroge Alain Bergougnoux, Les causes économiques sont majeures. Elles tiennent, dans une certaine mesure, à des difficultés propres aux politiques mises en oeuvre : le coût budgétaire des programmes sociaux, la montée du chômage dans les années 1980-1990, les limites de la politique fiscale, la décentralisation du système de relations professionnelles, qui rend difficile une politique des revenus, etc.

 Mais ce sont les causes externes qui sont les plus importantes - que l'on résume souvent sous le terme de «mondialisation». L'autonomisation des marchés financiers, l'entrée dans une société de la connaissance et de l'information, l'accroissement de la compétition internationale, ont modifié les données des «compromis nationaux» de la période antérieure».

 La situation dans laquelle nous entrons exige de revoir les logiciels : crise économique généralisée du libéralisme financier, crise écologique, accroissement des inégalités sociales sans précédents, risques de guerre multipliés. Mais la crise que nous abordons est également morale : comment faire co-exister sur cette petite planète quelques milliards d'individus en tentant de respecter chacun d'entre eux. La social-démocratie semble avoir abandonné cette ambition.